Le programme Circumlunaire
Le calendrier validé par la Commission était le suivant :
• Septembre 1966 - essai au sol d'un navire (7K-L1 n°1P) à Tyura-Tam
• Octobre 1966 - deux essais automatisés d'orbite terrestre (utilisant 7K-L1 n°2P et 3P)
• Novembre-décembre 1966 - deux vols circumlunaires automatisés (utilisant 7K-L1 n°4 et 5)
• Décembre 1966-mai 1967 - cinq vol pilotés circumlunaire avec équipage transféré sur le 7K-L1 en orbite terrestre après avoir été lancé sur le 7K-OK-T Soyouz (utilisant 7K-L1 n°6 à 10)
• Juin-septembre 1967-quatre vol circumlunaire avec des équipages lancés dans le 7K-L1 (utilisant 7K-L1 n°11 à 14)
En 1966, le programme L1 est devenu prioritaire sur le L3 plus complexe, qui ne pourrait être prêt pour l’anniversaire imminent de la Grande Révolution d'Octobre à la fin de 1967. Le vaisseau spatial 7K-L1 (également appelé simplement "L1") était une version du 7K-OK Soyouz épurée, réduite pour s'adapter aux contraintes de masse de 5,1 à 5,2 tonnes pour une mission circumlunaire utilisant la fusée UR-500K de Chelomey, et la combinaison d'étage supérieur Bloc D de Mishin. La principale différence entre le Soyouz et le L1 était la disparition du compartiment vivant transformant le L1 en un vaisseau spatial compact à deux modules construit pour un objectif spécifique avec peu de place pour des évolutions futures. Les deux modules étaient l'appareil de descente et le compartiment des instruments.


Montage de l’unité centrale du complexe L1
Le module de descente avait un volume interne de 5,5 m3 mais seuls 2,6 m3 étaient disponibles pour l'équipage qui y passerait huit à dix jours. L'énergie était fournie par des panneaux solaires dont l'envergure totale était d'environ 9 mètres pour une superficie de 11 m² et qui fournissaient environ 800 Watts. Le module de descente différait de la version standard du vaisseau Soyouz par l'ajout d'une écoutille latérale sur le côté (nécessaire pour que l'équipage puisse s'installer dans le vaisseau du fait de l'absence du module orbital qui disposait de cette écoutille) qui a entraîné la suppression du parachute de secours et par l'emport d'instruments utilisés par les cosmonautes pour la navigation interplanétaire comme le premier ordinateur embarqué soviétique, l'ArgoN11s. D'autres composants du vaisseau Soyouz standard ont été supprimés comme le périscope imposé par la présence du module orbital, le capteur d'horizon. Les panneaux solaires avaient une taille réduite. Le bouclier thermique était renforcé pour supporter la rentrée atmosphérique à grande vitesse, il était largué avant l'atterrissage sur Terre.
Comme dans le 7K-OK Soyouz, le compartiment d'instrumentation était divisé en trois sections : le compartiment de transfert, le compartiment à instruments et le compartiment à agrégats. Le compartiment à instruments pressurisé contenait les batteries de stockage et de secours et des instruments de bord supplémentaires pour les systèmes internes. Le compartiment à agrégats à
l'arrière du navire contenait le seul moteur à forte poussée du vaisseau spatial, le S5.53, développé par le KB Khimmash, dirigé par le concepteur en chef Isayev. Il utilisait un mélange d'ergols hypergoliques d'AS-27 et de UDMH dont il emportait 400 kg.
Le vaisseau 7K-L1 proprement dit avait une masse de 5 600 à 5 680 kg, une longueur de 4,796 mètres et un diamètre compris entre 2,18 et 2,72 mètres. La longueur totale sur le pad de l'UR-500K, du Bloc D, du 7K-L1 et la combinaison de tour d’évacuation de lancement mesuraient un peu plus de soixante et un mètres.
Le déroulement d’une mission type, d’une durée de 7 à 8 jours débuterait par le lancement du booster Proton UR-500K avec ses charges utiles 7K-L1 et Bloc D. Après l'extinction et la séparation du troisième étage du lanceur, le bloc D utiliserait une première fois son moteur durant 140 secondes pour placer la charge utile sur une orbite circulaire de 205 km et une inclinaison orbitale de 51,5°. Les cosmonautes à bord vérifieraient l'état de tous les systèmes pendant une période d'une orbite ou un jour. Après cette phase de vol non propulsée, le moteur-fusée du Bloc D serait allumé de nouveau pour placer le vaisseau sur une trajectoire de transit vers la Lune. Le bloc D serait ensuite éjecté. Le navire 7K-L1 ferait le tour de la Lune à une distance minimale de 2 000 kilomètres. Au cours des sept jours de vol, le moteur principal S5.53 du navire effectuerait trois ou quatre corrections à mi-course : la première sur la trajectoire de départ à 250 000 kilomètres de la Terre et les deuxième et troisième sur la trajectoire de retour à 320 000 et 150 000 kilomètres de la Terre. Arrivé à proximité de la Terre, le module de service serait largué et le module de descente pénètrerait dans l'atmosphère avant de se poser au sol non loin de la base de lancement.
Ce calendrier permettait de réaliser l’objectif annoncé d’une mission circumlunaire pilotée avant le cinquantième anniversaire de la Grande Révolution d'Octobre en novembre 1967.
Comme pour la plupart des échéanciers des programmes spatiaux, il y eu de nombreux retards. Le 9 décembre 1966, lors d’une réunion du Conseil des Concepteurs en chef, Mishin a présenté un nouveau calendrier pour le programme L1. Les vols d'essai automatisés de la première phase ne comprendraient plus que quatre missions. Parmi celle-ci, les deux premiers (2P et 3P) seraient en orbite terrestre pour tester les tirs du Bloc D, tandis que les deux autres (4L et 5L) effectueraient des missions circumlunaires à grande échelle et reviendraient sur Terre. Une fois ces vols terminés en mars-mai 1967, le premier équipage s'envolerait vers la Lune le 25 juin 1967 à bord du 6L. Tous les concepteurs ont émis des doutes sur ce calendrier, mais Mishin leurs a répondu qu’il n’en était pas à l’origine, mais qu’il lui avait été dicté par Ustinov et Smirnov. Le 30 décembre, lors d’une réunion de la Commission, Mishin, Chelomey et Barmin ont précisé que tous les systèmes étaient en bonne voie de réalisation pour un premier lancement du L1 à la fin janvier 1967.
Il restait à discuter de la sélection des équipages pour le projet. Début décembre, une liste de quatorze cosmonautes a été retenue. Le groupe L1, indépendant du groupe Soyouz, devait suivre un programme de formation de cinq mois à compter du 1er janvier 1967. Chaque équipage comprendrait un commandant qui avait l'expérience d'une précédente mission spatiale. En janvier 1967, onze hommes ont été sélectionnés pour s'entraîner pour le projet, dont Leonov et Popovich, tous deux favoris pour le premier vol.