an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Soyouz 1, le drame

La Commission Utkin a rendu ses conclusions le 20 juin, l’échec de libération du parachute principal était la cause de l’accident. Pour les différents parachutes, la séquence d’ouverture était la même : un premier parachute de tirage s'ouvrait, il tirait le parachute de freinage qui ralentissait suffisamment le vaisseau pour pouvoir permettre l'ouverture du parachute principal. Lors de la descente de Soyouz-1, les parachutes de tirage et de freinage se sont bien ouverts, mais ils n'ont pas permis de sortir le parachute principal de son compartiment. Les capteurs ont détecté que la vitesse de descente était trop élevée, et ils ont déclenché la séquence d'ouverture du parachute secondaire. Mais comme le parachute de freinage du parachute primaire n'avait pas été largué, il a empêché le parachute secondaire de se déployer.

La commission d'enquête a conclu officiellement que du fait d'une différence de pression trop importante, le compartiment des parachutes s'était déformé et avait compressé le parachute principal. C’est pour cette raison que le parachute de freinage n'a pas délivré suffisamment de force pour pouvoir le sortir. Des ingénieurs du TsKBEM ont réalisé des tests et ont découvert que la force générée par un compartiment de descente de 2800kg n'était pas suffisante pour extraire le parachute principal de son container. Il s'agissait donc d'un très grave défaut de conception. Si Soyouz-1 n'avait pas rencontré ses problèmes de panneau solaire et d'orientation, le lancement de Soyouz-2 aurait été autorisé, et son équipage aurait connu le même sort que Komarov. Pour éviter que cette situation ne se reproduise, le container des parachutes a été agrandi, de manière que le parachute soit moins compressé. Une autopsie de Komarov a confirmé qu'il était mort à l'impact avec le sol et que les effets de l'incendie étaient secondaires. Ce défaut n’avait pas été découvert avant le vol car les vols précédents étaient non habités, le contrôle à ce niveau moins important. La défaillance du panneau solaire gauche a été attribué au fait qu’il était resté accroché au couvercle du bouclier extérieur. Concernant le capteur 45K, son défaut de fonctionnement était lié à l’embuage de sa surface optique qui ne lui permettait plus de localiser les étoiles.

Une version non officielle, non inclus dans les rapports, mais mentionné par Chertok dans ses mémoires attribue l’accident à une négligence grave des techniciens de l'usine de fabrication de TsKBEM. Pendant les préparatifs avant le vol, les deux navires Soyouz avaient été revêtus de matériaux de protection thermique, puis intégrés dans une chambre d'essai à haute température pour polymériser la résine synthétique. Dans le cas des deux vaisseaux Soyouz, les techniciens ont testé les véhicules dans la chambre avec leurs conteneurs de parachute, mais apparemment sans les couvertures thermiques pour les conteneurs. Du fait de l’oubli des couvertures, les intérieurs des conteneurs de parachute ont été recouverts d'un revêtement polymérisé, qui a formé une surface très rugueuse, empêchant finalement le parachute de se déployer sur Soyouz 1.

Il est évident à postériori que le vol de Soyouz 1 n’aurait jamais dû avoir lieu à cette période. Le vaisseau spatial n'a pas été suffisamment testé et il n'était certainement pas prêt pour une première mission aussi ambitieuse. Même si les participants ont toujours nié l’existence de pression politique, il y a eu une pression implicite de la part de Brejnev, d’Ustinov et de Serbin. Ce n'était pas seulement une question de prestige soviétique dans l'exploration spatiale, c'était aussi une nécessité pour certains grands Concepteurs de réussir. Lorsque Brejnev ou Ustinov se sont plaints du manque de succès soviétiques dans l'espace, cela s'est traduit par une pression politique sur Mishin, Kerimov, Keldysh et d'autres. Même si la pression n’était pas directe, il fallait satisfaire les impératifs politiques.

