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Les alternatives : L'OKB 301 et l'OKB-23

Le missile de Myasishchev, désigné le M-40 ou Bourane (signifiant " blizzard ") avait une configuration similaire à celle de son concurrent. Le M-40 avait une mission différente de celle du La-350 : il portait une ogive thermonucléaire d'une masse de trois tonnes et demie (soit une fois et demie supérieure à celle du modèle Lavochkin). Le premier étage du M-40 disposait d'un groupe de quatre fusées d'appoint, chacune avec un seul moteur nitrique acide-kérosène du bureau d'études de Glushko. Le deuxième étage utilisait un seul statoréacteur Bondaryuk RD-018A avec une poussée d'environ dix tonnes et demie. La longueur totale du véhicule était de vingt-quatre mètres et sa masse de 125 tonnes.

Le travail sur les missiles de croisière était soutenu par les études du NII-1 de Keldysh. Chaque missile avait des systèmes de guidage spécifiques réalisés par les ingénieurs du NII-1. Même si Lavochkin et Myasishchev dirigeaient les programmes, c’était l'académicien Keldysh qui restait le coordinateur et le directeur général de ces deux importants projets.

Les directives T1 et T2 de février 1953 validaient les travaux de conception de création de missiles balistiques et de croisière intercontinentaux, tous deux devant être créés à l'OKB-1. Fin 1953, la charge de travail de l’OKB-1 est devenu de plus en plus insupportable. Le développement des missiles de croisière était en fait limité à la création du véhicule expérimental EKR à courte portée, l'EKR serait une étape intermédiaire avant la construction d’un missile à moyenne portée. A la fin de 1953, le NII-88 a commencé à fabriquer divers composants de l'EKR, et les essais au sol du statoréacteur à l’OKB-670 étaient plutôt encourageants. Une commission spéciale formée pour suivre les progrès du programme EKR, qui comprenait les académiciens Keldysh et Khristianovich, a recommandé, vu la qualité des résultats, de passer directement à un missile intercontinental au lieu de construire une version provisoire. De la même façon que l'abandon du R-3 au profit d’un ICBM, c'était la deuxième fois que les ingénieurs et scientifiques soviétiques décidaient de renoncer à un véhicule intermédiaire au profit de la construction directe d’un missile intercontinental. Korolev et Keldysh étaient parfaitement conscients que l'OKB-1 seul ne serait pas en mesure de gérer les deux tâches, et après quelques « discussions passionnées », Korolev a décidé d’abandonner le travail sur les missiles de croisière et de le transférer à d'autres bureaux de conception, notamment à ceux de l'industrie aéronautique qui disposaient d’une forte expérience dans le développement de bombardiers à longue portée. Korolev montrait ainsi son intérêt croissant vers les missiles balistiques, meilleur moyen d'explorer la haute atmosphère et l'espace extra-atmosphérique.

Le NII-1 a conservé la supervision scientifique du programme de missiles de croisière intercontinentaux, mais les tâches d'ingénierie proprement dites ont été réparties entre deux bureaux de conception aéronautique. Chacun concevrait et construirait son propre missile de croisière intercontinental, se faisant concurrence pour livrer un modèle fonctionnel aux forces armées soviétiques. Modèle typiquement soviétique des « marchés concurrentiels », il n'était pas rare que deux bureaux d'études se voient attribuer simultanément des projets, des programmes axés à peu près sur les mêmes exigences. Les deux propositions atteignaient souvent le stade des essais en vol sous la supervision du ministère des Forces armées (plus tard le ministère de la Défense). En fonction des résultats des essais, et souvent de la proximité entre le concepteur en chef et les dirigeants, le ministère choisissait un missile pour la production à grande échelle et l'intégration dans les forces armées. L'échec d'un bureau d'études pouvait très souvent signifier la fin de son existence, motivant ainsi très fortement les ingénieurs à la réussite de leur projet.

Le Bureau de conception expérimentale n°301 (OKB-301) a été la première organisation retenue pour produire le premier missile de croisière. Il était situé à Khimki et dirigé par le concepteur en chef Semyon A. Lavochkin, 53 ans, l'un des concepteurs d'avions les plus célèbres de l'Union soviétique. Créé en juillet 1937, ce bureau d'études avait produit un certain nombre d'avions de chasse largement utilisés pendant la guerre. Plus tard, Lavochkin avait dirigé le développement de plusieurs avions à réaction expérimentaux, comme le La-160, premier avion soviétique aux ailes en flèche, et le La-176, premier avion soviétique à passer le mur du son. Au début des années 1950, l'OKB-301 s'était diversifié dans la conception de missiles : son premier modèle, le missile V-300, nom de code Berkut, avait été conçu pour le réseau de défense aérienne de Moscou.

La deuxième organisation aéronautique était le Bureau de conception expérimentale n°23 (OKB-23), une entreprise relativement nouvelle qui n'avait aucune expérience dans la conception de missiles, il était spécialisé dans la conception de bombardiers à longue portée. Au printemps de 1951, Staline avait fait appel à Andrey A. Tupolev, célèbre patriarche de l'aviation et concepteur en chef de l'OKB-156, basé à Moscou, pour réfléchir à l'avenir des bombardiers stratégiques. Lorsqu'on lui avait demandé de

Semyon A. Lavochkin

commencer à travailler sur un bombardier à réaction à longue portée, le vieux concepteur d'avion avait déclaré que la technologie soviétique n'était pas suffisamment avancée pour faire face à un tel projet. Staline, furieux, avait confié le travail à Vladimir M. Myasishchev, un ingénieur aéronautique de quarante-huit ans qui se trouvait être le gendre de Tupolev. Les réalisations de Myasishchev jusqu'en 1951 n’étaient pas convaincantes. Il avait travaillé sur divers avions pendant la Seconde Guerre mondiale en tant que prisonnier, d'abord sous Tupolev et plus tard à l’OKB-482, mais aucun d'entre eux n'avait été retenu pour une production en série. Pour donner une nouvelle chance à Myasishchev, Staline avait créé le 24 mars 1951 une nouvelle organisation, l’OKB-23, à Fili. Pour sa nouvelle équipe, le concepteur en chef avait réuni plus de 1 500 des meilleurs ingénieurs aéronautiques soviétiques de l'Institut de l'aviation de Moscou (TsAGI) à l'usine de Fili. Cette usine est aujourd'hui connue sous le nom de GKNPZ Khrounitchev, l'un des principaux participants à la création de la station spatiale internationale.

Les missiles de croisière intercontinentaux de Lavochkin et Myasishchev partageaient des caractéristiques communes avec les plans de l'EKR de Korolev. Les deux véhicules étaient des

Vladimir M. Myasishchev

missiles à deux étages. Les premiers étages étaient propulsés par des moteurs-fusées à propergol liquide, tandis que les seconds étaient équipés de statoréacteurs supersoniques. La conception Lavochkin, appelée La-350 (ou V-350), plus connue sous son surnom de « Burya » (signifiant « tempête »), utilisait un groupe de deux propulseurs de fusée, qui servait de premier étage, moteur presque identique à celui utilisé sur le missile tactique à courte portée R-11. Le deuxième étage ressemblait à un gros avion. Le statoréacteur principal était le RD-012U du bureau d'études de Bondaryuk. Ce moteur avait une poussée moyenne de 7,65 à 7,75 tonnes. Le missile mesurait un peu moins de vingt mètres de long et avait une masse totale de quatre-vingt-seize tonnes. Le La-350 était capable de livrer une ogive atomique conventionnelle d'une masse de 2,19 tonnes sur une distance maximale de 8 500 kilomètres.