an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Amarrage en orbite

En novembre, les Américains avaient lancé une fusée Saturn V transportant un modèle du module de commande et de service du vaisseau spatial Apollo. Ils avaient inséré 140 tonnes métriques en orbite basse de la Terre. En plus, les Américains avaient exécuté un atterrissage en douceur de la station automatique Surveyor sur la Lune. Le secrétaire du Comité central, Ustinov, a immédiatement demandé à Afanasyev ou en étaient les opérations sur la N1-L3 et comment répondre aux Américains. Dans ses carnets, Kamanin a noté que les victoires américaines s’expliquaient par la mauvaise organisation soviétique, accusant ouvertement Ustinov, Pashkov, Malinovskiy et Grechko, par des erreurs techniques et une approche non coordonnée et non respectée des décrets gouvernementaux concernant le Soyouz et le N1, par un manque de coordination entre les bureaux d’étude et par une absence de moyens financiers.

Deux missions Soyouz aurait dû suivre le vol tragique de Komarov. Les deux étaient consacrées à des vols en orbite terrestre. L’une devait être commandé par Gagarine, le Soyouz 3, et l’autre, le Soyouz 4, par Beregovoy. Gagarine avait été très affecté par le décès de Komarov, il avait perdu l’un de ses meilleurs amis et l’un des cosmonautes les plus brillants d’Union Soviétique. Kamanin, responsable des cosmonautes ne souhaitait en aucun cas mettre en danger la vie de Gagarine. Le 29 avril 1967, cinq jours après l'accident, Kamanin a réuni ses cosmonautes dont Gagarine. Beregovoy a rappelé :

. . . Kamanin, qui avait l'air vieilli par la tragédie, nous a tous réunis et nous a présenté le futur programme de vol. Il a dit à Gagarine qu'il n'y avait pratiquement aucune chance qu'il soit autorisé à voler de nouveau, qu’il s’engagerait personnellement pour que Gagarine ne soit pas autorisé à voler. Yuri a écouté cette terrible déclaration en silence [1].

Kamanin et Mishin ont décidé de réaliser une nouvelle tentative d’arrimage et d’EVA, sur le même modèle que la mission de Soyouz 1. En mai, Kamanin a nommé le pilote d'essai Beregovoy pour piloter le véhicule actif. L’équipage du véhicule passif serait conservé avec Bykovskiy à sa tête. L’entrainement à l’arrimage en simulateur a repris à l’automne 1967.

Beregovoy et Kamanin

Sécuriser le vaisseau Soyouz a pris un temps considérable. Les ingénieurs de TsKBEM, de l'institut de recherche scientifique pour les dispositifs automatisés (responsable de la conception des parachutes), et l'institut de recherche MM Gromov ont effectué de nombreux tests correctifs sur la capsule Soyouz tout au long de 1967. Deux nouveaux engins spatiaux Soyouz ont fait l'objet de tests importants pour un vol d'amarrage automatisé à l'automne 1967. Lors d'un test au sol des panneaux solaires, l'équipement électrique a brûlé, obligeant les ingénieurs à démonter entièrement le vaisseau et à remplacer les panneaux endommagés. Sur les vingt tests effectués sur le site de l'armée de l'air à Feodosiya à la fin du mois de septembre 1967, près de la moitié présentaient des dysfonctionnements : trois étaient des échecs complets. Malgré ces problèmes, à l'automne 1967, la sous-commission Utkin a déclaré le véhicule 7K-OK Soyouz sans danger pour des missions automatisées. Les essais de parachutes se poursuivraient jusqu'à ce que les membres de la commission soient convaincus que le système était sans danger pour les cosmonautes.

Les deux engins spatiaux Soyouz ont terminé leurs essais au cosmodrome de Baykonur à la mi-octobre 1967 et ont été préparés pour le lancement peu de temps après. Le 16 octobre, lors d'une réunion de la Commission

d'État, Mishin a annoncé que le profil de vol des nouveaux lancements serait légèrement différent de celui prévu pour la mission avortée Soyouz 1 et 2. L'objectif principal de ce test serait de vérifier la fiabilité de tous les principaux systèmes des deux engins spatiaux. Le Soyouz actif passerait près de trois jours à voler en solo en orbite, surveillé par les contrôleurs à Yevpatoriva. Si le comportement du navire était correct, les Forces de missiles stratégiques lanceraient le Soyouz passif à la fin du troisième jour. Les deux engins spatiaux s'approcheraient simplement l'un de l'autre dans l'espace à l'aide de leurs systèmes radar. L'amarrage n'a pas été complètement exclu du plan, mais il n'a pas été considéré comme un objectif principal.

Soyouz peu de temps après son installation sur la rampe de lancement.

Le vaisseau spatial actif, véhicule 7K-OK n°6, simulant le rôle de l'orbiteur lunaire dans la future mission lunaire, a été lancé avec succès depuis le site 31 de Tyura-Tam à 12 h 30, heure de Moscou, le 27 octobre 1967. Le vaisseau spatial, nommé Cosmos 186 par l’agence TASS s’est positionné en orbite. Pour la première fois dans le programme Soyouz, tous les systèmes fonctionnaient sans problème en orbite. Les panneaux solaires ont été déployés et le système lgla était opérationnel. Quelques problèmes repérés sur des capteurs ont été corrigés les deux premiers jours par les ingénieurs au sol, et la Commission d'État à donner son feu vert pour le deuxième lancement de Soyouz.

