Le long chemin à parcourir
cher les directeurs de rechercher le profit par n'importe quel moyen et les ministères de prélever abusivement une part supérieure au solde. Mais le fonds de stimulation ne représentait qu’environ 3% du salaire, il était largement insuffisant pour motiver à l’amélioration de la gestion. Ces mesures montraient la difficulté de concilier le développement de l’autonomie légale des entreprises et le renforcement des ministères dotés de pouvoirs accrus, souverains dans leur secteur économique et administratif. Dans le domaine des approvisionnements, le Gossnab, Comité d’Etat aux approvisionnements, allait à l’encontre de l’autonomie des entreprises qui ne disposaient pas plus qu’avant du libre choix des fournisseurs et des clients.
Dans ce contexte tendu d’échec à répétition, la lueur d’espoir est venue de la sonde venera-4 à destination de Vénus. Lancée de Baykonur sur une fusée Molniya 8K78M le 12 juin 1967, la sonde a atteint Vénus le 18 octobre après 128 jours de voyage. Venera-4 avait été fabriqué à l'usine SA Lavochkin, en tirant parti de l'expérience acquise des voyages interplanétaires depuis 1960. Le dernier projet Vénus était Venera-3. Le 1er mars 1966, la sonde, contenant un système de communication radio, des instruments scientifiques, des sources d'alimentation électrique et des médaillons portant les armoiries de l'URSS, avait touché Vénus. Cependant, les systèmes de communication avaient échoué avant que les données planétaires puissent être renvoyées. Venera-4 est entré dans l'atmosphère vénusienne et a pu, pendant plus d’une heure trente transmettre de nombreuses données. Des signaux ont été renvoyés par le vaisseau spatial, qui a déployé un parachute après avoir freiné à une vitesse subsonique dans l'atmosphère vénusienne, jusqu'à ce qu'il atteigne une altitude de 24,96 km. D’après Chertok, « pendant 1h de descente du module sur son parachute, on en avait appris plus sur les secrets cachés sous les nuages de Vénus que la science avait découvert au cours des siècles précédents[4] ».
[1] "Soviet Plans Manned Trip Round Moon." Washington Post. June 4. 1967. p. A9
[2] Le 10 mars 1967, un prototype Soyouz 7K-L1P lancé par Proton sur une orbite terrestre. Le lanceur et le bloc D ont fonctionné correctement et ont placé le vaisseau spatial dans une trajectoire translunaire. Le vaisseau spatial n'était pas dirigé vers la lune, n'avait pas de bouclier thermique pour la rentrée et aucune récupération n'était prévue ou tentée. Un lancement réussi qui a créé une fausse confiance juste avant la série d'échecs qui suivraient. Deuxième lancement le 8 avril, le lancement se déroule dans des vents de 17-18 m / s et la L1 atteint l'orbite terrestre. Cependant, l'étage d'injection translunaire du bloc D ne parvient pas à tirer. Le vaisseau spatial a brûlé deux jours plus tard lorsque l'orbite s'est décomposée. L'échec est imputé à Mishin qui a commis plusieurs erreurs.
[3] Nikolay Kamanin, “A Goal worth Working for.” no. 45. p. 9 cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.
[4] Boris Y. Chertok, Rockets and People, vol. 4: The Moon Race, NASA, coll. « NASA History series » (no 4110), 2006
En mai 1967, un mois après la mort de Komarov, au Salon du Bourget, deux astronautes de la NASA, le lieutenant-colonel Michael Collins et le lieutenant-colonel David R. Scott, ont fait une apparition conjointe avec les cosmonautes soviétiques Pavel I. Belyayev et Konstantin P. Feoktistov. Au cours du cocktail, les langues se sont déliées, les cosmonautes ont fait part aux deux américains qu’il y aurait encore plusieurs vols en orbite terrestre avant un vol circumlunaire. Dans ses mémoires, Collins rappelle : « Belyayev lui-même s'attendait à effectuer un vol circumlunaire dans un avenir pas trop lointain »[1]. Face aux manques d’informations sur le programme russe, la révélation était importante. Il est étonnant de constater l’optimisme des cosmonautes russes malgré la catastrophe de Soyouz 1, en tout cas, optimisme affichée en public.
Le 1er octobre 1967, l’académicien Obraztsov a déclaré que la prochaine étape dans la conquête de l’espace serait un vol autour de la lune, avant un atterrissage lunaire. Sedov, prudent, avait déclaré en septembre aux journalistes que « le vol habité vers la lune n’était pas la priorité absolue de l’astronautique soviétique, car il fallait encore résoudre les problèmes de retour vers la terre ». Bien difficile pour les occidentaux de savoir précisément où en était le programme spatial soviétique.


