an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Plaidoyer pour une réorganisation

Le maréchal Nedelin, technocrate militaire de 57 ans à l'origine du succès de la construction de missiles en Union soviétique dans les années 1950, a été nommé premier commandant en chef du nouveau service. Nedelin connaissait bien Korolev qui appréciait Nedelin pour sa rigueur. Finalement, les activités menées par la Direction générale de l'artillerie et liées aux missiles à longue portée ont été transférées aux Forces de missiles stratégiques. Renommé Direction générale des armements réactifs (GURVO), ce département en pleine croissance a continué à gérer toutes les opérations de lancement, de suivi et de communication des engins spatiaux soviétiques sous la tutelle de son chef, le lieutenant général Anatoliy I. Semenov. Ce degré de contrôle sans précédent sur le programme spatial soviétique consolidait la position du ministère de la Défense pour influer sur la politique spatiale pour les décennies à venir.

A la fin des années 1950 et au début des années 1960, la liaison avec le programme spatial n'était assurée ni par Nedelin ni par Semenov, mais par deux autres officiers du GURVO, dont le rôle allait être important dans l'élaboration et l'exécution des politiques du programme spatial : Le Lt général Aleksandr G. Mrykin et le général de division Kerim A. Kerimov. Le premier était le premier commandant adjoint du GURVO, tandis que le second était le chef de la nouvelle troisième direction du

Keldysh et Korolev

Malgré le plan à sept ans, les visibilités financières restaient opaques. La volonté de développer et de coordonner le programme spatial restait floue. Korolev, Keldysh et Tikhonravov, en tant que responsables techniques et scientifiques étaient sérieusement préoccupés par le manque de politique coordonnée du programme spatial. Le lancement de Spoutnik en octobre 1957 avait suscité une vague de discussions au niveau des concepteurs, conduisant finalement ces hommes à envoyer un certain nombre de lettres et de documents importants aux dirigeants soviétiques. Ces courriers concernaient deux grandes thématiques, l'une visant à mettre en place une infrastructure de gestion et d’industrie pour soutenir exclusivement un programme spatial et la seconde visant à établir des objectifs spécifiques à court et à long terme. Le premier courrier sur le sujet de l’organisation a été adressé moins de deux mois après le lancement de Layka dans l'espace. Dans une lettre intitulée « Sur la création d'une nouvelle industrie puissante pour la recherche sur l'espace cosmique », datée du 30 décembre 1957, Korolev et Keldysh ont évoqué les deux sujets. Suivant de très près les écrits de Tsiolkovsky, les deux hommes ont énuméré les principaux objectifs d'un programme spatial soviétique structuré. Il s'agissait de développer des satellites artificiels orientés, d’utiliser l'énergie solaire comme source d'énergie, de créer des satellites pour photographier la surface de la Terre, de créer des stations spatiales à usage prolongée, de la recherche sur « un certain nombre de questions sur

l'orbite de la Lune » et « le vol humain à travers l'espace interplanétaire ». Pour faciliter ces objectifs, les auteurs ont appelé à la création de nouveaux instituts de recherche scientifique et de bureaux de conception. Comme pour de nombreuses lettres de l'époque, il semble que la direction soviétique n'ait pas répondu favorablement à l'appel. Le premier décret gouvernemental officiel sur le programme spatial, le 20 mars 1958, approuvait simplement l'effort de sonde lunaire automatisé, sans aborder aucune des grandes questions énumérées par Korolev et Keldysh.

Au cours de l'été 1958, Korolev et Tikhonravov ont préparé une évaluation plus détaillée des objectifs du programme spatial soviétique. Ce document historique, fidèle à la vision Tsiolkovsky, jetait les bases d'une grande partie de l'effort spatial soviétique au cours des années 1960. Sur le plan thématique, la lettre était divisée en quatre parties :

  • • Investigations utilisant le R-7 et ses modifications en trois étapes comme le 8K72

  • • Création de nouveaux lanceurs plus puissants

  • • Etudes utilisant ces nouveaux lanceurs

  • • Travaux de recherche scientifique de base pour le développement de la technologie interplanétaire et recherche de nouvelles réalisations « sur la voie de la maîtrise de l'espace cosmique ».

