Le XXIIème congrès
En août 1962, Khrouchtchev proclamait publiquement que « les héros-cosmonautes sont des gens qui, aujourd'hui, incarnent déjà les traits merveilleux du membre de la société communiste : haute culture intellectuelle, pureté morale et physique parfaite. Leurs actes sont motivés par l'amour de la patrie, le sens du devoir public et les nobles idéaux du communisme[2]. Le programme économique du 22e congrès en 1961 prévoyait qu’en 1970 les États-Unis serait rattrapé et qu’en 1980 la société soviétique serait communiste « à chacun selon ses besoins » et plus seulement socialiste « à chacun selon son travail ».
L’adoption des nouveaux statuts du Parti a été plus animée. L’objectif était de renouveler et de rajeunir les cadres du Parti. La fin du Congrès a été marquée par une nouvelle offensive assez inattendue contre le stalinisme et contre certains anciens stalinistes endurcis dont Vorochilov, Kaganovitch, Molotov et Malenkov. Globalement, la résistance à la déstalinisation est restée assez vive et Khrouchtchev n’est pas parvenu à modifier l’équilibre des forces au Présidium. Le congrès s’est achevé le 30 octobre sur un demi-échec.
[1] Programme du Parti communiste de l'Union soviétique (Moscou : Langues étrangères, 1961), 109.
[2] Mikhail B. Chernenko, éd. V kosmose Nikolaev i Popovich (Moscou: Pravda, 1963), 92, cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.
Quelques mois seulement après le vol spatial historique de Gagarine, dans un contexte de difficultés économique, de fronde de certains milieux intellectuels, d’opposition persistante à Khrouchtchev, s’est ouvert le 17 octobre 1961, le XXIIème congrès du PCUS. Ce congrès qui regroupait 4800 délégués devait adopter le nouveau programme et les nouveaux statuts du Parti. L’objectif était de fixer les bases du communisme en Union soviétique d'ici 1980. C’était l’heure du passage du socialisme au communisme. L’adoption du programme suscitait très peu de débat, il s’agissait plus d’un acte de foi que d’une discussion. Il reposait sur deux composantes essentielles : la construction d'une base matérielle et technique du communisme, et l'éducation d'un nouvel homme soviétique qui « combinerait harmonieusement la richesse spirituelle, la pureté morale et un physique parfait [1]». Qui mieux que les cosmonautes pourraient incarner cette nouvelle construction idéologique ? Les médias soviétiques ont rapidement généré un cliché de propagande : « Le cosmonaute soviétique n'est pas simplement un conquérant de l'espace extra-atmosphérique, pas simplement un héros de la science et de la technologie, mais c'est avant tout un homme nouveau, vivant, en chair et en os, qui démontre dans l'action toutes les qualités inestimables du caractère soviétique, que le parti de Lénine cultive depuis des décennies ». Khrouchtchev a programmé une intervention de Gagarine pour évoquer les progrès technologiques et incarner le visage de l’homme nouveau, un être honnête, sincère, alliant pureté morale et pudeur. Mais Youri ne s’y est pas rendu, il a été remplacé par Titov.
Conférence de presse de Titov en 1961
Malheureusement, quelques jours avant le Congrès, Gagarine s’est blessé. Version officielle : Gagarine a trébuché et est tombé en jouant avec sa fille en vacances. Pendant, plus de trois semaines après l’accident, la personne la plus photographiée au monde a disparu de la vue de Public. La réalité était toute différente :
Gagarine avait pris quelques jours de repos avec son épouse à Foros. Une nuit, Valentina, son épouse s’est réveillée seule, elle s’est souvenue de la soirée copieusement arrosée et du regard complice échangé entre Gagarine et une des infirmières de la maison. Elle s’est précipitée dans la chambre de cette dernière. Gagarine a dû quitter son alcôve au plus vite en sautant par la fenêtre. Deux étage plus bas, l’atterrissage a été plus difficile que lors de son vol spatial. Sa tête a heurté une bordure de pierre d’un parterre fleuri. Khrouchtchev était furieux lorsqu'il a appris le comportement de Gagarine qui ne correspondait pas à l’image souhaitée… Gagarine a admis son état d'ivresse lors d'une réunion à huis clos du parti. Sa célébrité mondiale l’a protégé d’une mise à pieds immédiate. Il s’est fait sermonner violement par Kamanin. D’autres candidats, Nelyubov, Anikeyev, Filatiev, Rafikov, feront les frais de cet incident et seront renvoyés pour des faits similaires.