Korabl-Sputnik
Ces images prédisaient l’apparition du mal des transports qui sera plus tard vécu par les humains après plusieurs heures en orbite. Ce fait a incité le chef du programme de recherche médicale de l’armée de l’air Vladimir Yazdovskiy à exiger que le premier vol de l’engin spatial avec un pilote à bord ne dure pas plus d’une orbite. De plus, 28 des 40 souris embarquées à bord de l’engin spatial étaient mortes en orbite. Selon une émission de télévision russe, Belka et Strelka sont morts de causes naturelles au zoo de Moscou plusieurs années après leur vol.
Tous les objectifs fixés étaient remplis et les travaux sur la version 3A du vaisseau Vostok permettant l'envol d'un cosmonaute progressaient. Une attention particulière a été apportée à la sécurité du pilote. Le 10 septembre, il était prévu un ou deux vols d'essais de la version 1K du vaisseau et deux vols de qualification de la version opérationnelle 3A, le premier vol avec équipage étant programmé fin décembre, de sorte à devancer le programme Mercury des Américains. Un ou deux vols Vostok 1 devaient être effectués en octobre-novembre, suivis de deux missions automatisées de la variante Vostok 3A en novembre-décembre 1960.
[1] Boris Y. Chertok, Rockets and People, vol. 2: Creating a rocket industry, NASA, coll. « NASA History series » (no 4110), 2006.
[2] Boris Y. Chertok, Rockets and People, vol. 3: Hot days of the Cold War, NASA, coll. « NASA History series » (no 4110), 2006, page 48
Le programme du premier vaisseau spatial piloté soviétique a commencé en 1960. Les premiers plans du vaisseau, dénommé Vostok 1 (« Est ») ont été achevé par les équipes de Bushuyev et Tikhonravov. Cette version avait pour objectif de tester les éléments de base de l’engin. Le 2K (Vostok 2) et le 3K (Vostok 3) étaient également mentionnés dans le projet. Le Vostok 3 sera le véritable vaisseau spatial piloté. La pression était forte pour les équipes de l’OKB-1 car les responsables de la NASA avaient annoncé faire voler le premier Mercury piloté début 1961. La fin 1960 devenait l’objectif incontournable des Russes. Tous les essais Vostok devaient être terminés le 1er décembre 1960.


Schéma du Vostok 1
La conception préliminaire du futur vaisseau spatial habité a été officiellement achevée le 15 mai 1958. La conception finale du vaisseau Vostok se composait de deux éléments principaux : un module de descente avec la cabine pilotée et le module d’instrument équipé d’un moteur de freinage. Les ingénieurs soviétiques après des débats houleux, avaient fait des choix d'architecture qui réduisaient les risques de défaillance : durant la rentrée atmosphérique le vaisseau devait effectuer un vol purement balistique c'est-à-dire sans aucun pilotage et les ingénieurs avaient choisi un module de descente sphérique. Équipé d'un bouclier thermique, celui-ci permettait d'affronter de manière très simple la phase délicate de décélération du vaisseau lorsqu'il quittait son orbite. Tous les équipements qui n'avaient pas besoin de revenir au sol étaient logés dans deux compartiments attachés au module de descente qui se détachaient avant le retour au sol.
En tant que véhicule purement expérimental, Vostok devait transporter en toute sécurité un pilote en orbite et le ramener sur Terre. La fonction principale de commande de vol était limitée au guidage de l’engin spatial lors de l’allumage du moteur de freinage avant de rentrer dans l’atmosphère. Le moteur de freinage devait ralentir l’engin spatial d’environ 140 mètres par seconde pour assurer le retour en toute sécurité du véhicule. Le tir du moteur était commandé par une minuterie programmée.
La vie ou la mort du pilote dépendait de la réussite de la manœuvre de rentrée, le moteur de freinage ne pouvait pas être compensé par un autre matériel, les ingénieurs avaient décidé de lancer des missions Vostok dans une orbite de 180 à 235 kilomètres. A cette altitude, la densité de la haute atmosphère serait suffisante pour ralentir et renvoyer le vaisseau spatial sur Terre environ cinq jours après le lancement, avec une marge d’erreur de 2,5 jours. Vostok aurait assez de nourriture, d’eau, d’air et d’énergie à bord pour soutenir une mission de 10 jours.
La conception du vaisseau a débuté au printemps 1957. En avril 1958, Tikhonravov a établi le cahier des charges. Le vaisseau devait peser entre 5 et 5,5 tonnes et subir durant la rentrée atmosphérique une décélération de 8 à 9 G et une température de 2500 à 3000 °C. Une masse comprise entre 1 300 et 1 500 kg était allouée au bouclier thermique, et l'atterrissage devait se faire avec une précision de 100 à 170 km. L'orbite visée était de 250 km. Les premiers dessins de l'engin ont été produits à l'automne 1958.
