an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Catastrophe et retards

L’autorisation de lancer le quatrième et cinquième vaisseau Vostok a été donné quasiment immédiatement. Les deux engins spatiaux étaient identiques au vaisseau lancé en août, à l'exception du système d'orientation infrarouge qui avait été à l'origine de tant de problèmes lors des missions précédentes. Le 1er décembre 1960, Spoutnik 6 emportait à nouveau deux chiens, Pchiolka et Mouchka dans l’espace. Au bout de 24 heures, lors de la dix-septième orbite, les rétrofusées qui devaient déclencher le retour sur Terre ont été mises à feu. Mais leur durée de fonctionnement était plus courte que prévu et le freinage résultant, plus réduit, entrainant une modification de la zone d'atterrissage qui se trouvait en dehors du territoire soviétique. Le vaisseau était équipé d'un système d'autodestruction afin que les secrets soviétiques ne puissent tomber entre des mains étrangères (celui-ci ne sera pas installé sur les vols habités). Il a été déclenché lors de la rentrée atmosphérique. La presse soviétique a annoncé à l'époque que le vaisseau avait été détruit à la suite d'une défaillance de son système de contrôle d'altitude.

Le 22 décembre 1960, le cinquième vol emportait les chiens Kometa et Shoutka. Le lanceur utilisait une nouvelle version du troisième étage qui permettait de porter la charge utile de 5 à 5,5 tonnes mais celui-

La catastrophe de Nedelin

En septembre et octobre 1960, l’activité était très soutenue sur le site de Tyura-Tam. Deux tentatives d’insertion de stations Interplanétaires Automatiques sur une trajectoire vers mars ont eu lieu. Les 10 et 14 octobre 1960, deux lancements de la fusée 8K78, appelée plus tard Molniya, qui avaient nécessité énormément de travail ont échoué. Les ingénieurs d’OKB-1 devaient mener simultanément quatre importants chantiers : Préparer les conquêtes de Vénus et de Mars, le lancement d'un homme dans l'espace, et la production du nouveau ICBM R -9.

En octobre 1960, dans un contexte de forte concurrence entre Korolev et Yangel dans la course à l’ICBM, ce dernier a amené son modèle R-16 à Tyura-Tam pour son premier essai. Le R-16 était opérationnel et permettrait à l 'Union Soviétique d’avoir un moyen de dissuasion stratégique à grande échelle pour soutenir la puissance militaire. Quelques jours avant le lancement prévu, le dirigeant soviétique, dans un discours aux Nations Unies, a déclaré avec audace que des fusées stratégiques étaient construites en Union soviétique « aussi simplement que des saucisses ». Les échecs des sondes martiennes avaient mécontenté Khrouchtchev qui avait fait comprendre au Maréchal Nedelin que le programme du R-16 avait pris du retard. Il attendait beaucoup de ce missile qui pourrait être caché dans des silos, à l’abri des regards des avions américains. Le lancement devait être une réussite.

De nombreux responsables se trouvaient à Tyura-Tam pour assister au premier lancement. Le lancement initialement prévu le 23 octobre a été reporté à la suite de problèmes d’alimentation et à une fuite importante du propulseur. Les réparations se sont achevées avec succès dans la nuit, et toutes les opérations préalables au lancement se sont déroulées comme prévu jusqu'à trente minutes avant l'heure de lancement fixée le 24 octobre. A ce moment, il y avait encore environ 200 officiers, ingénieurs et soldats près de l'aire de lancement, dont le maréchal Nedelin. Yangel et Mrykin venaient de rentrer dans le bunker de lancement pour fumer une cigarette. Exactement trente minutes avant le départ, le missile a explosé soudainement sur la plateforme de tir libérant un brasier énorme tout autour de la zone de tir.

R-16 sur le Pas de tir

En quelques secondes, la fusée s’est cassée en deux et est tombée sur son socle. Le feu et la chaleur se sont intensifiés à mesure que tous les propulseurs s'enflammaient. De nombreuses personnes ont été englouties par les flammes, tandis que d'autres succombaient aux gaz toxiques en quelques minutes.

