La fin de Voshkod
Le premier travail de Mishin en tant que concepteur en chef de TsKBEM a été d'évaluer l'état du programme Voskhod. A la mort de Korolev, il y avait des plans immédiats pour trois à quatre missions Voskhod et cinq missions Soyouz. La première, Voskhod 3, était une mission de longue durée avec les cosmonautes Volynov et Shonin, prévue depuis près d'un an. La réussite américaine de Gemini VII en décembre avait mis la pression sur les Russes. Le Voskhod 4 suivant serait un vol scientifique, avec des expériences de gravité artificielle, piloté par Beregovoy et le scientifique Katys, tandis que Voskhod 5 serait une mission militaire avec les cosmonautes Shatalov et Demin. Une mission supplémentaire, avec seulement des chiens, précéderait Voskhod 3 pour tester les systèmes de maintien de vie prolongée sur le vaisseau spatial.
La mission Voskhod 3 était programmée pour coïncider avec l'ouverture du 23ème Congrès du Parti communiste au début de mars 1966, comme « cadeau » aux gardiens de la doctrine soviétique. Ce vol, ainsi que les deux ou trois missions supplémentaires de Voskhod, servirait également à attendre le lancement du vaisseau spatial Soyouz, prévu pour la fin de 1966. La mission Voshkod 3 permettrait de récupérer le record de durée de mission, ferait une excellente publicité et détournerait quelque peu l’attention mondiale du programme américain Gemini.
Mishin a dirigé sa première réunion technique à l’OKB-1 le 27 janvier, deux semaines après la mort de Korolev. Il a été décidé de préparer le vaisseau spatial Voskhod 3KV n° 5 pour le lancement de deux chiens dans la première quinzaine de février. Dans le même temps, les officiels ont décidé de lancer le vaisseau spatial 3KV n° 6 (Voskhod 3) en mission de dix-huit jours du 10 au 20 mars 1966, c'est-à-dire juste après le retour du Voskhod 3KV n° 5.
par le programme Gemini. La mission EVA de Voskhod avait été pilotée sous le nom de Gemini IV (en juin 1965), et la mission de deux semaines avait été effectuée par Gemini VII (en décembre 1965). Ensuite, des manœuvres de rendez-vous et d’EVA avaient été réalisées par Gemini IX (en juin 1966, bien que le test de l'unité n'ait jamais eu lieu à cause de la sortie compliquée de l'astronaute Eugene Cernan) et l'expérience de gravité artificielle et de vol à haute apogée avait été menée sur Gemini XI (en septembre 1966).
[1] Nikolay Kamanin, Skrytiy kosmos: 1964- 1966, p. 110 ; résumé traduit par B. Hendrickx. “The Kamanin Diaries 1964- 1966”, Journal de la British Interplanetary Society, Articles


Veterok et Ugolek avant le décollage
La préparation de la mission s’est effectuée sans retard particulier et Tyulin a donné l'approbation finale pour le lancement lors d'une réunion de la Commission d'État le 17 février. Les deux chiens sélectionnés effectueraient une mission de vingt-cinq jours. Le véhicule Voskhod 3KV, vaisseau spatial n° 5, a été lancé à 23 h 10, heure de Moscou, le 22 février 1966, et nommé Cosmos-110. L'engin transportaient des chiens nommés Veterok et Ugolek. Tout au long de la mission, les deux chiens ont été nourris avec des médicaments anti-radiations et de la nourriture intubée dans leur estomac. Vingt jours après le début de la mission, les ingénieurs ont commencé à constater une dégradation progressive de la composition de l’air dans la cabine. Une commission a décidé l’interruption du vol. Le 16 mars, les contrôleurs au sol ont commencé les opérations de retour sur terre. Les chiens ont atterri en toute sécurité à 210 kilomètres au sud-est de Saratov, à environ soixante kilomètres du point d'atterrissage prévu. Le vol avait duré près de vingt-deux jours.