Peu de temps avant le lancement du Soyouz passif, Mishin, surement rassuré par les tests du Cosmos-186, a décidé de tenter non seulement un rendez-vous, mais un amarrage complet entre les deux véhicules. Le Soyouz passif, vaisseau spatial 7K-OK n°5, a été lancé à 12 h 12, heure de Moscou, le 30 octobre. Le véhicule a été nommé Cosmos-188 dans la presse soviétique. Les performances des deux véhicules ont répondu à toutes les attentes. Le lancement du deuxième vaisseau spatial a été effectué de manière à insérer le véhicule à moins de vingt-quatre kilomètres du navire actif. Ce dernier a ensuite allumé son moteur à vingt-huit reprise (plus de trois minutes d'autonomie) grâce aux commandes entièrement automatiques du système lgla. A peine soixante-deux minutes après le lancement de Cosmos-188, les deux véhicules ont été amarrés avec succès l'un à l'autre sur la première orbite de la cible. Au moment de l'accostage, les deux navires étaient hors de portée des communications avec les stations de suivi de surface soviétiques, les premières images des deux vaisseaux amarrés sont parvenues lorsque les navires survolaient le territoire soviétique. Ces images ont été diffusées à la télévision soviétique, donnant au public leur premier bref aperçu du vaisseau spatial Soyouz. C'était une démonstration impressionnante d'automatisation, renforçant quelque peu l'argument selon lequel les cosmonautes n'étaient que de simples passagers dans le vaisseau spatial Soyouz. C'était aussi le premier amarrage de deux vaisseaux spatiaux automatisés dans l'histoire.

Les contrôleurs ont découvert qu’il n’y avait pas eu un amarrage total, et qu’il existait toujours un écart de quatre-vingt-cinq millimètres entre les deux vaisseaux. Cela n’a pas posé de problème et après trois heures et demie d'opérations connectées sur deux orbites et demie, Cosmos-186 et Cosmos-188 se sont séparés. Une nouvelle fois, la rentrée des deux véhicules a été compliquée. Cosmos-186 a rencontré des problèmes avec le capteur optique 45K qui n’a pas permis de réaliser une rentrée balistique simple. Fort heureusement, le vaisseau a tout de même réussi à atterrir en douceur le 31 octobre. Cosmos-188 a rencontré des problèmes de positionnement, et le vaisseau est entré sur une mauvaise trajectoire. Le mécanisme d’autodestruction APO a fait exploser la capsule de descente après avoir dépassé sa zone d’atterrissage initiale. Selon les radars soviétiques, l’explosion a eu lieu quelque part près de la ville d’Irkoutsk. Ironiquement, si le système APO n’avait pas agi, la capsule aurait atterri à environ 400 kilomètres à l’est d’Oulan-Oude, en Extrême-Orient soviétique.

Le 1er novembre, la Pravda a publié le message suivant : « Nous, scientifiques, concepteurs, ingénieurs, techniciens et ouvriers qui avons participé au développement et au lancement des deux satellites, Cosmos-186 et Cosmos-188, rapportons l'exécution réussie du premier amarrage et désamarrage automatique au monde de deux engins spatiaux en orbite. Nous dédions cette nouvelle réalisation de la science et de la technologie soviétiques au 50e anniversaire du régime soviétique. »

La réussite de la mission d’amarrage Cosmos 186/188 a redonné du courage aux ingénieurs après les échecs des missions L1. La sous-commission d’Utkin n’a pas donné son autorisation pour un vol habité avant de tester à nouveau le processus de rendez-vous et une vérification du système de descente guidée, Mishin a prévu une répétition de la mission d’amarrage automatisé au début de l’année 1968 pour tester davantage les capteurs d'attitude problématiques. Pendant ce temps, les équipages s'entraînant pour les prochains vols Soyouz ont poursuivi leur programme d'entraînement à un rythme moins intensif.

INA - Cinquantenaire de la révolution russe de 1917

La réussite de la mission d’amarrage Cosmos 186/188 a redonné du courage aux ingénieurs après les échecs des missions L1. La sous-commission d’Utkin n’a pas donné son autorisation pour un vol habité avant de tester à nouveau le processus de rendez-vous et une vérification du système de descente guidée, Mishin a prévu une répétition de la mission d’amarrage automatisé au début de l’année 1968 pour tester davantage les capteurs d'attitude problématiques. Pendant ce temps, les équipages s'entraînant pour les prochains vols Soyouz ont poursuivi leur programme d'entraînement à un rythme moins intensif.

La première semaine de novembre 1967 fut marquée dans toute l’Union soviétique par les fêtes, en grandes pompes, du cinquantième anniversaire de la Grande Révolution d'Octobre. Pour les participants au programme spatial, elles étaient synonyme d’échec, ils avaient échoué dans la tâche que le gouvernement leur avait confiée, l’atterrissage sur Vénus et l'amarrage automatique n'avaient pas apaisé la pression générée par les « pouvoirs en place ». Ces fêtes devaient être marquée par le défilé de deux cosmonautes soviétiques qui auraient dû volé autour de la Lune.

Depuis 1964-1965, de nombreux décrets et décisions du Comité Central, du Conseil des ministres et de la Commission militaro-industrielle avaient fixé cette date comme objectif final. Bien entendu, on était loin de cette commémoration, mais les ingénieurs et concepteurs travaillaient d’arrache pieds pour le prochain lancement, espérant faire oublier cet échec.

Images télévisées de l'amarrage du Soyouz.

[1] Georgi Beregovoi, “Not to Be Forgotten.” in Viktor Mitroshenkov. ed. Pioneers of Space (Moscow: Progress Publishers. 1989). pp. 298-99; Mitroshenkov. Zemlya pod nebom. pp. 413-14.