an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

premiers échecs

[1] Nikolay Kamanin, “A Goal worth Working for.” no. 45. p. 8 cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

[2] Nikolay Kamanin, “A Goal worth Working for.” no. 45. p. 9 cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

Les tests au sol du premier Soyouz ont débuté le 12 mai 1966. Les ingénieurs ont rencontré de nombreux problèmes, comptabilisant jusqu’à 2.123 défauts dans le véhicule. Les résolutions de ces problèmes ont retardé le programme de plus de trois mois. Les pressions politiques pour accélérer le développement étaient très fortes, il fallait absolument devancer les Américains. Le ministre adjoint de MOM, Litvinov, tenait chaque matin des réunions opérationnelles sur le sujet et a octroyé des primes de productivité. Pour superviser les essais de l’engin Soyouz, le gouvernement a créé une nouvelle commission d’Etat en octobre 1966 dirigé par le major Général Kerim A. Kerimov. Kerimov était un ancien des forces de missiles stratégiques et Korolev avait déjà évoquer son nom pour présider des commissions. Ce choix est assez surprenant, Kerimov, n’avait aucun titre ministériel contrairement à la Commission pour le N1-L3 présidé par le ministre Afanasyev ou encore la Commission d’état pour le L1 dirigé par le vice-ministre Tyulin. Kerimov n’était que le chef de la troisième direction générale du ministère.

Un vaisseau spatial Soyouz 7K-OK doté d'un mécanisme d'amarrage « passif » subit un traitement de pré-lancement à Tyuratam.

Tout au cours de l’été 1966, les hauts responsables du programme spatial ont travaillé sur la mission d’amarrage. La quasi-totalité des systèmes à bord du vaisseau spatial 7K-OK Soyouz étant automatisé, il a été décidé de réaliser une mission de rendez-vous et d’amarrage automatisée à grande échelle en lieu et place des deux vols solo prévus initialement. Le premier vaisseau spatial (n°1) est arrivé à Tyura-Tam le 9 septembre, suivi du deuxième véhicule (n°2) le 5 octobre 1966. Le matin du 18 novembre, la commission s'est réunie à Tyura-Tam en vue des prochains lancements doubles prévus du 26 au 27 novembre. Le vaisseau spatial n°2, appelé le Soyouz actif, serait lancé en premier, suivi vingt-quatre heures plus tard par le vaisseau spatial n°1, le Soyouz passif. Si lors de l’insertion orbitale, le navire passif se situait à moins de vingt kilomètres du véhicule actif, l'amarrage aurait lieu entre les deux navires lors de la première ou la deuxième orbite du véhicule passif. Si la distance était plus grande, l'amarrage aurait lieu un jour plus tard. Si tous les systèmes fonctionnaient idéalement, les deux engins spatiaux resteraient amarrés pendant trois jours ; tous deux atterriraient le quatrième jour de leurs missions respectives. Les deux pads (aux sites 1 et 31) devant lancer le booster 11A511 devraient être disponibles pour les lancements. Cela signifiait que la commission devrait obtenir la permission de l'armée de l’Air pour retarder le lancement d'un satellite de photo-reconnaissance Zenit-4 prévu depuis l'une de ces positions. Les lancements Soyouz marqueraient les premiers lancements du propulseur 11A511, présentant une modification marginale du lanceur 11A57 antérieur utilisé pour Voskhod. Une dernière réunion de la Commission d'État a eu lieu le 25 novembre, fixant les lancements pour les 28 et 29 novembre. Le jour du lancement, Kamanin a écrit :

Nous attendions ces lancements depuis plus de quatre ans. Aujourd'hui et demain nous verrons les lancements sur lesquels s'articulera l'avenir de notre programme spatial : tous les vaisseaux spatiaux lunaires sont basés sur Soyouz[1].

Le premier vaisseau spatial Soyouz a décollé avec succès à 16 heures, heure de Moscou, le 28 novembre 1966 de Tyura-

Tam. L'agence de presse soviétique TASS a renommé le vaisseau spatial Cosmos-133 et comme il était d'usage, n’a pas indiqué que le vol avait un lien avec le programme spatial piloté. Dès le début de la mission, les problèmes ont commencé à surgir. Lorsque la charge utile s’est séparée du lanceur, la pression dans les réservoirs du système de moteur d'amarrage et d'orientation est passée de 340 atmosphères à 38 atmosphères en 120 secondes. En moins de quinze minutes, la quasi-totalité du propulseur était consommée. Ces moteurs étant indispensable pour régler le control d’altitude lors de l’amarrage, les possibilités d’accostage avec le second Soyouz étaient compromises. Kerimov et Mishin ont immédiatement décidé d'annuler les préparatifs du deuxième lancement et de concentrer leurs efforts pour tenter de ramener Cosmos-133 sur terre.