Il aurait été normal, après les échecs de 1966 et 1967, d’ajouter une nouvelle mission Soyouz au programme pour notamment vérifier les paramètres de rentrée dans l’atmosphère qui avaient posé problèmes. Sur les trois tentatives de lancement, Mishin et ses équipes n’avaient récupéré qu’un seul appareil de descente, dont le système de protection thermique avait connu une grave défaillance. Les concepteurs en chef adjoints Konstantin D. Bushuyev et Yakov Tregub du TsKBEM ont mené une analyse détaillée en février et mars 1967 pour savoir s’il était nécessaire de programmer une nouvelle mission automatisée ou s’il était possible de passer à une mission habitée malgré les évènements. La plupart des ingénieurs du TsKBEM interrogé ont privilégié la mission habitée, estimant que les améliorations apportées au bouclier thermique seraient suffisantes.

Le 25 mars 1967, la Commission militaro-industrielle du Président Smirnov s'est réunie pour discuter des préparatifs de la mission. Après les discours du président Kerimov, de Mishin et de Kamanin, Smirnov a demandé : « Pensez-vous que l'équipement fonctionnera sans problème ? » Kamanin a répondu :

Les trois lancements de vaisseaux spatiaux Soyouz et la réalisation de tous les tests au sol nous ont donné la certitude que le vol sera couronné de succès. Bien qu'à un moment donné, certains cosmonautes aient eu des doutes sur la protection thermique du vaisseau, nous savons que le Bureau central de conception de la construction de machines expérimentales a travaillé dur pour le renforcer. Le Concepteur en chef Mishin a déclaré à plusieurs reprises qu'il ne devrait plus y avoir de doutes sur la protection thermique. Nous avons confiance en Mishin[1].

De gauche à droite : Gagarine, Khrunov, Komarov, Yeliseyev et Bykovskiy.

Kamanin a présenté tous les cosmonautes se préparant au vol : les huit membres d'équipage principaux et suppléants - Bykovskiy, Gagarine, Gorbatko, Khrunov, Komarov, Kubasov, Nikolayev et Yeliseyev - ainsi que les quatre doublures qui devaient voler. Komarov et Bykovskiy (pour Soyouz 1), Yeliseyev et Khrunov (pour Soyouz 2) étaient les principaux candidats. Mishin a personnellement rencontré Ustinov deux jours plus tard pour discuter du vol. Cette décision de poursuivre le programme sans ajouter de vol intermédiaire a fait l’objet de nombreuses controverses et spéculation pendant près de trente ans.

Un ingénieur TsKBEM, qui a émigré plus tard aux États-Unis dans les années 1970, a mentionné :

La direction du bureau d'études savait que le véhicule n’était pas entièrement fiable : il fallait plus de temps pour le rendre opérationnel. Mais le Parti communiste a ordonné le lancement malgré le fait que quatre lancements préliminaires avaient révélé des défauts dans les systèmes de coordination, de contrôle thermique et de parachute. Selon la rumeur, Vasiliy Mishin, le concepteur en chef adjoint qui dirigeait l'entreprise après la mort de Korolev en 1966, s'était opposé au lancement.

Le dirigeant soviétique Léonid Brejnev (à gauche) et le membre du politburo Dmitri Oustinov ont joué un rôle clé dans le programme spatial soviétique à une époque où le vaisseau spatial Soyouz était sur le point d'atteindre la rampe de lancement.

Il y a eu manifestement beaucoup de pression politique de la part de Brejnev et d’Ustinov pour réaliser ce vol. Les Américains avaient effectué dix missions Gemini alors que les soviétiques n’avaient pas réalisé de vols habités depuis près de deux ans. La fête du 1er mai, l'une des fêtes les plus importantes de la culture soviétique, approchait et le vol Soyouz devait être programmé pour coïncider avec cette fête. Il semble qu’un simple vol automatisé pour cette date aurait eu une faible importance. Lorsqu'on a demandé à Mishin lors d'un entretien en 1990 s'il avait subi des pressions pour mener à bien la mission, il a répondu :

Non, les délais et la pression n'ont rien à voir avec cela. Aucun superviseur d'un des systèmes Soyouz n'aurait donné le « feu vert » au vol s'il n'était pas certain du bon fonctionnement des systèmes[2].

