an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

De l'objet D au satellite simple

[1] I. K Golovanov, K. Korolev, Facts and myths, Nauka, Moscow, 1994, p. 530

[2] Le lancement du missile Jupiter C le 20 septembre 1956 avait pour objectif de tester les matériaux destinés à protéger l'ogive nucléaire de la chaleur engendrée lors de la rentrée atmosphérique. L'ogive a atteint 1.096 km d'altitude et une vitesse de 25.600 km/heure avant de retomber, intact, à 5.300 km de son lieu de lancement.

[3] I. K Golovanov, The Beginning of the Space Era, Golovanov. Korolev. p. 532

[4] Proposal On the First Launches of Artificial Earth Satellites Before the Start of the International Geophysical Year, January 05, 1957, History and Public Policy Program Digital Archive, Published in Keldysh (1980), 369-370. Selected, edited, and annotated by Asif Siddiqi and translated by Gary Goldberg. http://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/165449

[5] CPSU Central Committee Presidium Decree, On Measures Connected with Carrying out the International Geophysical Year, February 15, 1957, History and Public Policy Program Digital Archive, Published in Kudriashov (2011), pp. 56-57. Selected, edited, and annotated by Asif Siddiqi and translated by Gary Goldberg. http://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/165450

L'Objet D était un laboratoire scientifique complexe. Les ingénieurs de Kryukov se sont grandement appuyés sur les premiers travaux de Tikhonravov, mais pour l’essentiel du travail, il s’agissait d’un grand saut vers l’inconnu pour les équipes de l’OKB-1. Il y avait peu de précédents pour la création de conteneurs pressurisés et d'instruments pour le travail en orbite terrestre. Des systèmes de communication à longue portée devaient être conçus. Le choix des métaux pour construire le satellite posait également des problèmes aux ingénieurs, car les effets d'une exposition continue à l'environnement spatial étaient inconnus.

Le 25 février 1956, la commission Keldysh a publié les exigences techniques pour la construction du satellite : les travaux de conception détaillée ont commencé en mars. Le groupe de Tikhonravov au NII-4 et l'OKB-1 de Korolev au NII-88 étaient les deux principaux contributeurs, mais de nombreuses autres organisations ont participé à divers éléments du satellite. Fin mai, Korolev a finalisé les modifications nécessaires à la version de base de l'ICBM R-7 afin de l'utiliser pour un lancement de satellite. Le nouveau booster, appelé "produit 8A92" intégrait un certain nombre de changements majeurs, dont l'utilisation de moteurs principaux améliorés et un nouveau carénage de charge utile remplaçant celui utilisé pour une ogive nucléaire.

Maquette de l'Objet D

Officiellement, le travail de l’OKB-1 sur l’Objet D restait un travail secondaire, la priorité étant donnée aux nombreux travaux militaires à superviser. Ceux-ci comprenaient des dizaines de lancements de tests du R-5M stratégique, des missiles expérimentaux M-5RD et R-5R, et du premier missile balistique au monde lancé par sous-marin, le R-11FM. Korolev a dirigé également les travaux d’une version améliorée du R-5M nucléaire, du R-5R expérimental, du R-11FM de base et d'une version sous-marine du même missile. A cela s'ajoutait les travaux sur les missiles scientifiques tels que le R-1Ye, le R-5A et bien sûr l'Objet D. Il menait aussi diverses conférences, réunions, et continuait à diffuser des cours auprès de jeunes techniciens qu’il recrutait au sein de l’OKB-1. Compte tenu de l'ampleur du travail à l’OKB-1, il devenait difficile de considérer l'OKB-1 en tant qu'unité fonctionnelle du NII-88. Ainsi, par arrêté (n° 310) du ministère des Industries de défense, daté du 14 août 1956, l’OKB-1 est devenu une organisation distincte et indépendante au sein du ministère, avec sa propre usine de production et des départements de recherche scientifique. Il a fallu dix ans pour que le petit département de Korolev dans un institut de recherche se transforme en une organisation indépendante avec des milliers d'employés, principal développeur de missiles balistiques à longue portée en Union soviétique et seule unité à travailler sur un programme spatial.