Les deux chiens étaient sains et sauf. Dans un rapport officiel publié deux mois après le débarquement, les médecins ont rapporté que les animaux souffraient de réduction musculaire, de déshydratation, de perte de calcium et de confusion dans la réadaptation à la marche. La mission Cosmos-110 devait ouvrir la voie à la mission pilotée Voskhod 3.
Le 27 mars 1996, quelques jours avant le départ de Voskhod 3, un satellite de communication Molniya-1 a décollé de Tyura-Tam sur son lanceur 8K78. Malheureusement, le troisième étage du Bloc I a explosé en vol, détruisant la charge utile et le lanceur. Une variante quasiment identique du Bloc I devait être utilisée pour Voskhod 3. Cette explosion a alerté toutes les équipes. Logiquement, les principaux membres de la Commission d'État se sont opposés à un lancement rapide de Voskhod jusqu'à ce que les enquêteurs aient trouvé et corrigé la cause de l'échec.
Jusqu’en avril, les ingénieurs se sont concentrés sur les problèmes du Bloc I reportant le lancement de semaine en semaine. Pendant cette période, les tests sur le système de survie se sont avérés aussi inquiétants. Les officiels espéraient encore un lancement vers le 20-27 mai 1966, mais l’opposition au vol et au programme dans son ensemble était de plus en plus importante. Le 10 mai 1966, lors d'une réunion de la Commission militaro-industrielle, Mishin, Tyulin, Kamanin et le vice-ministre de la Santé Burnazyan ont indiqué que tout était prêt pour un lancement entre les 25 et 28 mai. Contre toute attente, le président de la Commission militaro-industrielle Smirnov a proposé d’annuler complètement la mission Voshkod 3, invoquant les raisons suivantes :
Un vol de dix-huit jours n'apporterait rien de nouveau.
La réalisation de la mission Voskhod 3 retarderait le programme Soyouz, qui devait être la priorité en 1966.
« Un vol sans manœuvres en orbite et sans amarrage montrerait un retard des soviétiques sur les Américains, et serait perçu par le public comme une preuve de la supériorité américaine »[1]


Léonid V. Smirnov
Smirnov avait raison, à l’époque la NASA effectuait des missions Gemini qui montraient la supériorité américaine, Voshkod 3 n’apporterait rien de nouveau. Le 12 mai, la commission d’Etat Voshkod a entendu différents rapports sur la situation et sur les problèmes rencontrés par Voshkod 3. Un concepteur d'OKB-154 a assuré aux membres de la commission que les oscillations à haute fréquence qui avaient causé l'accident de Molniya-1 ne se reproduiraient plus, mais il n’a pas réussi à convaincre la commission. Malgré le rapport du concepteur en chef Voronin selon lequel le système de survie était enfin prêt, Smirnov a demandé l’annulation du projet s’appuyant sur les problèmes techniques rencontrés et sur l’inutilité de la mission. Le président de la Commission d'État, Tyulin, a reporté le lancement d'abord à juin, puis à la mi-juillet 1966, laissant entendre qu’il n’y aurait peut-être jamais de lancement. Malgré ces annonces de report, le programme Voshkod était bien mort en juin.
Smirnov était clairement l'instigateur de la décision, mais il semble que Mishin ait joué un rôle majeur dans sa conclusion. Il hésitait sans doute à débuter son mandat avec un vaisseau spatial obsolète qui ne garantirait qu'une sécurité faible à son équipage. Voskhod était un véhicule ancien, que les ingénieurs avaient fait évoluer depuis 1962, mais ses caractéristiques restaient extrêmement médiocres, et ce n’était qu’en rognant sur différents éléments que les ingénieurs avaient réussi à construire un vaisseau comprenant des missions EVA, de longue durée et à haute altitude. Voskhod n'avait pas la capacité de changer d'orbite et, par conséquent, de conduire des opérations de rendez-vous et d'amarrage, le plaçant clairement dans la première génération de véhicules spatiaux plutôt que dans la seconde. Plusieurs missions programmées pour Voshkod avaient été réalisées