Les auteurs énuméraient les études utilisant le R-7 et ses modifications en quatre étapes :

I. Création de satellites artificiels capables de :

     a. Réaliser une photographie de la Terre avec des films récupérables (1958-60)

     b. D’une durée de vie et périodes de fonctionnement illimitées (1961-65)

     c. Existant sur des orbites très elliptiques autour de la Terre (1961-65)

II. Création d'appareils pour les investigations de la Lune, comprenant :

     a. Une station de dix à vingt kilogrammes à la surface de la Lune (1958-61)

     b. Des satellites lunaires artificiels pour la photographie (1959-61)

     c. Des satellites en orbite elliptique pour faire le tour de la Lune et ramener des films sur Terre (1960-64)

III. Création d'un satellite piloté avec rentrée balistique en trois étapes (1958-60) :

     a. Développement de la protection thermique de l'appareil de retour

     b. Création d'appareils de test pour les tests suborbitaux

     c. Création d'un satellite piloté pour une exploitation jusqu'à dix jours

IV. Création d'un satellite piloté avec retour vers Mars et Vénus (1959-65)

     a. Recherche sur les opportunités d'exploration de Mars et de Vénus via des appareils automatiques et retour au voisinage de la Terre avec photographie et autres               données (1959-61)

     b. Recherche sur les processus de rapprochement de deux véhicules en orbite qui nécessiteraient travaux scientifiques liminaires (1962-1966)

La deuxième partie du document portait sur le développement de nouveaux lanceurs :

  • · Création d'un booster spatial d'une charge utile de quinze à vingt tonnes (se terminant en 1963 ou 1964)

  • · Création de moteurs à ions et d'autres moteurs pour le vol interplanétaire et le vol humain vers la Lune et les planètes les plus proches.

Enfin, dans la troisième partie, Korolev et Tikhonravov évoquaient l'utilisation des nouveaux lanceurs ci-dessous :

  • · Création d'un satellite piloté avec un ou deux humains pour développer les conditions d'un vol spatial piloté prolongé et la mise en place de stations satellites (1961-65)

  • · Création d'un vaisseau spatial utilisant des moteurs ioniques pour un vol piloté vers la Lune et retour vers une station en orbite terrestre (1961-65)

  • · Création d'un vaisseau spatial automatisé pour les missions sur Mars et Vénus et leur retour dans l'espace proche de la Terre, pour des recherches sur la surface des planètes et des tests de radiocommunications à longue distance (1963-66)

  • · Création de "colonies artificielles" dans l'espace avec les objectifs suivants :

            a. Création de stations géocroiseurs, travaux à partir de 1 962, pour :

                 i. Étude de l'apesanteur prolongée, de la gravité artificielle et des effets sur les plantes, les humains et les animaux

                 ii. Étude des effets des rayonnements sur la végétation et les organismes vivants

            b. Création de stations géocroiseurs, travaux à partir de 1 962, pour :

                 i. Assemblage de véhicules "inter orbitaux"

                 ii. Création d’un système de transport spatial avec la Terre

                 iii. Réception de véhicules « inter orbitaux »

Après avoir atteint ces objectifs, l’étape suivante serait à portée de main : Vol des humains vers Mars et Vénus

  • · Vol des humains vers la Lune et leur retour sur Terre

  • · Construction d'une « station-colonie » fonctionnant en continue sur la Lune, sur laquelle les travaux préliminaires commenceraient en 1960

La quatrième et dernière partie du document traitait des travaux exploratoires que les scientifiques effectueraient dans le cadre de programmes de recherche et développement :

  • · Recherche sur les fusées propulsées par des propulseurs chimiques et nucléaires pour le levage de grandes charges utiles en orbite terrestre et pour les stations orbitales terrestres (1959-60)

  • · Recherche sur les moteurs ioniques, à plasma et similaires à utiliser sur les engins spatiaux de transport inter orbitaire (1959-1960)

  • · Recherche sur les rendez-vous en orbite conduisant à une vérification expérimentale (1958-61)

  • · Recherche sur les technologies d'assemblage orbital d'une station spatiale en orbite terrestre, utilisant la roche et les étages comme composants de la station (1959-1963)

  • · Recherche sur les systèmes de survie et les combinaisons spatiales à cycle fermé (1960-65)

  • · Développement de sources d'énergie pour les stations orbitales terrestres et les appareils inter orbitaux (1958-1962)

  • · Recherche sur les communications radio sur de très longues distances (1959-1965)

En conclusion, Korolev et Tikhonravov ajoutaient que les dates mentionnées étaient prévisionnelles et qu'il y aurait sans aucun doute de nombreux autres domaines de recherche scientifique qui accompagneraient les objectifs cités.