Trois versions du Vostok seraient mises sur orbite de 1960 à 1963, la troisième étant celle utilisée par les cosmonautes :
Le modèle "1P", utilisé une seule fois, le 15 mai 1960, sans aucun système de retour au sol ;
Le modèle "1K", deux exemplaires mis sur orbite le 19 août et 1er décembre 1960 avec des chiens à bord, récupérés ;
Le modèle "3K", utilisés huit fois entre le 9 mars 1961 et le 19 juin 1963 (les deux premières fois sans passagers).


Le R-5A destiné à l’étude des couches supérieures de l'atmosphère jusqu'à 500 km d’altitude
Au-delà des lancements de Vostok 1 et Vostok 3, il était indispensable de réaliser une série de tir de missile à courte portée pour tester divers éléments du système de survie et des instruments de soutien biologique. Ces lancements ont été annoncés publiquement par les médias soviétiques comme étant des extensions du programme scientifique de l'IGY de 1957-58. Les missiles R-2A et R-5A ont été utilisés pour ces tests. Cinq lancements réussis du R-2A en 1957 ont été suivis de six autres entre juillet 1959 et 1960, tous à des altitudes d'environ 212 kilomètres. Chacun transportait deux chiens. Un programme de lancements plus avancé mais moins intensif a été entrepris avec le R-5A, permettant de doubler le temps en apesanteur pour les chiens. Quatre lancements ont été effectués entre février et octobre 1958, emmenant chacun deux chiens à des altitudes d'environ 470 kilomètres, un record du monde pour un missile balistique à un étage.
Le succès de ces lancements a renforcé la confiance des ingénieurs dans le programme Vostok, mais politiquement, le projet restait en forte concurrence avec les objectifs militaires considérés comme plus urgent. Lors d'une réunion le 9 janvier 1960, le président de la commission militaro-industrielle Ustinov a rappelé aux dirigeants de l'OKB-1 qu’« il n'y a pas d'objectif plus important à l'heure actuelle que le programme de reconnaissance par satellite (programme Zenith) »[1].
Le premier point de passage important du programme Vostok a eu lieu au début de l’été 1960. Le premier article prêt pour le vol a été transporté à Tyura-Tam pour le lancement. Ce premier modèle de Vostok 1, préparé pour le lancement était une sous-variante appelée 1 KP (ou Vostok 1 P). Le vaisseau spatial n’avait aucun blindage thermique pour l'appareil de descente sphérique et aucun système de survie. Le siège éjectable qui porterait le pilote, avait été remplacé par une maquette de l'engin pour simuler les charges correctes. Le principal objectif de la mission était de tester les éléments de base du vaisseau, en particulier le système d'orientation complexe de Chayka, qui mettra le vaisseau spatial dans la bonne position pour la rentrée. Même si le véhicule devait brûler lors de la rentrée atmosphérique, les données de télémétrie indiqueraient si le vaisseau spatial avait été correctement incliné. La masse totale de l'engin spatial était de 4,540 kilogrammes.

Explosion du Vostok le 28 juillet 1960


Chaika et Lisichka
Les ingénieurs sont arrivés à Tyura-Tam dès le 28 avril 1960, en préparation du vol. De nombreux problèmes avec le système Chayka ont obligé le maréchal Nedelin à reporter le lancement au 15 mai, soit exactement trois ans après le premier lancement du R-7. A cette date, le lanceur 8K72 s’est envolé vers l'orbite avec sa charge utile le Vostok 1 P. L'agence de presse officielle TASS a annoncé la réussite de la mission Korabl-Spoutnik, Korabl signifiant vaisseau et a employé pour la première fois le terme de vaisseau spatial. Le vol, prévu pour durer trois ou quatre jours, s’est déroulé sans incident, avec des tests réussis des systèmes électriques et des sources d'alimentation. Le vaisseau a effectué 64 orbites sans encombre mais, lorsque la fusée de rétro freinage, nécessaire pour ralentir le vaisseau en orbite et lui permettre de rentrer dans l'atmosphère, a été activée, au-dessus du continent africain, le vaisseau a augmenté sa vitesse, gagnant une orbite plus élevée. Après analyse, il est apparu que le vaisseau n'était pas correctement orienté en raison de la panne d'un des capteurs. Le vaisseau s’est retrouvé placé sur une orbite plus élevée où il a été abandonné. Les ingénieurs ont pris conscience du danger d’une erreur lors d’un vol habité, qui pourrait amener un futur cosmonaute à rester en orbite pendant de nombreuses années. Le satellite est retombé dans l'atmosphère beaucoup plus tard en deux parties : la cabine s’est désintégrée le 5 septembre1962 au-dessus du Milwaukee où des témoins ont vu le météore enflammé apparaître et dont plusieurs éléments ont été récupéré au sol et le module de service en 1965, trois ans plus tard, sa forme plus lisse offrant moins de résistance dans l’atmosphère raréfié. Le décret gouvernemental du 4 juin 1960 intitulé « Plan d'exploration de l'espace pour 1960 et le premier semestre 1961 », avait demandé la fabrication de deux engins spatiaux 1KP sans système de survie et sans blindage thermique. Cependant, Korolev a convaincu la Commission d'État que l'expérience acquise était suffisante pour passer aux lancements d'engins spatiaux 1K sans pilote - sans la lettre "P", c'est-à-dire avec un système de survie et une protection thermique qui garantiraient le retour d'un module de descente sur Terre. Le décret prévoyait de tester trois engins spatiaux 1K avant août 1960 pour le développement expérimental des systèmes spatiaux et des équipements de collecte de renseignements.