Tout laisse à penser que la principale raison de ce choix était la nécessité de combler le décalage et le retard pris par les Soviétiques face aux Américains dans la course à l’exploration spatiale. Korolev avait pris des risques avec les deux missions Voshkod. La sortie extra-véhiculaires de Voshkod 2 n’avait pas été précédé d’une mission réussie. Mais Soyouz était un vaisseau extrêmement plus complexe. Le 9 mars, Kamanin, dans une longue interview à Radio Varsovie, a déclaré que les vols pilotés reprendraient ce printemps. Il a ajouté que les Soviétiques n’avaient pas arrêté de date particulière et que le vol n'aurait lieu que lorsqu'il serait assuré de réussir. Il a laissé entendre que la mort récente des trois astronautes américains était le résultat d'une précipitation inutile du programme spatial américain, une erreur que ne reproduiraient pas les Soviétiques.

Après un programme de formation très intense, les huit cosmonautes principaux et de réserve de la mission ont passé leurs examens finaux le 30 mars, et tous ont réussi avec des notes exceptionnelles. Le 6 avril, les hommes ont été reçus au Kremlin pour rencontrer des hauts fonctionnaires du Comité central et recevoir des vœux de bonne chance. Le même jour, Kamanin, accompagné de cosmonautes vétérans et débutants, s'est envolé pour Tyura-Tam, Komarov a suivi le 8 avril et Gagarine le 1er avril.

Cérémonie sur la rampe de lancement du site 1 à Tyuratam le 22 avril 1967

Le 14 avril, la Commission d’Etat a décidé de commencer le ravitaillement des deux lanceurs. Le premier lancement était prévu pour les 24 et 25 avril. La mission serait inaugurée par le lancement du 7K-OK Soyouz 1, le premier jour, avec Komarov. Le lendemain, pendant que le navire survolerait Tyura-Tam, le passif 7K-OK Soyouz 2 serait lancé avec Bykovskiy, Yeliseyev et Khrunov. Les deux engins spatiaux accosteraient sur la toute première orbite de Soyouz 2 ; ce serait le premier amarrage de deux vaisseaux spatiaux pilotés. Après l'accostage, Yeliseyev et Khrunov sortiraient de leur compartiment d'habitation dépressurisé et ramperaient vers la section dépressurisée de Soyouz 1. Après le transfert, Soyouz 1, avec un équipage de trois personnes, reviendrait le lendemain. Soyouz 2, avec Bykovskiy, reviendrait également le même jour. Juste une semaine avant le lancement, le 15 avril, Kamanin a écrit dans son journal :

Personnellement, je ne suis pas entièrement convaincu que tout le programme de vol soit mené à bien, même s’il n’existe pas de motifs suffisant pour s'opposer au lancement. Dans tous les vols précédents, nous avons cru au succès. Aujourd'hui, nous n’avons pas une telle confiance dans la réussite. Les cosmonautes sont bien préparés, et les navires et les instruments ont subi des centaines de tests et

de vérifications, et tous semblent prêts pour un vol réussi, mais la confiance n’est pas totale. Il nous manque peut-être l’optimisme de Korolev[3].

Le ravitaillement de la fusée Soyouz 1 a commencé à 23 heures, heure de Moscou, le 15 avril. Le matin du 17 avril, les cosmonautes ont suivi un dernier cours de cinq heures sous la supervision de Raushenbakh pour étudier à nouveau les modes d'amarrage, d'orientation, etc. A la fin de la journée, le ravitaillement en carburant du lanceur Soyouz 1 était terminé tandis que le ravitaillement en carburant du propulseur Soyouz 2 avait commencé. Ainsi, le lancement était officieusement prévu du 24 au 26 avril.