Ces modifications se sont accompagné de la nomination de quatre adjoints de Korolev en tant que sous-concepteurs en chef de l'entité nouvellement indépendante : Vasiliy P. Mishin (premier adjoint pour les travaux de planification-conception), Konstantin D. Bushuyev (adjoint à la planification), Sergey O. Okhapkin (adjoint à la conception et à la documentation) et Leonid A. Voskresenskiy (adjoint aux essais au sol et en vol). A l'exception de Korolev et de Mishin, Bushuyev était la personne la plus puissante d'OKB-1. C’était un homme exceptionnellement intelligent et instruit, il avait joué un rôle de premier plan dans le développement de chaque missile balistique au NII-88, en commençant par la fusée R-2 à la fin des années 1950. L'ingénieur de quarante-deux ans était l'expert d'OKB-1 dans les domaines de la planification de projet, de la sélection des paramètres, et des travaux de calcul et de recherche sur l'aérodynamique, la balistique, la stabilité, la tension de surface et le bilan de masse des missiles. Lors de sa nomination comme adjoint à l’OKB-1, il a hérité de tous les travaux sur les thèmes de l'espace. En 1961, il était

responsable du développement du véhicule spatial, supervisant ainsi chaque projet spatial piloté dans les années 1960 et 1970. Pendant près de deux ans, Korolev a fait pression pour transférer le groupe de Tikhonravov du NII-4 à l’OKB-1. Avec l'accélération des travaux sur l'Objet D, le gouvernement a finalement accepté la demande et, le 1er novembre 1956, Tikhonravov et la plupart de ses assistants ont été transférés institutionnellement à l’OKB-1, sous la responsabilité de Bushuyev pour constituer le nouveau Département n°9 dédié aux thèmes spatiaux. Yevgeniy F. Ryazanov a été nommé adjoint de Tikhonravov, tandis qu'un autre assistant, Llya V. Lavrov, a été nommé pour superviser les aspects techniques des travaux sur l’Objet D.

Konstantin D. Bushuyev, adjoint à la planification

Mi-1956, le projet Objet D a commencé à prendre beaucoup de retard. Certains sous-traitants se montraient particulièrement peu investi dans leurs missions, et des pièces étaient souvent livrées qui ne correspondaient pas aux spécifications d'origine. Le 14 septembre, Keldysh, lors d'une réunion du Présidium de l'Académie des Sciences, a insisté sur la nécessité d’accélérer les travaux, invoquant une menace que tous comprenaient : « nous voulons tous que notre satellite vole plus tôt que celui des Américains »[1]. Lors d'une réunion spéciale le 28 septembre 1956, le projet de plan définitif a été adopté.

Le département de Tikhonravov disposait alors de trois modèles d'Objet D, chacun avec une forme à peu près conique et une masse comprise entre 1 000 et 1 400 kilogrammes. La version qui primait, comprenait un système d'alimentation électrique avec des batteries solaires et chimiques, des appareils de radiocommunication avec une capacité multicanale pour transmettre des données télémétriques et recevoir des commandes au sol. Les trois quarts de la masse de l'objet étaient constitués d'instruments scientifiques. Dans l'une des trois versions de l'Objet D, les ingénieurs ont intégré la possibilité d'installer un petit cockpit pour transporter un chien en orbite.

Fin 1956, les retards se sont accentués. En novembre, Korolev, fatigué par la charge de travail et les déplacements incessant entre Kaliningrad et Kapustin Yar étaient particulièrement inquiet et épuisé. Cette inquiétude s’est renforcée lorsqu’il a appris le 21 septembre 1956, que l'armée américaine avait lancé un missile Jupiter C depuis Cap Canaveral, en Floride, qui aurait pu lancer un satellite en orbite s'il avait inclus un troisième étage[2] . Korolev craignait sérieusement que son projet soit devancé par un lancement d’un satellite américain. Il croyait à tort qu'il s'agissait d'une tentative secrète américaine de lancer un satellite.