Georgy A. Tyulin, au premier plan, et Youri Mozzhorin, Directeur du NII-88
En mai 1967, un mois après la mort de Komarov, au Salon du Bourget, deux astronautes de la NASA, le lieutenant-colonel Michael Collins et le lieutenant-colonel David R. Scott, ont fait une apparition conjointe avec les cosmonautes soviétiques Pavel I. Belyayev et Konstantin P. Feoktistov. Au cours du cocktail, les langues se sont déliées, les cosmonautes ont fait part aux deux américains qu’il y aurait encore plusieurs vols en orbite terrestre avant un vol circumlunaire. Dans ses mémoires, Collins rappelle : « Belyayev lui-même s'attendait à effectuer un vol circumlunaire dans un avenir pas trop lointain »[1]. Face aux manques d’informations sur le programme russe, la révélation était importante. Il est étonnant de constater l’optimisme des cosmonautes russes malgré la catastrophe de Soyouz 1, en tout cas, optimisme affichée en public.
Le 1er octobre 1967, l’académicien Obraztsov a déclaré que la prochaine étape dans la conquête de l’espace serait un vol autour de la lune, avant un atterrissage lunaire. Sedov, prudent, avait déclaré en septembre aux journalistes que « le vol habité vers la lune n’était pas la priorité absolue de l’astronautique soviétique, car il fallait encore résoudre les problèmes de retour vers la terre ». Bien difficile pour les occidentaux de savoir précisément où en était le programme spatial soviétique.
Immédiatement après l’accident de Soyouz 1, et malgré le doute qui régnait, les ingénieurs de TsKBEM ont repris les différents programmes, persuadés que les problèmes rencontrés par le vaisseau seraient rapidement corrigés. Six jours seulement après la mort de Komarov, le concepteur en chef Mishin a établi un nouveau plan provisoire pour le projet circumlunaire, avec quatre engins spatiaux automatisés 7K-L1 volant autour de la Lune entre juin et août 1967, suivis de trois vols pilotés permettant de respecter les engagements pris pour novembre 1967. En juin, de nouveaux retards ont été constatés en raison du travail considérable et chronophage réalisé par la commission d’enquête. Il était clair pour la plupart des hauts responsables du programme spatial que l'amarrage de Soyouz et la mission EVA seraient reportés au début de 1968. Lors d'une réunion de la Commission d'État début juin 1967, le président Tyulin décida officiellement d'abandonner l'option d'amarrage en orbite pour le projet circumlunaire et d'opter pour le lancement de cosmonautes sur le nouveau propulseur UR-500K Proton. Pour sécuriser ce changement, il accepta d’introduire deux missions circumlunaires automatisées supplémentaires dans le programme, soit un total de six vols automatisés avant le vol piloté. Deux missions avaient déjà volé en mars et avril 1967[2], avec des résultats mitigés, il restait donc quatre vols d’essais à effectuer qui validerait, ou pas, la date sacrée de novembre 1967. La pression était telle pour célébrer l'anniversaire avec une mission pilotée circumlunaire que les quatre vols restants furent programmés en juillet avec l’ancien système de parachute, car il n’était pas possible, faute de temps, d'installer une version corrigé suite au dysfonctionnement du vol de Komarov.
Mi-juillet, il était évident pour la plupart des membres de la Commission d'État que les ingénieurs seraient incapables de respecter la date limite. Le premier véhicule 7K-L1 entièrement équipé, le vaisseau spatial n°4, venait tout juste de terminer ses tests expérimentaux en juillet après quatre longs mois. Les tests suivants devaient durer encore plusieurs semaines. Ustinov, Serbin et Smirnov étaient paniqués sachant que le premier lancement du Saturn V était prévu pour la fin de 1967, côté soviétique, le N1 étaient encore loin de voler. Lors d'une réunion de hauts fonctionnaires en août 1967, Ustinov furieux s’est adressé à Mishin : « Nous avons une fête dans deux mois. Et les Américains vont lancer à nouveau. Mais qu'en est-il de nous ? Qu'avons-nous fait ? Imaginez octobre 1967. »


lancement dans la nuit de la fusée Proton UR-500K avec le vaisseau 7K-L1
Le 7 septembre, la Commission d'État du L1 s'est réunie pour fixer une date pour le lancement du premier vol circumlunaire d'un vaisseau spatial 7K-L1. Les principaux concepteurs en chef ont confirmé que le propulseur et le vaisseau étaient fiables à 99%. Mishin, plus prudent et moins confiant dans les systèmes pensait que le vol était fiable à 60%. Selon le plan, après avoir volé autour de la lune et se diriger vers la terre, le vaisseau spatial aurait deux profils de rentrée possible : une rentrée balistique directe dans l'océan Indien ou une rentrée guidée plus préférable au Kazakhstan. Par mesure de précaution, le gouvernement soviétique a signé un accord avec le gouvernement indien au début de septembre permettant à des engins spatiaux soviétiques d'être amenés sur le sol indien, et d’être récupéré.
