an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Ustinov, Commissaire du Peuple à l’Armement

[1] G. A. Tokaty., Technology and Culture, Vol. 4, No. 4, The History of Rocket Technology (Autumn, 1963), pp. 515-528

[2] Depuis 1918 et jusqu’en 1946, le Conseil des ministres a été appelé Conseil des commissaires du peuple de la RSFSR puis de l'URSS. Les fonctions de ministres dans le gouvernement de l'Union soviétique, étaient occupées par des commissaires du peuple.

[3] Boris Y. Chertok, Rockets and People, vol. 1, Washington, D.C., NASA, coll. « NASA History series / 4110 », 2005, p 323

Eugen Sanger, et son épouse Irene Bredt

Au-delà du travail de recherche sur l’A-4, l’Institut a récupéré de nombreuses données sur des technologies militaires développées par les Allemands, notamment sur des missiles anti-aériens construits par le IIIème Reich, tels le Schmetterling ou le Wasserfall qui auraient pu être redoutable contre les bombardiers alliés. Le travail le plus intéressant découvert est certainement une étude théorique intitulée « Uber Einen Raketenantriebe Fernbomber » publiée en août 1944 par les ingénieurs autrichiens, Eugen Sanger et Irene Bredt. Il n’existait que cent exemplaires de cette publication. Dénommé Silbervogel ou avion antipodal, le projet de Sanger et de Bredt reposait sur la propulsion de l’avion depuis un rail qui devait l’envoyer sur une trajectoire en arc de cercle. Grâce à son fond plat, il devait ensuite planer, sans carburant, et rebondir sur l’atmosphère jusqu’à sa destination. Sanger, qui pensait initialement à un avion qui transporterait des passagers, a vite compris qu’il aurait besoin de financements militaires pour poursuivre ses recherches. Il a été recruté par Herman Göring dans un centre de recherches de la Luftwaffe, trois ans avant le début de la guerre. Face aux mauvais résultats du projet mené par Sanger et notamment à cause des difficultés rencontrés avec le système de propulsion liquide de l'engin, Göring a décidé d’arrêter le projet en 1942, après la défaite de Stalingrad. L’idée des nazis était de disposer d’un bombardier capable d’atteindre New-York en transportant des bombes de 300 kg. Ce document a été découvert en mai 1945 à Peenemünde, par Isayev. Les capacités du bombardier antipodal effrayèrent dans un premier temps les soviétiques et la nouvelle parvint même aux oreilles de Staline qui s’est montré très intéressé par le projet, allant jusqu’à créer un groupe spécial de l’armée de l’air pour enquêter sur le sujet. Lors d'une réunion du Politburo et du Conseil des ministres de l'URSS, en 1947, Staline est revenu sur le sujet : « Sous Hitler, les scientifiques allemands ont développé de nombreuses idées intéressantes », a-t-il déclaré avec le plus grand sérieux. « Ce projet Sanger est très intéressant, une telle fusée pourrait changer le destin de la guerre. Vous rendez-vous compte de l'énorme importance stratégique des machines de ce genre ? Nous devons aller de l'avant, camarades. Le problème de la création de fusées transatlantiques est d'une extrême importance pour nous. »[1]

Lev Mikhailovich Gaydukov, directeur de l'OTK

Fin 1945, le major général Gaydukov a pris la direction de l’OTK, en remplacement du major Général Kouznetsov, blessé lors d’un accident automobile. Cette nomination était importante pour Korolev car c’était Gaydukov qui l’avait fait sortir de son obscur travail en Russie. A cette période, Gaydukov a dû prendre une décision politique importante pour l’avenir du programme spatial soviétique. Staline lui a confié la mission de se rapprocher d’un ministère pour superviser l’effort de recherche sur les missiles en Allemagne. Gaydukov avait trois possibilités : se rapprocher du Commissariat[2] à l’industrie aéronautique, du Commissariat aux munitions où du Commissariat à l’Armement. Gaydukov a d’abord tenté de se rapprocher de Alexei I. Shakhurin, commissaire du Peuple à l’industrie aéronautique, mais Shakhurin n’avait pas changer ses positions par rapport à son rapport de 1944, il ne croyait toujours pas en l’avenir des missiles et privilégiait le développement des avions à réaction. Shakhurin a refusé d’intégrer cette structure dans son ministère, décisions qui a inquiété de nombreux ingénieurs de l’OTK employés directement par ce ministère. Ce refus a marqué le début d'une confrontation entre l'aviation et les missiles qui allait durer de nombreuses années, l'aviation prendrait l'avantage jusqu'à ce que des missiles stratégiques avec des ogives nucléaires émergent. Boris L. Vannikov, le commissaire du Peuple aux munitions était intéressé mais il a été rappelé en urgence par Staline pour superviser certains aspects du projet de bombe atomique soviétique. Gaydukov s’est donc rapproché du dernier choix possible, le Commissariat du Peuple à l’Armement.

Celui-ci était dirigé par un jeune ingénieur en mécanique de trente-sept ans, Dmitriy Fedorovich Ustinov, né à Samara avant la révolution bolchevique. Il avait perdu ses parents dans la famine de 1921. En 1922, à l'âge de quatorze ans, il s’était porté volontaire pour servir dans l'Armée rouge. En 1923, il a été démobilisé et a fréquenté un institut polytechnique à Makarev, puis a commencé à travailler dans l'industrie de la défense. Membre de l'intelligentsia technique soviétique émergente, il a rejoint le Parti communiste en 1927, diplômé de l'Institut de mécanique militaire en 1934, il a intégré l'Institut scientifique et technique pour l'artillerie navale la même année. En 1937, il a commencé à travailler comme ingénieur d'études au complexe de l'industrie de défense bolchevique de Leningrad et en 1938 est devenu directeur de l'usine de Bolzhevik, l'une des installations d'armement les plus importantes du pays, bénéficiant des postes libérés par les purges. Avec l'invasion allemande de l'Union soviétique, et bénéficiant du manque de personnes qualifiés, décimées par les purges, il a été nommé commissaire du peuple aux armements. A ce titre, il a joué un rôle de premier plan dans l'organisation de la production des industries de défense soviétiques et a été l'un des principaux membres du cabinet de guerre de Staline, le Comité d'État de la Défense. Plus jeune que Glushko et Korolev, Ustinov malgré son jeune âge, était très respecté dans le gouvernement, ayant réussi à échapper aux intrigues politiques qui avaient mené de nombreux responsables au Goulag.

Avant de prendre sa décision, Ustinov a envoyé son adjoint Vasiliy M. Ryabikov en Allemagne pour évaluer les travaux réalisés à Berlin, Nordhausen et Lehesten. Cette visite a été de courte durée mais allait avoir un impact crucial pour les décisions à venir. Ryabikov s'est envolé pour Berlin et s’est rendu à Bleicherode. Il a visité Mittelwerk et s’est familiarisé avec la courte histoire de l'Institut Rabe, discutant tour à tour avec Pilyugin, Mishin, Ryazanskiy, Chertok et Voskresenskiy. Il a appris à connaître ces hommes et leur travail. A la fin de sa visite, lors d’un diner d’adieu, Ryabikov a déclaré aux équipes que sa vision du monde technique avait considérablement été modifiée par tout ce qu’il avait vu et entendu, et il a précisé : « Vous êtes simplement des champions pour avoir conçu et organisé un tel concept. Vous aurez toujours mon soutien[3]».

Dmitriy Fedorovich Ustinov, commissaire du peuple à l'armement