Le Conseil des concepteurs en chef s'est réuni le matin du 18 avril pour discuter une dernière fois de la question de l'amarrage. Le président de la commission d'État Kerimov a soutenu une approche automatique via l'lgla de cinquante à soixante-dix mètres, suivi d'un amarrage manuel. La réunion finale de la Commission d'État avant le lancement a eu lieu le 20 avril sur le site 2. Le lancement de Soyouz 1 a été fixé à 03 heures 35, heure de Moscou, le 23 avril, tandis que le lancement de Soyouz 2 a été fixé à 03 heures 10, heure de Moscou, le lendemain. Tous les concepteurs en chef ont confirmé que les lanceurs, les vaisseaux spatiaux et les services de soutien étaient prêts. La commission a également officiellement approuvé les équipages pour les deux missions et a donné le feu vert officiel pour le vol.

Mishin, Komarov, Feoktistov, Gagarine et Kerimov marchent vers la fusée sur le site 1 à Tyura-Tam aux premières heures du 23 avril 1967.

À trois heures, Komarov est arrivé au bloc de lancement pour faire un bref discours au président de la Commission d'État Kerimov, puis a embrassé Mishin, Kamanin et Gagarine qui l'a accompagné jusqu'à la fusée ; Gagarine est monté avec lui tout le long du chemin jusqu'au sommet de la fusée et y est resté jusqu'à ce que l'écoutille se referme. Il n’y a eu aucune anomalie avant le lancement. La fusée Soyouz 7K-OK n°4 a décollé exactement à l'heure à 03 h 35, heure de Moscou, le 23 avril 1967, avec son unique passager, le colonel ingénieur Vladimir M. Komarov, âgé de quarante ans. C’était le premier cosmonaute soviétique à effectuer un deuxième vol spatial. Le vaisseau a mis 540 secondes pour entrer en orbite avec succès. L'agence de presse officielle soviétique TASS a publié une brève déclaration, appelant le vol Soyouz 1, et a annoncé les paramètres orbitaux et quelques vagues objectifs du programme. Même si la rumeur courrait en occident d’un deuxième lancement et d’un amarrage, il n'y a eu aucune mention de la mission imminente Soyouz 2. Le cosmonaute Popovich a informé la femme de Komarov, Valya, que son mari était en orbite environ vingt-cinq minutes après le lancement. Elle a déclaré aux journalistes : « mon mari ne me dit jamais quand il part en voyage d'affaires[4] ». Très rapidement, les ingénieurs au sol ont été informés que le panneau solaire gauche de l'engin spatial Soyouz ne s'était pas ouvert lors de l'entrée en orbite.

Deux autres anomalies sont apparues rapidement : une antenne de secours dans le système de télémétrie était inopérante et la surface optique de l'antenne solaire-stellaire de 45K avait probablement été endommagée par les gaz d'échappement du moteur. Les dommages sur l’antenne était considérée comme mineur, par contre, le dysfonctionnement du capteur était grave car sans celui-ci Soyouz 1 serait incapable d'orienter correctement le vaisseau pour les opérations du rendez-vous et de l'accostage. C'est lors de la deuxième orbite que les contrôleurs ont établi pour la première fois des communications stables avec Komarov. Il a rapporté calmement :

Je me sens bien. Les paramètres de la cabine sont normaux. Le panneau solaire gauche ne s'est pas ouverte. Il n'y a pas eu de rotation vers le Soleil. Le « courant solaire » est de 14 ampères. Les communications en ondes courtes ne fonctionnent pas. Tentative de rotation manuelle. La rotation ne s'est pas produite, mais la pression dans les moteurs d'orientation a chuté à 180[5].

Dans la mesure où un panneau solaire n'était pas opérationnel et que le navire n'avait pas réussi à orienter automatiquement l'autre vers le Soleil, la puissance à bord du navire était bien inférieure à la normale, l'intensité du courant électrique n'était en conséquence que de 14A, bien en-deçà de la valeur nominale de 24A. Les experts en énergie avaient calculé que les batteries tampons pouvaient fonctionner avec les niveaux de puissance actuels jusqu'à la dix-septième orbite, après quoi Komarov pourrait utiliser des batteries de réserve pour deux orbites supplémentaires. Cela signifiait que Soyouz 1 pouvait fonctionner en toute sécurité pendant environ une journée, nettement moins que les trois jours nécessaires pour une mission d'amarrage. Malgré les troubles, la Commission d’État a estimé que le problème d’orientation serait résolu et a recommandé que les préparatifs pour le lancement de Soyouz 2 se poursuivent.