Malgré quelques légers dysfonctionnements au cours des jours précédant le lancement, le véhicule 7K-L1, vaisseau spatial n°4L, a décollé à l'heure prévu dans la nuit noire à Tyura-Tam à 01 heures 11 minutes 54 secondes, heure de Moscou, le 28 septembre 1967. Le représentant de l'armée de l'air, le lieutenant général Kamanin, se souvient de la scène :
Il m'a tout de suite semblé, ainsi qu’à d'autres observateurs, que la fusée montait plus lentement que d'habitude.
Mais aucun de nous n'a regarder les secondes, et nous espérions tous que c'était le lancement nocturne inhabituel de la fusée qui nous empêchait d'évaluer correctement le décollage. Lorsque les unités latérales du premier étage se sont désaccouplées, nous étions prêts à oublier nos doutes, mais tout à coup, le système de sauvetage automatique est entré en action, et la masse brûlante a brusquement changé de direction et a commencé à plonger vers la Terre[3]
L’un des six moteurs RD-253 du premier étage Proton ne s’était pas mis en marche à l’allumage. L’ascension a été régulière pendant soixante et une seconde, entraînant à T + 67 secondes un écart par rapport à la trajectoire de vol, provoquant l’allumage du système de secours d’urgence. Le propulseur L'UR-500K Proton s'est écrasé à environ soixante-cinq kilomètres de la plate-forme de lancement. Bien que déstabilisé lors de la séparation, la capsule L1 a atterri en toute sécurité à 65 km au nord de l'aérodrome de Baykonur. Un hélicoptère Mi-6 a récupéré la capsule et l'a ramenée au cosmodrome à 13h30. Lors de sa récupération, la capsule était entourée d’un étrange nuage brun jaunâtre de tétroxyde d'azote et de diméthylhydrazine asymétrique, rappelant les dangers de l'utilisation de propulseurs stockables sur un propulseur destiné à lancer des humains dans l'espace.
Malgré l’échec du lancement et le triste record de Mishin qui totalisait un seul lancement réussi sur les sept essais du Soyouz et du L1, Mishin souhaitait toujours lancer le prochain L1 d'ici le 28 octobre. Les autres concepteurs en chef se sont opposés à cette décision. Barmin a annoncé qu’il faudrait au moins cinq mois pour diagnostiquer la cause des échecs et apporter des correctifs pour s'assurer qu'ils ne se reproduiraient plus. Néanmoins, les dirigeants se sont rangés du côté de Mishin et Barmin a reçu l'ordre de préparer le Proton pour un lancement dans les 30 à 40 jours. La période serait chargée pour les ingénieurs de TsKBEM car Mishin avait également programmé les premiers vols post-Komarov du vaisseau spatial Soyouz en octobre. Ceux-ci seraient suivies du lancement de L1 du 1er au 22 novembre.


Mishin en difficulté
Le 7 octobre, au Kremlin, Ustinov a réuni les principaux concepteurs pour évoquer l’avenir du programme L1. Le concepteur en chef Glushko a rendu compte des raisons de la panne du Proton du 28 septembre. La panne d'un seul moteur au premier étage était survenue à cause du blocage d'alimentation du propulseur par un bouchon en caoutchouc. Le bouchon était manifestement tombé dans le moteur lors de son assemblage à l'usine n ° 19 de Perm. Ustinov a fustigé le ministre des Industries aéronautiques Petr V. Dementyev pour sa négligence en la matière, précisant à son auditoire que l'échec de Proton avait coûté au gouvernement soviétique 100 millions de roubles et un retard de deux à trois mois dans le programme circumlunaire. Tous les rapports du ministre de la Construction générale des machines mentionnaient l’inefficacité des sous-traitants dans leur travail et leur livraison.
Malgré la grande réforme de l’entreprise engagée par Brejnev et Kosyguin en 1965, les résultats étaient décevants et révélaient la persistance des problèmes liés à des habitudes prises dans les années 1930. L’objectif de la réforme était d’entrer dans une phase de développement plus intensive de l’industrie, avec une volonté de donner plus d’autonomie aux entreprises. Pour stimuler cette autonomie, on laissait à la disposition des entreprises une partie des bénéfices, appelé « fonds de stimulation », dont bien évidemment le montant était déterminé par des normes strictes pour empê-