Les propulseurs du système d'amarrage et d'orientation étaient nécessaires non seulement pour le rendez-vous et l'accostage, mais aussi pour positionner le vaisseau spatial dans une attitude correcte pour déclencher le moteur de désorbitation principal, et le retour sur terre. Pendant près de deux jours, les équipes au sol sous le contrôle de Chertok ont réalisé plus de cinq mises à feu pour tenter de placer Cosmos-133 sur une trajectoire de retour. Mais la trajectoire de descente n’était pas bonne, et la capsule avait commencé à dépasser le territoire soviétique et à se diriger vers la Chine. La Commission a décidé de mettre à feu de système d’autodestruction composé de vingt-trois kilogrammes de TNT, détruisant totalement la capsule. Des débris sont apparemment tombés dans l'océan Pacifique à l'est des îles Mariannes. La mission avait duré environ un jour, vingt et une heures.

Anatoli Kirillov a dirigé le personnel militaire du complexe de lancement de Tyura-Tam lors des premiers tests du vaisseau spatial Soyouz

Bien que le vol puisse difficilement être considéré comme réussi, la mission a permis aux ingénieurs et aux contrôleurs au sol d'évaluer le fonctionnement de tous les systèmes Soyouz dans des conditions réelles de vol. Le système d'orientation était stable et le moteur principal pouvait être tiré à plusieurs reprises sous vide. De nombreux membres de la Commission d'État, dont le président Kerimov, Mishin et Ryazanskiy pensaient que Cosmos-133 aurait pu être récupéré en toute sécurité s'il y avait eu un cosmonaute à bord au lieu d'un mannequin. Les Commissions d’enquête ont statué le 8 décembre, mentionnant que le vaisseau avait subi trois pannes majeures : l'échappement du propulseur dans le moteur d'amarrage et d'orientation, une stabilisation insuffisante de l'engin spatial, et une panne de l'instrument de télémétrie lors de la quinzième orbite. Ils ont constaté que les échecs n'avaient rien à voir avec des défauts de conception, mais plutôt des problèmes d'assemblage et de test. La Commission d'État a recommandé que le deuxième Soyouz, le 7K-OK passif, soit lancé au plus tard le 18 décembre sur un vol en solo. Si tout se passait bien, les cosmonautes s'envoleraient dans l'espace à bord de deux véhicules Soyouz différents fin janvier ou début février.

Le décollage du véhicule n°1 7K-OK, le deuxième du programme Soyouz, était prévu pour le 14 décembre 1966, à 14h00 heure de Moscou, depuis le site 31 de Tyura-Tam. Les derniers préparatifs se sont déroulés normalement et toutes les stations au sol ont reçu l’annonce d’un décollage dans la minute. A l’allumage, les flammes et la fumée habituelles sont apparues sous la fusée, mais très rapidement les flammes se sont éteintes et la fusée est resté immobile sur le pad de lancement. L'une des quatre chambres de combustion du Bloc G n’avait pas fonctionné, car l'allumeur ne s'était pas déclenché. Toute la séquence avait été interrompue, et les moteurs avaient été coupés. Par sécurité, l'alimentation électrique du lanceur avait été complètement coupée, et de l'eau avait été déversée sur le pas de tir.

Les ingénieurs ont estimé que la fusée pourrait être réutilisé dans un délai relativement court de deux à trois jours. Elle semblait stable et Kirillov a ordonné à ses officiers de retourner à la rampe de lancement et de sécuriser le véhicule. Kirillov, Mishin, Kerimov et leur entourage sont sortis du bunker et se sont dirigés vers le pas de tir. Pour accéder aux moteurs du premier étage, la plate-forme de service inférieure s’est déployée afin que le personnel puisse vérifier les éléments et les câblages. Après l’inspection initiale, le personnel a commencé à se préparer au désamorçage de la fusée. Les bras géants du portique de service se sont mis en mouvement pour donner aux techniciens l’accès au reste de la fusée. Selon Kamanin, cette décision a également été dictée par la nécessité de protéger la fusée contre le vent exceptionnellement fort. Pendant que les bras se déplaçaient, un énorme éclair et une très forte détonation ont secoué l’installation. Sous le regard stupéfié de nombreux témoins, le système d’évacuation d’urgence au sommet de la fusée s’est mis en action, propulsant la partie supérieure du vaisseau Soyouz dans les airs. Le parachute s’est ouvert, et le vaisseau est retombé à environ cinq cents mètres du pas de tir.