Soyouz 1 a rencontré trois problèmes. Le premier, le non-déploiement du panneau solaire gauche privant le vaisseau de la puissance générée attendue. Comme le panneau droit s'était déployé correctement, le vaisseau était fortement asymétrique, ce qui a provoqué l'interruption de la rotation longitudinale. Au moment d'effectuer la manœuvre de freinage pour rentrer dans l'atmosphère, cette configuration générera une forte instabilité. Deuxièmement, le dysfonctionnement du capteur ionique n’a pas permis à Komarov d’orienter manuellement le vaisseau et enfin, le plus grave, la perte du capteur 45K qui devait permettre l’amarrage mais aussi l’allumage du moteur SKD lors du retour. Effectivement, à ce moment, le vaisseau devait être orienté selon un angle très précis pour éviter que le vaisseau aborde les couches supérieures de l’atmosphère selon un mauvais angle qui pourrait le disloquer.

Entre les orbites 7 et 13, aucune communication n’était possible car le vaisseau ne passait pas au-dessus de l'Union soviétique.

La fusée Soyouz (11A511) sur la rampe de lancement de Tyura-Tam.

Pendant ces orbites, Komarov a tenté à plusieurs reprises de mettre son vaisseau en rotation pour réduire les contraintes thermiques et permettre à son unique panneau solaire de capter un maximum d'énergie. Il a cherché à s'orienter manuellement en utilisant le capteur ionique, mais sans résultat. Komarov a tenté de rentrer dans l'atmosphère lors de l'orbite n°17, mais il n'y est pas parvenu car il a traversé une « poche d'ions » qui a rendu le capteur ionique aveugle. Le vaisseau en était maintenant à sa dix-huitième orbite, et les batteries étaient quasiment épuisées. Il existait encore les batteries de secours, qui ne dureraient qu’une ou deux orbites. La Commission a décidé de tenter une rentrée en mode manuel. Gagarine a transmis à Komarov les instructions suivantes :

Oriente manuellement le vaisseau sur l'horizon terrestre à 02h00 GMT pendant la phase éclairée de l'orbite, bascule de 180° pour t'orienter en vue de la rentrée. Avant d'entrer dans l'ombre de la Terre, active la stabilisation avec les gyroscopes KI-38. Quand tu émerges de l'ombre, ajuste l'orientation manuellement, et maintien-toi comme ça. A 02h57'15" GMT met le moteur SKD en service. Il doit fonctionner pendant 150". Au bout de 150", si l'intégrateur ne le fait pas, arrête le moteurs[6].

Komarov n'avait jamais été entraîné pour ce type de scénario, mais il s’est adapté parfaitement. Il a réussi à s'orienter manuellement et a allumé le SKD à l'heure dite. Le moteur a fonctionné pendant 146" et s'est arrêté à 02h59'38,5" GMT. Soyouz-1 a entamé enfin sa rentrée dans l'atmosphère. A 03h15'14" GMT, les capteurs de température ont détecté la rentrée dans l'atmosphère et ont lancé la séquence de séparation des trois compartiments. A 03h22 GMT, les militaires ont détecté Soyouz-1 et ont confirmé qu'il suivait la trajectoire prévue. Il allait atterrir à 65km à l'est de la ville d'Orsk, dans le sud de la Russie. Selon les données balistiques, Soyouz a atterri à 06 h 24, heure de Moscou.

Dès localisation du site d’atterrissage, le service de recherche et de sauvetage de la ville d'Orenbourg a été mis en service pour localiser l'appareil de descente. C'était une belle matinée ensoleillée et la visibilité était très bonne. Les membres du service de secours ont rappelé que :

Le commandant de l'un des avions de recherche AN12 a signalé au commandant de l'hélicoptère qu'il pouvait voir Soyouz-1 dans les airs. Tous les membres du groupe étaient aux fenêtres. Mais nous ne pouvions pas voir le véhicule de rentrée descendre dans le ciel. Le commandant de l'hélicoptère a entamé une descente rapide. Ensuite, l'hélicoptère a tourné brusquement vers la droite, et de nombreux membres du groupe ont vu le véhicule de rentrée descendre vers un champ vert. Il était couché sur le côté et le parachute était visible juste à côté. Et puis les moteurs d’atterrissage en douceur ont démarré. Cela a alerté les spécialistes de l'hélicoptère, car les moteurs étaient censés s'allumer juste avant l'atterrissage du véhicule de rentrée, juste au-dessus du sol[7].

