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Le conseil des concepteurs en chef

Le NII-1, qui avait vu passé tant d’ingénieurs, a été réorganisé aussi en novembre 1946. Mstislav V. Keldysh, un mathématicien de trente-cinq ans, en a pris la direction. Keldysh était né en 1911 à Riga. A l'âge de quatre ans, sa famille avait été évacuée vers Moscou pendant la Première Guerre mondiale. Dans les premières années de l’Union soviétique, il s’était vu refuser l'entrée à un institut d'ingénieurs civils en raison de son attachement à une famille noble. Quelques années plus tard, il était parvenu à entrer à l’Université d'État de Moscou et à obtenir son diplôme du département de physique et de mathématiques. Il avait obtenu un emploi à l’Institut central d'aérohydrodynamique (TsAGI) sous la responsabilité de Mikhail Lavrentyev. Au TsAGI, il avait travaillé sur les effets d’oscillations auto-induites en vol et de déformations structurelles. Ces effets étaient à l'origine de nombreuses catastrophes aériennes de l'époque. En 1937, Keldysh était devenu docteur en sciences, et nommé professeur à l'Université d'État de Moscou. En 1943, il est devenu membre correspondant de l'Académie des sciences de l'URSS. Il a obtenu son premier prix Staline en 1946 pour ses travaux sur les auto-oscillations des avions, certainement l’un des plus jeune soviétique à avoir obtenu une telle distinction.

Le principal objectif du NII-1, réorganisé et dépendant du ministère de l’industrie aéronautique, était la conception d’un avion-fusée intercontinental (inspiré du fameux Silbervogel allemand

Tests du moteur RD-100

Contrairement à la période d’avant-guerre et aux modèles construits par le GIRD et le NII-3, le NII-88 ne pouvait travailler seul à la construction des nouveaux projets. Les modèles de type A-4 nécessitaient des systèmes plus compliqués, notamment pour le guidage, les moteurs et les structures de lancement. Le NII-88 devait collaborer avec d’autres instituts. Comme pour le ministère des armements et son NII-88, de nouvelles organisations ont été créés dans d’autres ministères. Le 3 juillet 1946, le ministère de l’Industrie aéronautique a créé le Bureau de conception spéciale n°456 (OKB-456) dans son ancienne usine aéronautique n°84 à Khimki pour la conception, le développement et la production de moteurs fusées à hautes performances. La responsabilité de ce bureau a été confiée au concepteur en chef Glushko. L'infrastructure et les matériaux du nouveau bureau d'études provenaient de l'usine de Lehesten en Allemagne. Glushko a rassemblé environ 150 de ses anciens collègues de l’OKB-SD pendant la guerre. Une grande partie des efforts de l'OKB-456 était axée sur les tests des moteurs principaux A-4 existants et sur l’adaptation et la fabrication de sa version soviétique, le RD-100.

Les systèmes de guidage et de contrôle des missiles à longue portée étaient gérés par plusieurs entreprises réparties dans l'industrie de la défense soviétique. L'Institut de recherche scientifique n°885 (NII-885), sous la direction du

directeur Nikolay D. Maksimov au ministère de l’Industrie des équipements de communication était chargé de la conception et du développement de tous les systèmes de guidage autonomes, des systèmes de contrôle radio et des systèmes de radio télémétrie. Mikhaïl S. Ryazanskiy, âgé de trente-sept ans, a été nommé concepteur en chef des

Mihaïl Ryazanskiy, concepteur en chef des systèmes de contrôle radio

Viktor I. Kouznetsov, concepteur en chef des instruments gyroscopiques

Vladimir P. Barmin, concepteur en chef des équipements de lancement

Sergeï P. Korolev, responsable de la conception globale

Valentin P. Glushko, concepteur en chef des moteurs fusées

Nikolaï A. Pilyugin, concepteur en chef des systèmes de guidage

systèmes de contrôle radio pour tous les missiles balistiques soviétiques. Disposant d’une expérience dans le développement d'instruments de radar pour les systèmes navals, Ryazanskiy avait travaillé au NII-20 jusqu'à son arrivée en Allemagne. Au début de 1947, Nikolay A. Pilyugin, trente-huit ans, un vétéran du NII-1/Raketa, a été nommé adjoint principal de Ryazanskiy pour les systèmes de guidage autonomes en tant que chef du département d'automatisation. Ces hommes avaient joué un rôle majeur en Allemagne et exerceront une influence significative sur le développement du programme spatial soviétique.

Le développement d'instruments gyroscopiques pour les missiles balistiques à longue portée a été confié à l'Institut de recherche scientifique n°10 (NII-10), au ministère de l’Industrie de la construction navale, sous la direction du nouveau concepteur en chef Viktor I. Kouznetsov, âgé de trente-trois ans. Grâce à son expérience dans la conception d'instruments gyroscopiques pendant la guerre, Kuznetsov avait également travaillé en Allemagne en 1945-46. La conception des rampes de lancement et de l'équipement associé pour les missiles a été confiée au Bureau de conception de l'Union d'État pour la construction de machines spéciales (GSKB SpetsMash), au sein du ministère de la construction de machines et d'instruments. Le concepteur en chef était Vladimir P. Barmin, âgé de trente-sept ans, qui avait dirigé la production des silos de lancement des missiles Katyusha pendant la guerre à la célèbre usine Kompressor de Moscou. En 1945-46, Barmin avait également été ingénieur en chef de l'Institut de Berlin en Allemagne. Il est étonnant que tous ces anciens membres de l'Institut Nordhausen se soient retrouvés à la