Sur le complexe de lancement, les deux modules de la charge utile libérés se sont écrasés au sol et quelques instants plus tard, des flammes sont apparus au sommet de la fusée. Kirillov a lancé l’ordre à tout le personnel de réintégrer les bunkers. Les équipes avaient encore en tête les images de la catastrophe de Nedelin, et l’évacuation vers les bunkers de sécurité s’est réalisé très rapidement. Le feu s’est propagé lentement au début, permettant sans doute d’éviter une catastrophe de grande ampleur. Après deux minutes, les flammes se sont propagées sur la fusée et les explosions se sont succédé. La plus forte déflagration a soufflé les fenêtres des bâtiments situés jusqu’à un kilomètre de l’épicentre de l’explosion. Kamanin, qui se situait à environ 7700 mètres du pas de tir a écrit :

J'ai couru vers la maison des cosmonautes et j'ai ordonné à tous ceux qui étaient là de sortir rapidement des chambres et d’aller dans les couloirs. En quelques secondes, une série d'explosions assourdissantes a secoué les murs du bâtiment. Le stuc est tombé et toutes les fenêtres ont été brisées. Les chambres étaient jonchées de verre brisé et de morceaux de stuc. Des fragments de verre ont frappé les murs comme des balles. De toute évidence, si nous étions restés dans les chambres quelques secondes de plus, nous aurions tous été fauchés par du verre brisé. En regardant par les ouvertures des fenêtres, j'ai vu d'énormes colonnes de fumée noire et le châssis de la fusée dévoré par le feu…[2]

Le vaisseau Soyouz après son atterrissage, près du pas de tir détruit.

Miraculeusement, personne n’a été blessé. Une seule personne est décédée, le major Leonid Korostylev, de l’équipe de personnel de lancement de Kirillov qui s’était réfugié derrière les murs de béton de la rampe de lancement. De nombreux autres soldats et officiers ont été blessés. Le lendemain de l'accident, deux soldats ont trouvé la mort en éteignant l'incendie. Ils avaient enlevé prématurément leurs masques à gaz et ont été asphyxiés.

Les conclusions de l’enquête ont montré un dysfonctionnement du système gyroscopique qui a continué à fonctionner alors que toutes les alimentations de la fusée étaient coupées. Environ 27 minutes après le lancement interrompu, l’angle du rotor du gyroscope a « dépassé » la limite permise dans le système de référence, envoyant un signal d’activation au système d’évacuation d’urgence. Maigre consolation pour les ingénieurs, le système d’évacuation avait parfaitement fonctionné permettant de ramener une capsule vide sur terre…

Les ingénieurs ont introduit un certain nombre de modifications de conception du système de sauvetage sur la base des recommandations de la commission des accidents, notamment en veillant à ce que le moteur à propergol solide du système puisse être arrêté manuellement ou à distance immédiatement après un abandon.

L'explosion et la destruction d'un booster 11A511, d’un vaisseau spatial Soyouz et de la plate-forme du site 31 a considérablement retardé la mission pilotée Soyouz. La Commission a décidé d’intégrer dans le programme, en janvier, un autre vol automatisé Soyouz à partir de l’aire de lancement restante sur le site 1, le site 31 serait hors de service au moins jusqu’au mois de mai. La mission de rendez-vous de suivi de deux vaisseaux Soyouz habités a été repoussée à mars 1967.

Le 18 décembre, Mishin a proposé un calendrier extrêmement serré aux dirigeants de l’équipe de construction responsable des réparations au site 31 :

  • D’ici le 1er janvier : Achèvement du nettoyage et du démontage de l’équipement endommagé ; la livraison d’équipement de soutien et de documentation technique au site de lancement ;

  • D’ici le 15 janvier : Achèvement de la pose d’un nouveau câblage ;

  • D’ici le 1er février : Matériel de soutien au lancement qui sera livré au site de lancement ;

  • 10 avril - 1er mai : Achèvement des travaux de restauration ; essai de l’équipement de soutien ;

  • 14 avril - 15 mai : Essais de l’équipement de soutien au lancement ;

  • D’ici le 1er juillet : Achèvement des tests intégrés de tous les systèmes.

Le prix à payer pour la restauration du site 31 (atteignant environ 4 millions de roubles) a obligé Mishin à demander des fonds supplémentaires. Lors d’une rencontre avec les cosmonautes, le 17 janvier 1967, Mishin a promis un décollage du dernier vol Soyouz automatisé à la fin de janvier, suivi d’une mission de rendez-vous habitée en mars de la même année.