[1] Nikolay Kamanin, “For Him. Living Meant Flying." cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

[2] Salakhutdinov, “Once More about Space” p. 4, cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

[3] Nikolay Kamanin and Nemov, "Komarov's Star: The Tragic Details of the Testing of the 'Soyuz-I' Space Ship" cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

[4] Peter Smolders, Soviets in Space, Taplinger Pub. Co, 1974, p. 156.

[5] Nikolay Kamanin and Nemov,, "Komarov's Star": The Tragic Details of the Testing of the 'Soyuz-I' Space Ship" cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974..

[6] Boris Y. Chertok, Rockets and People, vol. 3: Hot days of the Cold War, NASA, coll. « NASA History series » (no 4110), 2006, page 437

[7] losif Oavydov, “How Could That Have Been? Slandered Space", Rossiyskaya gazeta. June 1 I. 1992, p. 5.

[8] Nikolay Kamanin and Nemov, "Komarov's Star: The Tragic Details of the Testing of the 'Soyuz-I' Space Ship" cité par Asif A. SIDDIQI dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

[9] losif Oavydov, “How Could That Have Been? Slandered Space", Rossiyskaya gazeta. June 1 I. 1992, p. 5.

[10] Nikolay Kamanin and Nemov, "Komarov's Star: The Tragic Details of the Testing of the 'Soyuz-I' Space Ship" cité par Asif A. SIDDIQI dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

Retour au sol de Komarov

Le premier hélicoptère a atterri à moins de 100 mètres de la capsule, qui était entourée d'un nuage de fumée noire. Le feu à l'intérieur du véhicule était encore très intense, tandis que le fond de la capsule, où se trouvaient les moteurs d’atterrissage en douceur, avait complètement brûlé. Kamanin a atterri à l'aéroport d'Orsk environ deux heures après l'impact de Soyouz 1, dans l'espoir d'y rencontrer Komarov. A sa sortie d’avion, on lui a dit que le navire avait atterri à soixante-cinq kilomètres, qu'il brûlait et que le cosmonaute n'avait pas été retrouvé. Le général de l'armée de l'air a décidé de se rendre en premier directement sur le site d'atterrissage. Lorsque Kamanin est arrivé sur le site, l'appareil de descente Soyouz 1 était toujours en feu. Il n'y avait toujours aucun signe du cosmonaute. Les résidents locaux ont rapporté que le navire était tombé vers la Terre à une grande vitesse et que le parachute tournait et n'était pas rempli d'air. Ils ont confirmé les observations du service de recherche et de sauvetage selon lesquelles au moment de l'atterrissage, des explosions se sont produites à la suite de l'incendie. Kamanin se souvient :

Un examen rapide du navire m’a convaincu que Komarov était mort et était toujours dans les restes de ce qui était son vaisseau. J'ai ordonné de récupérer les débris sur le sol et de rechercher le corps de Komarov. Simultanément, j'ai envoyé un des ouvriers en hélicoptère et d'autres en automobile à l'hôpital local afin de vérifier l'histoire d’un cosmonaute blessé. Après une heure de fouilles [c'est-à-dire vers 9 h 30], nous avons découvert le corps du cosmonaute Komarov parmi les restes du navire[8].

L'un des sauveteurs a rappelé :

Les médecins du groupe se sont mis au travail - ils ont enlevé à la pelle la couche supérieure de terre du sommet du monticule. Après que la saleté et certaines parties des instruments et équipements aient été enlevées, le corps du cosmonaute a été retrouvé allongé sur le siège central. Les médecins ont nettoyé la saleté et les restes du casque de la tête. Ils ont déclaré que la mort était due à de multiples blessures au crâne, à la moelle épinière et aux os[9].