tête d’organisations différentes, relevant de différents ministères. La fonctionnalité du système aurait pu être très compliqué. Chacun des directeurs s’était habitué à accepter l’autorité de Korolev depuis l’Allemagne. Mais Korolev a eu l’idée de former un « Conseil des concepteurs en chef » composé des six principaux concepteurs des différents instituts, et le système a fonctionné. Établi en novembre 1947, le conseil était une entité informelle et distincte des instituts et des bureaux de conception et assumait le contrôle de l'ingénierie pendant le début du programme spatial soviétique. Ce Conseil était composé de Korolev (responsable de la conception globale), de Glushko (conception des moteurs de fusée), de Barmin (équipement de lancement), de Kouznetsov (gyroscopes), de Pilyugin (systèmes de guidage autonomes), et de Ryazanskiy (systèmes radio télémétrie). Korolev était le chef du conseil. Glushko, son ancien patron de Kazan, était désormais sous ses ordres. Les rôles s’étaient à nouveau inversés à la grande satisfaction de Korolev. Ce Conseil permettait de contourner la chaine de commandement classique très bureaucratique de l’industrie et facilitait un travail plus rapide et plus efficace. Réunissant des personnes appartenant à des ministères différents, c'était clairement une nouveauté dans l'approche très centralisée de l'industrie de défense soviétique. Les membres du conseil ont joué un rôle unique : grâce à des contacts personnels et à des alliances avec de multiples structures du pouvoir au sein du parti et de l'appareil gouvernemental, ils ont fait pression pour soutenir leurs projets, ont obtenu l'approbation officielle et ont pu faire appliquer les ordres du gouvernement, que les responsables gouvernementaux n'auraient pas réussi à faire. Ce comité illustrait le pragmatisme et l'originalité de Korolev dans sa recherche d'un travail plus efficient. Comme l’a précisé Chertok, « les concepteurs ont parfaitement compris que sans l’autorité de Korolev, avec le cloisonnement départemental et la dispersion entre les différents ministères, rien ne pourrait aboutir ». Mishin a déclaré : « Korolev a été intégré au programme spatial comme un moteur dans une fusée. Il s'intégrait si bien dans le système social et économique existant qu'il pouvait, en fait, le contourner. »

Le conseil des concepteurs en chef

Dans les années 1960, le Conseil des concepteurs en chef, était un organe informel dont les décisions n'avaient aucun pouvoir juridiquement contraignant. Il est devenu de facto un comité directeur du programme spatial et de missiles soviétiques. Le conseil invitait souvent à ses sessions de nombreux responsables de l'industrie de la défense, des responsables militaires et universitaires. Lors de ces réunions informelles, Korolev et d'autres concepteurs en chef pouvaient échanger librement des opinions sur des questions techniques et organisationnelles cruciales sans lourdeur bureaucratique. Par exemple, en septembre 1960, la réunion du conseil a regroupé quatre-vingt-sept participants et a porté sur la conception du propulseur lourd N-1 et de ses applications militaires potentielles. En janvier 1961, le conseil s’est à nouveau réuni pour discuter spécifiquement du choix du carburant pour le N-1, en tenant compte de l'efficacité, de la toxicité et du coût des différents carburants. Lors de la réunion de juin 1964, le conseil a pris une décision cruciale d'utiliser l'oxygène liquide comme carburant principal pour le N-1 et d'utiliser le N-1 dans le programme d'alunissage. Cette décision a été officiellement approuvée dans le décret conjoint d'août 1964 du Comité central du Parti et du gouvernement soviétique, autorisant le programme d'alunissage 

soviétique. Outre les six grandes organisations centrales, deux autres Instituts ont joué un rôle majeur dans le développement du programme spatial soviétique : Le NII-1 et le NII-4.

Mstislav V. Keldysh, responsable du NII-1

Mikhaïl K. Tikhonravov responsable du NII-4

conçu par Sanger et Bredt) pouvant transporter une bombe nucléaire à longue distance. Isayev, de retour d’Allemagne a travaillé sur la conception du moteur-fusée pour ce projet. L’institut était aussi chargé de la recherche aérodynamique, la balistique, la fusée et les statoréacteurs. Plusieurs départements ont été créés au sein de l’institut pour étudier ces problèmes, dont un bureau de conception aéronautique dirigé par Viktor F. Bolkhovitinov, qui avait formé le groupe Raketa, et trois bureaux de conception de moteurs. Aleksey M. Isayev, l'ingénieur qui avait été l'un des premiers Soviétiques à entrer à Peenemünde, au printemps 1945, dirigeait le premier de ces bureaux de conception de moteurs. Il était rentré d'Allemagne en septembre 1945 pour reprendre son travail au NII-1 après une période à l'usine de Lehesten. Isayev était l'un des concepteurs de moteurs de fusée les plus talentueux du pays à l'époque. Il existait une certaine rivalité entre Glushko et lui. Leonid S. Dushkin dirigeait le deuxième bureau de conception de moteurs, également axé sur les moteurs de fusée, tandis que Mark M. Bondaryuk, nommé au troisième bureau, dirigeait le développement des statoréacteurs pour le bombardier Sanger-Bredt. Finalement, ces trois bureaux devaient développer des systèmes de propulsion pour les missiles stratégiques à longue portée.

Le NII-4, troisième entité à jouer un rôle majeur dans le secteur des fusées d’après-guerre, faisait partie du ministère des Forces Armées, principal client des missiles balistiques. Formé en même temps que le NII-88, le NII-4 était dirigé par Mikhaïl Tikhonravov, ancien collaborateur de Korolev au GIRD et concepteur de la première fusée soviétique à propergol liquide. Tikhonravov était un des rares ingénieurs non militaires. Tyulin a lui aussi rejoint le NII-4.