Au cours des jours qui ont suivi, les travailleurs ont

commencé l’horrible tâche d'identifier les corps. Une commission spéciale dirigée par Yangel a été formée immédiatement pour enquêter sur l'accident. L'échec s'est manifestement produit lorsque le deuxième étage du R-16 s’est allumé sur la plateforme en raison d'une défaillance du système de commande, enflammant ainsi les propulseurs du premier étage. Nedelin lui-même n'a été identifié que par sa médaille attachée à son uniforme. Cent-vingt-six personnes étaient mortes dans l'explosion, y compris de hauts responsables militaires, des concepteurs en chef adjoints et de

nombreux soldats. L'ensemble de l'incident a été gardé secret et le décès du maréchal Nedelin a été annoncé suite à un accident d’avion, une version que les Soviétiques ont maintenu officiellement jusqu'au début de 1989. Brejnev, missionné sur place, s’est efforcé de minimiser le désastre, conscient que la responsabilité ultime incombait au Parti qui avait fixé des délais de livraison déraisonnables pour développer ce missile dans la précipitation, en pleine crise de Berlin. Personne ne sera puni, surtout pas Brejnev lui-même. Viktor Kuznetsov, l’un des survivants du drame, s’est souvenu dans ses mémoires d’un Brejnev en pyjama, dans sa chambre d’hôtel, lui répétant : « Moscou attend le rapport. Ne vous noyez pas dans les détails, juste quelques conclusions générales, et cela suffira… »[1]. L'interdiction de discuter du désastre entre les survivants n’a été levée qu'en 1990, trente ans après la tragédie.

La catastrophe du R-16 a été dévastatrice pour le programme de missiles soviétiques. Elle a entraîné bien sûr un retard sur le programme Vostok. Konstantin N. Rudnev, âgé de quarante-neuf ans, le leader industriel du programme spatial et missile, a pris la place de Nedelin à la présidence de la Commission d'État pour Vostok. Les travaux sur le programme Vostok ont repris deux semaines après la catastrophe de Nedelin. Le calendrier initial d’un vol humain en décembre était devenu irréaliste. Dans le meilleur des cas, un premier vol piloté ne pourrait être effectué avant la fin de février 1961. A cette époque, la NASA envisageait également le premier vol suborbital au début du printemps. Ainsi, malgré les retards associés à la catastrophe du R-16 et d'autres problèmes techniques, il existait encore une faible marge de sécurité dans le nouveau calendrier.

Le 22 décembre 1960, récupération de Kometa et Mouchka malgré l'échec du lancement

ci s'est éteint prématurément, 452 secondes après le début du tir, à la suite de la destruction du générateur de gaz. Après être monté jusqu'à une altitude de 214 km, le vaisseau a atterri en Sibérie à 3 500 km du pas de tir. Les chiens ont été récupérés vivants malgré le froid intense et l'échec du système d'éjection des passagers. Ce dernier point, ainsi que l'échec de la séparation entre le module de descente et le module de service, a constitué un revers dans le programme de qualification du vaisseau Vostok 1.

Ces deux dernières tentatives manquées n’étaient pas encourageantes. Le programme Korabl-Spoutnik venait de connaître deux échecs consécutifs majeurs. La date provisoire de la Commission d'État du 1er février 1961 pour un vol piloté n'était plus envisageable. Lors d'une réunion de la commission le 5 janvier 1961, le concepteur en chef adjoint Bushuyev a établi un calendrier pour les mois à venir. Selon les plans, les deux prochains lancements de la série devaient être des vols automatisés de la variante pilotée réelle. Le premier volerait le 5 février et le second entre le 15 et le 20 février. La validation de la mission habitée dépendrait de ces deux essais.

[1] Andreï Kozovoï, Brejnev, l’antihéros, Perrin, 2021