Pendant ce temps, Kamanin est rentré à Orsk et a personnellement téléphoné au secrétaire du Comité central Ustinov :

J'étais sur place, le cosmonaute Komarov est décédé. Le vaisseau a brûlé. Le parachute principal du vaisseau ne s'est pas ouvert et le parachute de réserve ne s’est pas gonflé d'air. Le vaisseau a percuté le sol à une vitesse de 35 à 40 mètres par seconde : après l'impact, il y a eu une explosion des moteurs de freinage et un incendie s'est déclenché. Je n'ai pas pu faire un rapport sur la situation du cosmonaute plus tôt car personne ne pouvait rien voir, et pendant cette période, nous avons éteint le feu dans le vaisseau en le recouvrant de terre. Après avoir effectué des fouilles, nous avons pu retrouver le corps de Komarov[10].

Le 24 avril à midi, Ustinov a appelé le secrétaire général soviétique Brejnev, qui était à une conférence internationale des partis communistes en Tchécoslovaquie, lui communiquant des informations sur l'accident. Ustinov a également édité un rapport pour l’agence TASS, qui a été publié après douze heures de silence de la presse soviétique. La ligne officielle était que le vol s’était bien déroulé jusqu'à la rentrée, « lorsque le parachute principal a été déployé à une hauteur de 7 kilomètres, le vaisseau spatial, selon les rapports préliminaires, s'est écrasé à grande vitesse en raison de l'enchevêtrement des cordons de parachute, et a tué Komarov. La mort prématurée de l'éminent cosmonaute et ingénieur d'essai des engins spatiaux Vladimir Mikhaïlovitch Komarov est une lourde perte pour tout le peuple soviétique ».

Les funérailles de Komarov

En début d'après-midi, les membres de la Commission d'Etat, Kerimov, Keldysh et les concepteurs en chef Mishin, Tkachev et Severin sont arrivés au point d'impact escortés par des agents du KGB. Les restes de Komarov ont été ramenés dans un cercueil à Moscou. A bord de l'avion se trouvaient Keldysh, Kamanin et les autres cosmonautes qui s'étaient entraînés pour la mission : Bykovskiy, Gagarine, Gorbatko, Khrunov, Kubasov, Nikolayev et Yeliseyev. Ils ont été accueillis à l’aéroport de Moscou par la veuve de Komarov, Valentina Yakovlevna Komarova. Le 26 avril, le Parti et le gouvernement soviétiques lui ont donné des funérailles d'État avec tous les honneurs et ses cendres, comme celle de Korolev ont été enterrés dans le mur du Kremlin.

La mort de Vladimir Mikhaylovich Komarov a porté un coup catastrophique au programme spatial soviétique. Outre le coût psychologique de la perte d'un cosmonaute sur une mission spatiale, la catastrophe a immédiatement stoppé les trois grands projets spatiaux pilotés par les Soviétiques - le Soyouz, le L1 et le L3. Tout espoir d'accomplir un vol circumlunaire à la fin de 1967 devenait quasiment impossible, l'atterrissage d'un cosmonaute soviétique sur la Lune à la fin de 1968 devenait totalement fantaisiste à ce stade.

Le coup moral était énorme, non seulement aux bureaux de conception, instituts et unités militaires impliqués dans le projet, mais aussi à la nation dans son ensemble. Tous les vols pilotés ont été annulés indéfiniment. Le 27 avril, Ustinov a rencontré les principaux représentants de l'industrie spatiale et a créé une commission gouvernementale spéciale dirigée par lui-même pour déterminer les causes de l'accident. Cette commission comprenait sept sous-commissions, dont l’une d’elle enquêtant sur l'atterrissage lui-même, dirigé par Viktor V. Utkin, un ingénieur aéronautique respecté. La commission comprenait deux représentants de TsKBEM, le concepteur en chef Mishin et le concepteur en chef adjoint Bushuyev, ainsi que Gagarine et Bykovskiy, les cosmonautes de réserve de Soyouz 1 et 2.