Contrairement au premier Vostok, le deuxième prototype du véhicule disposait d’un bouclier thermique permettant au module de descendre et d’atterrir. Les équipes de Boris Chertok, adjoint de Korolev, avaient beaucoup travaillé pour résoudre le problème qui
avait conduit Vostok 1KP vers une orbite plus élevée. Chertok avait assuré que le deuxième véhicule serait bien mieux préparé que le premier. Le deuxième Vostok 1KP devait emmener deux petits chiens dans une cabine pressurisée. Cette cabine avait été installée dans le siège d’éjection du futur pilote, et était programmée pour être éjecté pendant la descente sur Terre, et atterrir avec son propre parachute, simulant l’atterrissage des futurs pilotes Vostok.
Préparation du Vostok 1
A la mi-juillet 1960, deux véhicules Vostok-1, configurés pour transporter des chiens, étaient en préparation pour le vol sur le site de lancement à Tyura-Tam. Leur décollage était officiellement prévu pour fin juillet ou début août. Les deux chiens prévus pour la mission de juillet étaient Chaika (la mouette) et Lisichka (petit-renard). Korolev aimait beaucoup l'affectueuse petite chienne rousse Lisichka. Boris Chertok a rapporté que pendant que les techniciens médicaux la préparaient pour un contrôle d'aptitude dans la capsule éjectable du module de descente, Korolev était venu vers eux et les avait écartés pour prendre Lisichka dans ses bras. Elle s’était blottit contre lui avec confiance. Korolev avait doucement caressé le chien et, ne se souciant pas des personnes présentes autour de lui avait dit : "Je veux tellement que vous reveniez." L'expression sur le visage de Korolev était inhabituellement triste.[2]
Le 18 juillet 1960, de hauts responsables de l’industrie ont envoyé une note classifiée aux dirigeants politiques de Moscou décrivant la mission à venir : L’objectif officiel principal du vol était de tester la descente depuis l’orbite d’une cabine satellite et le développement d’un système de récupération de la cargaison. En parallèle, la mission aurait mené des expériences scientifiques nécessaires au vol habité. La mission de la sonde Vostok-1 de 4,5 tonnes devait durer de trois à cinq jours sur une orbite d’une
altitude de 320 kilomètres, avant qu’une tentative ne soit faite pour atterrir et récupérer la cabine dans le nord du Kazakhstan ou en Sibérie occidentale.
Le lanceur de 8K72K, transportant le vaisseau spatial Vostok-1 (1K No.1), a décollé de Tyura-Tam le 28 juillet 1960, à 12h31, heure de Moscou. La fusée a quitté la rampe de lancement et a continué son ascension verticale, mais 23,6 secondes après le vol, la chambre de combustion n° 1 du moteur 8D74 (RD-107) propulsant le booster bloc G au premier étage s’est désintégré et la fusée s’est effondrée après 38 secondes de vol. Les débris de la fusée après sa désintégration sont tombés entre 1,5 et 3 kilomètres de la rampe de lancement, mais ils n’ont pas endommagé la zone habitable et aucune installation de lancement n’a subi de dommages.
Une semaine plus tard, le 4 août 1960, Nedelin et Korolev ont envoyé un compte rendu détaillé de l’accident au Comité central du Parti communiste. Ce document indiquait « Sur la base de l’analyse des mesures et de l’inspection des débris de la fusée sur le site d’impact, il a été établi que la désintégration de la première chambre de combustion dans le bloc G en raison d’oscillations de pression à haute fréquence a été la cause de l’accident ». Glushko a été incapable de donner une
explication claire quant à la raison pour laquelle ces vibrations s’étaient soudainement produites. Il a attribué ces problèmes à une erreur dans le processus de fabrication de l'usine Kuibyshev. La lettre du 4 août concluait que la préparation d’un nouveau lancement du véhicule Vostok-1 était en cours, son décollage prévu pour la deuxième moitié d’août 1960. Inutile de préciser que l’URSS n’a jamais annoncé publiquement la tentative de lancement du 28 juillet 1960 et que tous les détails sur le vol sont restés secrets pendant la majeure partie de la guerre froide. Cet accident a montré à quel point il était urgent de développer un système de sauvetage à utiliser immédiatement après le décollage. La mort de Chaika et de Lisichka a accéléré les travaux sur ce système.