Keldysh et Korolev

Au début de 1959, certains des objectifs énumérés faisaient déjà partie des programmes en cours, en particulier les sondes lunaires automatisées, l'effort sur le vol spatial habité et le programme de photo reconnaissance militaire. En ce qui concernait les objectifs à long terme, Korolev et Tikhonravov donnaient clairement priorité aux premières théories de Tsiolkovsky, avec un accent soutenu sur les stations spatiales orbitales de la Terre agissant comme des lieux de recherche ainsi que de bases pour l'exploration future de l'espace. De plus, dans leur vision du futur, l'exploration des planètes par des missions pilotées était l'un des objectifs principaux. Ce thème particulier orientera la recherche à long terme de l'OKB-1 au cours des cinq années suivantes. Il convient de noter que pour Korolev et Tikhonravov, qui avaient été élevé à l’école de Tsiolkovsky et Tsander, un atterrissage lunaire piloté n’était pas jugé prioritaire à court terme, mais plutôt consigné à la deuxième place après des missions interplanétaires.

Contrairement aux nombreuses lettres précédentes de Korolev au gouvernement, ce courrier ne mentionnait pas l’intérêt politique pour le gouvernement de cette course à l’espace contre les Etats-Unis. L’objectif clair du courrier était de démontrer au gouvernement qu’il était désormais nécessaire de passer de la phase des spoutniks et des sondes lunaires à un projet beaucoup plus large d’exploration de l’espace.

Korolev et Tikhonravov ont signé le document et l'ont envoyé à la Commission militaro-industrielle le 5 juillet 1958. Il est maintenant clair qu'un certain nombre de propositions clés du rapport ont été discutées à un très haut niveau au cours de l'année suivante, bien que les détails restent encore obscurs. Une réunion a eu lieu à Moscou en février 1959 pour discuter de la propulsion nucléaire des engins spatiaux, mais la nature des débats sur la question plus large de la conception et de la politique d'un programme spatial soviétique civil et militaire sont restés entourée de mystère. Il est évident qu'à l'été 1959, un an après avoir envoyé leur lettre, il n'y avait pas eu un seul décret sur les objectifs à long terme du Parti communiste et du gouvernement. Cette absence de réponse a surement motivé Korolev à aller plus loin.

Au début de l'été 1959, il a mis ses ressources en commun avec l'académicien Keldysh, certainement beaucoup plus influent et puissant que Tikhonravov, et a renvoyé successivement trois documents aux dirigeants soviétiques. Le premier, datée du 20 mai 1959, était une lettre proposant l'ajout aux plans actuels d'un projet de conception d'un « appareil de retour d'orbite et d'atterrissage sur la Terre ». C'était clairement en lien avec le programme Objet K et se référait principalement au satellite de reconnaissance avec quelques lignes ajoutées sur la variante pilotée. Deux jours plus tard, un décret a été adopté sur ces projets.

La deuxième lettre, envoyée seulement une semaine plus tard, le 27 mai, était beaucoup plus complète et traitait exclusivement de l’indispensable nécessité de créer très rapidement une organisation institutionnelle pour le nouveau programme spatial soviétique. La proposition centrale du plan en dix points était de séparer l'effort portant sur les missiles balistiques du programme spatial :

A l'heure actuelle, les opérations liées à l'exploration de l'espace sont conduites principalement par les mêmes organisations qui développent les missiles à longue portée. Ceci est sans aucun doute favorable à l'avancement de ces opérations. Mais maintenant, étant donné que les objectifs et la portée de l'exploration spatiale sont devenus extrêmement vastes, c’est le bon moment pour créer de nouvelles forces et de nouvelles organisations ».[1]

Plus précisément, les auteurs appelaient à la création d'un institut central de recherche scientifique pour la recherche interplanétaire - un endroit où tous les futurs engins spatiaux soviétiques seraient conçus. Alors que l'OKB-1 de Korolev conserverait la tâche de concevoir et de construire des propulseurs spatiaux plus puissants, l'institut serait séparé de l'industrie des missiles et se concentrerait exclusivement sur la création de satellites orbitaux terrestres et de véhicules interplanétaires automatisés et pilotés. Korolev et Keldysh proposaient que la nouvelle organisation soit créée sur la base d'un bureau de conception aéronautique existant dont les engagements antérieurs seraient transférés ailleurs. Dans la vision des auteurs :

Cette organisation pourrait devenir à l'avenir un centre scientifique d'exploration spatiale à l'échelle internationale, sachant que l'Union soviétique a obtenu des premiers résultats utiles dans ce domaine. Ces résultats pourraient être développés et étendus avec succès à l'avenir en coopération avec les pays socialistes.[2]

Dans le cadre d'une restructuration générale de l’organisation des missiles et de l'espace, Korolev et Keldysh appelaient également à la création de sept autres instituts spécialisés pour :

     (1) les systèmes de guidage et de contrôle,

     (2) les communications spatiales à longue portée.