Mais sa principale inquiétude venait des résultats des tests statiques des moteurs du R-7 au sol. L’impulsion spécifique prévue devait être de 309 à 310 secondes, pourtant les moteurs du R-7 ne pouvaient produire plus de 304 secondes au

maximum. Toute évolution des moteurs était compliquée. Pourquoi ne pas tenter de lancer quelque chose de plus simple lors de la première tentative au lieu d'un observatoire scientifique sophistiqué d'une tonne et demie ?

Tikhonravov a compris les problèmes de Korolev et a anticipé sa demande : « Et si on rendait le satellite un peu plus léger ? Une trentaine de kilos, voire plus léger ? »[3] . Bien sûr, Korolev a immédiatement approuvé et nommé un jeune ingénieur de l’OKB-1, Nikolay A. Kutyrkin, pour concevoir ce nouveau satellite plus petit. Korolev a décidé de ne plus dépendre de sous-traitants qui retardaient le travail, il s'assurerait que le satellite soit entièrement conçu et fabriqué au sein de son propre bureau d'études avec l'aide de seulement deux organisations extérieures : l'Institut de recherche scientifique sur les sources de courant de Nikolay S. Lidorenko pour la conception des batteries embarquées et le NII-885 sous le designer en chef Ryazanskiy pour les émetteurs radio.

Le 5 janvier 1957, Korolev a envoyé une lettre décrivant son plan révisé au Comité spécial. Il a demandé la permission de lancer deux petits satellites, chacun d'une masse de quarante à cinquante kilogrammes, pendant la période d’avril à juin 1957 immédiatement avant le début de l’AIG, maintenant ainsi la prééminence soviétique en lançant un premier satellite. Ce plan dépendait du calendrier du programme R-7 dont le premier lancement était prévu pour mars 1957, au plus tôt. Chaque satellite serait en orbite autour de la Terre à des altitudes de 225 à 500 kilomètres et contiendrait un simple émetteur à ondes courtes avec une source d'alimentation suffisante pour dix jours :

L'objet PS-1

… les États-Unis mènent des projets très intensifs de lancement d'un satellite artificiel de la Terre. Le projet le plus connu sous le nom de « Vanguard » utilise un missile à trois étages… En septembre 1956, les U.S.A. ont tenté de lancer un missile à trois étages avec un satellite dans l'état de Floride qui a été gardé secret. Les Américains n'ont pas lancé le satellite… et la charge utile a volé environ 3 000 milles ou 4 800 kilomètres environ. Ce vol a ensuite été annoncé dans la presse comme un record national. Ils ont souligné que les fusées américaines peuvent voler plus haut et plus loin que toutes les fusées du monde, y compris les missiles soviétiques. De sources écrites, on sait que les États-Unis préparent dans les prochains mois une nouvelle tentative de lancement d'un satellite artificiel de la Terre et sont prêts à payer n'importe quel prix pour atteindre cette priorité.[4]

Même si certaines informations publiées par Korolev étaient erronées, il n’était pas si loin de la réalité. Le spectre de l’imminence d’un lancement américain inquiétait très certainement les responsables de l’Union Soviétique et le 15 février 1957, le Conseil des ministres de l'URSS a signé officiellement un document intitulé "Sur les mesures à mettre en œuvre au cours de l'année géophysique internationale"[5] , approuvant la nouvelle proposition. Les deux nouveaux satellites, PS-1 et PS-2, pèseraient environ 100 kilogrammes et seraient lancés en avril-mai 1957, après un ou deux lancements pleinement réussis de l’ICBM R-7.