Après l’accident de lancement du 28 juillet 1960 qui a coûté la vie à deux chiens et détruit une version d’essai de la sonde Vostok, la campagne de lancement a repris presque immédiatement à Tyura-Tam pour préparer un nouveau prototype Vostok pour le vol, malgré une forte vague de chaleur au Kazakhstan, la température à l’ombre atteignant les 40°. Le nouveau véhicule était presque identique à son prédécesseur en configuration et en charge utile. Les deux chiens et une multitude d’objets biologiques, dont une paire de rats blancs, 40 souris noires et blanches et des insectes ont été placé dans des compartiments séparés à l’intérieur d’une cabine pressurisée, GKZh-2, qui a été intégré avec le siège éjectable à l’intérieur du module de descente de Vostok. En plus des animaux vivants, la cabine transportait un grand ensemble botanique avec diverses plantes, champignons et plusieurs types de céréales, y compris des graines de maïs. Ces dernières étaient destinées à faire plaisir au dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, qui, lors de son récent voyage aux États-Unis, avait été conquis par l’idée des propriétés miraculeuses du maïs et de sa capacité à révolutionner l’agriculture soviétique à la traîne. L’expérience visait probablement à tester l’influence du rayonnement spatial sur les propriétés reproductrices du maïs et d’autres grains. Cependant, comme lors de la tentative précédente, l’objectif principal de la mission était d’effectuer un retour en toute sécurité du module de descente après deux ou trois jours en orbite. Après la rentrée, la capsule devait déployer son système de parachute à une altitude d’environ huit kilomètres. Lors de la descente à cinq kilomètres, la couverture du module de descente serait jetée et le conteneur avec les animaux serait éjecté pour atterrir sous son propre parachute.
Après la perte de Lisichka et Chaika, Oleg Gazenko, spécialiste de la médecine aéronautique qui fut l’un des pionniers de la médecine spatiale soviétique, a désigné Strulka et Belka comme les deux futurs candidats à la prochaine tentative de lancement. Les deux chiens ont été placés dans leur conteneur pour une répétition du vol. Le 16 août 1960, la fusée 8K72K avec l’engin spatial a été déployée sur la rampe de lancement du site 1 de Tyura-Tam, le décollage ayant été prévu pour le lendemain. Le même jour, l’équipe de Gazenko a préparé ses chiens et à 23 h, les a placés dans le conteneur où ils ont passé la nuit. Entre-temps, lors des essais de la fusée sur le pad, un problème a été constaté dans une vanne d’oxygène principale et le décollage a dû être reporté. Une vanne de remplacement a été livrée sur le site de lancement par avion, entrainant le report de la mission au 19 août. Après le remplacement de la vanne et plusieurs vérifications, le véhicule était prêt pour le lancement. La fusée a décollé le 19 août 1960, à 11 :44 :06. La station au sol NIP-4 à Yeniseisk, puis un autre site sur la péninsule du Kamtchatka a signalé que le Vostok s’était séparé de l’étage supérieur et qu’il tournait en orbite autour de la Terre.

Belka et Strelka, le 19 août 1960
Malgré la résolution relativement faible de la caméra embarquée, les téléspectateurs ont parfaitement vu à la télévision en direct les chiens aboyer. Les stations au sol ont confirmé que tout l’équipement à bord de l’engin spatial fonctionnait correctement. Le vol a duré 26 heures. L’atterrissage de la sonde Vostok 1K N° 2 a eu lieu à 11h07 heure de Moscou le 20 août 1960, après un jour, deux heures et 23 minutes de vol, marquant le premier retour d’un vaisseau spatial soviétique depuis l’orbite et le premier voyage aller et retour d’animaux en orbite. L’atterrissage a lieu dans l’Oural méridional dans un triangle formé par les villes d’Orsk, Kustanai et Amangeldy à seulement 10 kilomètres du point projeté.
Le 23 août, le journal Pravda, porte-parole du Parti communiste, a publié un article triomphal sur les résultats de la mission. Cependant, en interne, il demeurait quelques préoccupations. Tout d’abord, des images à bord avaient montré que pendant la quatrième orbite de la mission, Belka se déplaçait anxieusement, aboyait et vomissait.