     (3) les systèmes de radio télémétrie.

     (4) le développement de systèmes d'alimentation électrique (y compris les sources nucléaires),

     (5) la conception et la fabrication d'instruments scientifiques pour engins spatiaux.

     (6) la recherche biomédicale sur l'homme et l'animal dans l'espace.

     (7) les sciences planétaires.

En conclusion, Korolev et Keldysh demandaient la création d'un Conseil de gestion et de direction, le Conseil scientifique et technique interdépartemental de l'Académie des sciences de l'URSS, dirigé par Keldysh, qui superviserait l'ensemble de l'effort spatial soviétique. Ce modèle ressemblait quelque peu au Comité consultatif national pour l'aéronautique aux États-Unis, qui avait récemment été remplacé par la National Aeronautics and Space Administration (NASA). La proposition de Keldysh à la tête de ce conseil facilitait les plans de Korolev. Keldysh avait de l’influence auprès des échelons supérieurs soviétiques et il approuvait les plans de Korolev. Dans ce document, rien ne laissait suggérer que Korolev renoncerait à exercer son influence sur cette nouvelle institution. Bien au contraire, ce document montrait certainement la volonté de Korolev de consolider son emprise sur le programme spatial émergeant. C’était aussi un plaidoyer pour une organisation plus rationnel visant à séparer les industries des missiles et de l'espace et à créer un certain nombre d'institutions exclusivement dédiées à l'exploration spatiale.

Korolev a adressé une troisième lettre au gouvernement le 13 juillet de la même année sur l'organisation des travaux « sur le programme spatial ». Les demandes reprenaient des éléments complémentaires dans la poursuite de l'établissement d'un programme spatial distinct en Union soviétique.

Korolev a profité de son influence et de son pouvoir pour proposer des idées audacieuses comme la coopération internationale, sujet certainement sensible étant donné la proximité entre le programme spatial et militaires et les données sur les missiles ICBM. Il avait le soutien de personnalités influentes occupant des postes importants comme Khrouchtchev, Ustinov, Rudnev et Keldysh, soutien qui lui ont permis de réaliser rapidement le lancement des premiers Spoutniks, une série de lancements dans un programme d'exploration lunaire automatisé, et obtenir l'approbation d'autres projets de satellite. Mais ces opportunités n'ont pas duré longtemps. En 1959, divers facteurs ont commencé à éroder le pouvoir du Conseil des concepteurs et a freiné le développement d’un programme spatial ambitieux. La réponse des dirigeants à la série de lettres de 1957 à 1959 est restée longtemps incertaine. Lorsqu’enfin la décision du Gouvernement concernant le programme spatial a été rendue, elle était bien loin de ce que Korolev et ses soutiens désiraient.

Missile R-12 de Yangel

Le 10 décembre 1959, le Comité central et le Conseil des ministres de l'URSS a publié le tout premier décret numéro 1386-618 sur la politique nationale concernant le programme spatial soviétique. Intitulé « Sur le développement de la recherche dans l'espace cosmique », le décret était une première étape, assez modeste, dans l'élaboration des objectifs du programme spatial. Une seule des recommandations de mai 1959 pour le changement institutionnel proposée par Korolev et Keldysh était abordée et retenue dans le décret : le document validait la formation d’un Conseil interministériel dénommé « Conseil scientifique et technique pour la recherche spatiale », un organe consultatif placé sous l'égide de l'Académie des sciences pour superviser les propositions de thèmes et de projets sur les objectifs spatiaux à longue portée. Les membres du Conseil comprenaient des hauts fonctionnaires des bureaux de conception, des membres des instituts de la communauté scientifique et des militaires. Deux concepteurs d'OKB-1 Korolev et son adjoint « espace » Bushuyev, devenaient officiellement membres du Présidium du conseil le 1er janvier 1960.