La catastrophe du lancement de Soyouz n’a jamais été officiellement annoncée. En 1994, le cosmonaute russe Gennadi Strekalov a fait l’une des premières révélations sur la catastrophe du 14 décembre 1966, lors d’une réunion à Houston. L’incident a ensuite été décrit dans l’histoire officielle de RKK Energia, et dans les mémoires de Boris Chertok, avec plus de détails provenant des journaux intimes de Nikolaï Kamanin et Vasily Mishin. L’année se terminait sans un seul vol soviétique, la première année blanche depuis le vol de Gagarine.

Préparation du troisième vaisseau Soyouz en janvier 1967

Le troisième vaisseau Soyouz a été préparé fin janvier 1967. Le décollage du troisième Soyouz était prévu pour le 6 février, à 06h00 heure de Moscou, mais le compte à rebours a été interrompu à H-4, à cause d’un problème de tension électrique. Le problème électrique ayant été rapidement résolu, la Commission d’État a donné son feu vert à l’approvisionnement en carburant de la fusée et au décollage. Le temps hivernal extrême persistait toujours à Tyura-Tam, avec moins 22 degrés à l’extérieur et des rafales de vent atteignant entre 7 et 8 mètres par seconde. Pendant les derniers préparatifs, un problème mineur dans le système de chauffage sur la rampe de lancement a nécessité un délai de 20 minutes. Le Soyouz 7K-OK n° 3 a décollé le 7 février 1967, à 06 :20 heure de Moscou. L’ascension s’est passée normalement, et l’insertion orbitale a été correcte. La mission a été annoncée dans la presse soviétique sous le nom de Cosmos-140. Comme d’habitude, l’annonce officielle n’a fourni aucune information sur la nature réelle du lancement.

Le Soyouz a effectué ses trois premières orbites autour de la Terre sans aucun problème. Selon Chertok, les problèmes sont apparus lors de la quatrième orbite. Le véhicule n'a pas répondu aux ordres de s'orienter pour faire tourner les panneaux solaires face au soleil afin de recharger les batteries embarquées. Le système de capteur d'astro-orientation utilisé pour cette manœuvre avait manifestement mal fonctionné. Pour aggraver les choses, les niveaux de propergol dans le système de contrôles d'altitude avaient chuté à des niveaux de 50 pour cent pendant ce test. Après des discussions houleuses, il a été décidé de renforcer l’orbite du vaisseau pour empêcher un retour prématuré. Le moteur du Soyouz 7K-OK n°3 a finalement tiré pendant 58 secondes pendant la 22ème orbite de la mission, permettant d’obtenir une vitesse de 36 mètres par seconde, insérant le vaisseau spatial dans une orbite de 310 par 220 kilomètres. La consommation de propergol étant trop importante, les membres de la commission ont cherché à mettre fin au vol le plus tôt possible. La Commission d'État a décidé d'utiliser le système de capteur ionique d'orientation pour positionner le véhicule dans la bonne attitude avant le rétro freinage. Malgré les doutes du chef du département TsKBEM Raushenbakh, le système a fonctionné sans problème et l'appareil de descente du Cosmos-140 a commencé sa rentrée. Le service de recherche et de sauvetage a reçu de faibles signaux de l'appareil de descente, qui provenaient manifestement de la mer d'Aral, loin à l'ouest du site d'atterrissage prévu. Environ quatre heures après l'atterrissage, les chercheurs ont découvert l'appareil de descente à onze kilomètres du cap Shevchenko, couché sur un iceberg dans la mer d'Aral. C'était le premier atterrissage en mer d'un véhicule piloté soviétique. Malheureusement, peu de temps après la découverte de la capsule, celle-ci a coulé à travers la glace à une profondeur d'une dizaine de mètres.

La récupération de la capsule s'est avérée extrêmement difficile, et l'armée de l'air a dû faire appel à une équipe de plongeurs. Avec beaucoup de difficulté, un hélicoptère Mi-6 a réussi à remonter et à emmener la capsule vers le rivage. Dans leur analyse, les ingénieurs ont découvert un trou de trente millimètres sur dix dans la partie centrale inférieure du véhicule, qui avait entraîné une perte de pression au début de la descente atmosphérique et le naufrage de la sonde. Si un équipage avait été à bord, il serait mort, puisque les membres d'équipage de Soyouz ne portaient pas de combinaison spatiale lors de la rentrée. Comme lors du précédent vol d’essai Soyouz sans pilote, la véritable mission de Cosmos-140 est restée secrète en URSS jusqu’à la publication de l’Encyclopédie de cosmonautique en 1985, qui a identifié les satellites Cosmos dans le cadre du programme d’essais Soyouz, mais n’a fourni aucun autre détail que les dates de lancement et d’atterrissage de ces missions.