an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Le L1 prend son envol

L’échec a ralenti le programme circumlunaire, et la perspective d’une première mission pilotée en juin ou juillet devenait utopique, surtout avec le travail important à faire sur le programme Soyouz. Il restait tout de même encore un peu d’espoir pour que deux hommes soviétiques fassent le tour de la Lune avant la date limite de novembre 1967. Cet espoir allait être de très courte durée.


[i] Kamanin N.,"A Goal worth Working for." no. 46. p. 9 cité par Asif A. SIDDIQI dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

Les premiers essais au sol du vaisseau spatial 7K-L1 combiné avec l’UR-500K-Bloc D ont lieu avec succès en janvier 1967 à Tyura-Tam. Malgré cette réussite, les retards ont continué à s’accumuler. Lors d'une réunion de la Commission d'Etat le 14 février, le premier vol d'essai du 7K-L1, initialement prévu pour janvier 1967, a été reporté à la fin février ou au début mars. Les deux premiers vols testeraient principalement l'étage Bloc D TLI avec deux tirs : l'un pour atteindre l'orbite terrestre et le second pour augmenter la charge utile pour échapper à l’orbite terrestre. Aucune récupération n’était prévue sur aucun des deux vols. Incroyablement, la commission espérait toujours effectuer quatre missions automatisées avant une mission piloté prévue le 26 juin 1967, d’autant plus que sur cette période, Mishin devait réaliser une opération d’amarrage de deux vaisseaux en orbite terrestre avec le transferts de cosmonautes. Mishin et son adjoint Chertok tentait de mettre la pression aux différents sous-traitants, mais l’absence d’un organe de coordination, tel que la NASA, faisait cruellement défaut.

La capsule Apollo 1 après l'incendie

Le tragique accident d’Apollo 1 aux Etats-Unis a quelque peu ralenti la course à l’espace. Début 1967, La NASA se préparait pour le premier vol du module de commande et de service Apollo, le vaisseau spatial destiné à emmener les premiers astronautes sur la Lune. La première mission, Apollo 1, était prévue pour tester en profondeur tous les systèmes essentiels à bord. La mission de quatorze jours, dont le lancement était prévu le 21 février 1967, devait être piloté par les astronautes, le lieutenant-colonel Virgil Grissom, le lieutenant-colonel Edward White et le lieutenant-commandant Roger Chaffee. Grissom et White avaient déjà effectué des missions spatiales. En préparation du lancement, les membres d'équipage simulaient un compte à rebours le 27 janvier, lorsque des arcs de câblage électrique dans une baie d'équipement du module de commande ont déclenché un incendie. Dans l'atmosphère d’oxygène pur de la capsule, l'équipage a succombé à des brûlures et à l'asphyxie quelques minutes après le début de l'incendie. La NASA a immédiatement annulé toutes les autres missions du programme Apollo et créé plusieurs équipes pour déterminer les causes de l'accident. Des analystes extérieurs ont prédit que cela retarderait le programme Apollo d'au moins un an, sinon plus. L'accident a permis à l'Union soviétique d’avoir une chance de rattraper les États-Unis après une inactivité de près de deux ans. Cette tragédie a certainement redonné un peu d’espoir aux soviétiques dans cette course à la Lune.

Le premier vaisseau spatial 7K-L1, véhicule n°2P a été lancé de Tyura-Tam à 14 h 30 minutes 33 secondes, heure de Moscou, le 10 mars 1967, sur un lanceur Proton à quatre étage. Le vaisseau spatial a été nommé Cosmos-146 en entrant en orbite, sans doute pour cacher la véritable mission du véhicule. Le lanceur et l’étage bloc D, qui était testé pour la première fois, ont fonctionné correctement et placé le vaisseau spatial dans une trajectoire translunaire. Le vaisseau spatial n'était pas dirigé vers la lune, il n'avait pas de bouclier thermique pour la rentrée et aucune récupération n'était prévue ou tentée, il a brulé lors de sa rentrée dans l’atmosphère. Le succès de Cosmos-146 a récompensé les ingénieurs qui avaient travaillé sur le programme pendant plus d'un an. Le deuxième véhicule spatial 7K-L1, vaisseau spatial n°3P, a été rapidement préparé en moins de trente jours pour le lancement suivant. Le véhicule répéterait exactement la même mission que son prédécesseur, mais le deuxième tir de Bloc D aurait lieu après une journée en orbite terrestre. Le 6 avril, Chelomey, Glushko, Barmin et d'autres concepteurs en chef sont arrivés à Tyura-Tam pour assister au lancement, avec dix cosmonautes qui s'entraînaient pour les vols circumlunaires. C'était la première fois qu'ils voyaient réellement le lanceur. Le 8 avril, les concepteurs et les invités ont assisté au lancement depuis le site 92, l'emplacement du bâtiment d'essai d'assemblage du Proton, à un peu plus d'un kilomètre et demi du site de lancement.

Le booster a décollé à exactement 12 heures, 33 secondes, heure de Moscou. Malgré des rafales de vent de dix-huit mètres par seconde, les performances des quatre étages ont été correctes. Le vaisseau 7K-L1 de 5 020 kilogrammes est entré sur une orbite de 186 x 232 kilomètres avec une inclinaison de quinze degrés et demi par rapport à l'équateur. L’agence TASS a désigné la mission sous le nom de Cosmos 154. Environ quarante minutes après le lancement, tous les membres de la Commission d'Etat se sont réunis au bureau du colonel Kirillov, le nouveau commandant adjoint du cosmodrome, pour féliciter Chelomey. Tout au long de la journée, les contrôleurs au sol ont surveillé tous les systèmes à bord de l’étage Bloc D-L1 en orbite terrestre, conscients du fait que ce serait la première fois dans le programme spatial soviétique qu'un étage supérieur se déclencherait après un séjour de vingt-quatre heures en apesanteur et dans le vide. Malheureusement, le 9 avril, l'étage d'injection translunaire du bloc D n’a pas réussi à tirer une seconde fois. Après une analyse des données, les ingénieurs de TsKBEM ont estimé qu'un interrupteur d'instrument avait été laissé dans la mauvaise position en raison d'une négligence de leur part. L'instrument a été utilisé pour déclencher un système de moteurs qui stabilisaient le propulseur après le premier tir du moteur principal Bloc D. Deux ensembles de petites fusées SOZ, chargées de diriger le carburant dans les tuyaux d'alimentation de la propulsion principale durant la phase d'apesanteur, ont été largués par erreur après le premier allumage du bloc D et n'ont pu être mis en œuvre pour le deuxième allumage de l'étage. La responsabilité de l’erreur a été impacté à Mishin. Le président de la Commission, Tyulin, furieux a injurié Mishin, précisant qu’« il avait cinq fois plus d’arrogance que Korolev et dix fois moins de compétence [i]». Cosmos-154 est restée sur son orbite terrestre basse pendant environ deux jours avant de se décomposer naturellement.

Le lanceur Proton sur son pas de tir