La composition du Conseil ne répondait pas aux attentes de Korolev et de Keldysh, notamment concernant le sujet de l’industrie et sa réorganisation. Il est possible qu’Ustinov et Rudnev aient interprété l’idée de Korolev comme une remise en question de leur pouvoir en matière d’organisation industrielle. Par ce décret, le gouvernement approuvait le développement d'une variante à quatre étages du R-7 pour une série de missions automatisées sur Mars, Vénus, et la Lune, pour des missions pilotées avec le vaisseau spatial Objet K, et pour des études exploratoires sur un propulseur pour poids lourds. Tikhonravov et Korolev avaient donc été entendu sur ce point. Il était clair que le Gouvernement et le ministère de la Défense, principaux financeurs des bureaux d’étude, n’étaient tout simplement pas intéressé pour soutenir le développement d’un programme spatial ambitieux comme proposé dans les nombreuses lettres adressées à la direction au cours des deux années précédentes. Ce conflit sur les priorités de la défense était un thème qui allait devenir beaucoup plus vaste tout au long des années 1960, mais en 1959, c'était une première indication donnée à Korolev et aux autres membres du Conseil des concepteurs en chef qu'un programme spatial autonome serait extrêmement compliqué à mettre en place. Le peu de financement disponible devra être constamment justifié et argumenté sur des priorités militaires défensives, assez éloignées des objectifs ultimes de Korolev de grandes stations spatiales en orbite terrestre desservant des missions interplanétaires pilotées vers Mars et Vénus.

Dans le secteur de la défense, au cours de la dernière partie de la décennie, il y a eu un changement notable dans la stratégie soviétique qui est passée de la dépendance de l'aviation à longue distance aux ICBM. Ce changement majeur, avec l'avènement de l’ICBM R-7 et des

missiles moins puissants du bureau de conception de Yangel, tels que le R-12 et le R-14, ont nécessité une refonte de la structure de commandement existante dans la construction et l'exploitation des missiles balistiques. Tout au long des années 1950, le contrôle et l'influence du ministère de la Défense sur le développement des missiles balistiques avaient été effectués par l'intermédiaire de sa direction en chef de l'artillerie dans un département appelé la direction du commandant des armements réactifs. Les premières propositions de diverses factions au cours de l'été 1959 abordaient la nature anachronique d'avoir des nouvelles générations de missiles balistiques dans le contrôle des forces d'artillerie traditionnelle. Khrouchtchev a choisi de ne pas suivre l'exemple donné par les États-Unis, où l'US Air Force contrôlait les missiles stratégiques. Malgré une opposition significative au sein du ministère de la Défense, Khrouchtchev a poussé à la formation d'une nouvelle branche des forces armées soviétiques, les Forces de missiles de désignation stratégique (RVSN), plus communément appelées Forces de missiles stratégiques. Créées par un décret du Parti communiste et du gouvernement le 7 décembre 1959, les Forces de missiles stratégiques ont hérité du contrôle de tous les missiles balistiques en Union soviétique.

Commandant en chef des Forces de missiles stratégiques Mitrofan Ivanovitch Nedelin

GURVO, spécialement chargé de gérer les opérations « clients » liées aux lanceurs, aux satellites, à l'équipement au sol et au commandement et contrôle au nom des Forces de missiles stratégiques. Mrykin était un homme doté d’une grande personnalité, capable de rivaliser avec Korolev lui-même ; Il était légendaire pour sa dureté et ses traits de tempérament impulsifs qui terrifiaient la plupart des fonctionnaires en contact avec lui. Il entretenait cependant des relations étroites avec les membres du Conseil des Concepteurs en chef, facilitant un mode de communication relativement efficace entre les secteurs spatial et missile. Les quatre hommes, Nedelin, Semenov, Mrykin et Kerimov, ont été impliqués dans des programmes de missiles en tant qu'officiers d'artillerie, et avaient commencé par des visites en Allemagne en 1945 au cours des opérations d'étude sur l'A-4. La mainmise de ces vétérans de l'artillerie sur le nouveau programme spatial soviétique s’installera dans la durée : les troupes d'artillerie ont lancé tous les missiles et engins spatiaux soviétiques, des premiers lancements A-4 de Kapustin Yar en 1947 jusqu’à la fin de 1991, lorsque l'URSS a été officiellement dissoute. L'omniprésence des artilleurs au programme spatial ne se limitait pas aux forces de missiles stratégiques. En 1959, des vétérans de l'artillerie qui s’étaient rendus en Allemagne en 1945 ont dirigé plusieurs instituts importants de l'industrie, dont le NII-4 et le NII-88. Les années suivantes, ils trouveront également des postes dans les bureaux d'études et des postes bureaucratiques dans les ministères. Ce lobbying puissant allait constituer une menace importante pour Korolev et ses idées de grand programme spatial.

[1] La documentation complete a été reproduite par S. P. Korolev et M. V. Keldysh dans “On the Development of Scientific-Research and Experimental-Design Work on the Mastery of Cosmic Space” (English title), in Keldysh , ed. , Tvorcheskoye naslediye Akademika, pp. 409-12

[2] Korolev and Keldysh , "On the Development of Scientific-Research" p. 411, cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.