L'institut RABE
des préparatifs de lancement, alors que Glushko a été envoyé à Lehesten pour superviser les travaux sur les moteurs, en remplacement de Isayev et Pallo retournés à Moscou après avoir réalisés un important travail. Korolev et Glushko ont joué un rôle prépondérant dans le travail réalisé par l’OTK, leur capacité étant reconnues par les dirigeants Soviétiques : Korolev, très proche des ingénieurs allemands en maîtrisant leur langue, avait une énorme capacité pour administrer et gérer, alors que Glushko, plus distant, était certainement un meilleur ingénieur. Korolev, par sa proximité avec les Allemands est devenu l’homme à surveiller, de peur qu’il ne parte vers les Etats-Unis.
Dans son ouvrage, Kurt Magnus[2], décrit sa première rencontre avec Korolev : Dans nos discussions, au cours de cette soirée, l’intérêt de Korolev s’est principalement concentré sur les sujets techniques, les trajectoires et l’ascension des fusées, la propulsion, le guidage. « Et si nous augmentions de plus en plus la portée », a-t-il fait remarquer, « alors nous pourrions enfin construire des satellites artificiels qui orbiteraient autour de la terre ». Une telle affirmation, absolument correcte sur la base des lois du mouvement planétaire, nous est apparue comme un projet utopique qui ne pourrait voir le jour avant de nombreuses années. Cependant, Korolev, peu impressionné par notre scepticisme et nos hésitations a poursuivi avec enthousiasme : « Et si nous augmentions encore la vitesse d’environ 40%, alors nous pourrions visiter la lune. Travaillons ensemble pour y parvenir ».
[1] Boris Y. Chertok, Rockets and People, vol. 1, Washington, D.C., NASA, coll. « NASA History series / 4110 », 2005
[2] Kurt Magnus, Raketensklaven, Ed. Elbe-Dnjepr-Verlag, 1999


La villa Franka à Bleicherode
Après avoir collecté un maximum d’information, le groupe s’est installé à Bleicherode le 18 juillet dans la villa Franka, habitée par von Braun avant son départ. Les soviétiques ont réussi à s’entourer d’environ 200 techniciens allemands qui avaient travaillé sur les missiles pendant la guerre. Installé à Bleicherode, les Russes ont été autorisés à établir un centre de coordination centralisé Germano-soviétique ayant pour mission de collecter des informations mais aussi de tenter de remettre en marche l’usine de production de Mittelwerk. L’administration soviétique a baptisé ce groupe Institut Rabe (de l'allemand Raketenbau und Entwicklung - construction et conception de fusées), et nommé le major Chertok co-responsable avec un ingénieur allemand Gunther Rozenplenter. La tâche prioritaire pour tout le personnel était de restaurer, d'abord sur papier, la technologie qui avait été développée à Peenemünde. Pour ce faire, il fallait rechercher avec diligence tout ce qui avait été caché ou laissé après le retrait des Américains, et recruter des spécialistes qui avaient travaillé à Peenemünde, ou ailleurs. La chasse aux trésors a continué pendant cette période et des éléments de V2 ont été retrouvés dans des endroits les plus improbables : des composants du système de guidage au fond d'une galerie sans issue dans une mine de potassium, deux panneaux de contrôle de
tir dans une cabane de forestier et dans une réserve de chasse, une cinquante de chambre de combustion dans une carrière de sable à Lehesten.
Plusieurs ingénieurs aéronautiques du NII-1 ont convergé vers Bleicherode dès la création de l’institut Rabe. Ainsi, en juillet, Youri A. Pobedonostsev, l'ancien associé au GIRD de Korolev, a rejoint l’institut, devenant rapidement l’un des principaux ingénieurs chargés de restaurer la chaine de production des V2. Sous le sceau du secret, d’autres ingénieurs dont Vasiliy P. Mishin et Nikolay A. Pilyugin ont rejoint l’Institut. Tous ces ingénieurs ont été convoqués à Moscou, la veille de leur départ, par des intermédiaires du Comité central du Parti. Ils ont été simplement informés qu’ils devaient partir pour l'Allemagne le lendemain en tant que membres d'une commission technique spéciale secrète. Aucun ne connaissait le but de sa mission, et tous ont reçu des grades militaires sur place pour ne pas éveiller les soupçons des Alliés sur la présence de civils dans les zones occupées. Mishin et Pilyugin connaissaient bien les éléments de base de l'A-4, ayant travaillé à l'examen des pièces récupérées au NII-1 en 1944. A son arrivée à l’institut Rabe, Pilyugin, expert des systèmes de guidage, a été nommé premier sous-directeur de l'Institut. En août, l’équipe a continué de se renforcer avec l’arrivée de Vladimir P. Barmin et de nouveaux ingénieurs.


Tous ces hommes restaient sous le contrôle de l’Artillerie soviétique. Le major général Nikolay N. Kouznetsov, commandant de l’unité des mortiers de la garde, a créé un centre de commandement pour les fusées à Berlin, qui abritait une Commission technique spéciale (OTK en son abréviation russe). En tant que premier chef de l'OTK, Kouznetsov a expliqué à toutes les personnes impliquées que l'Institut Rabe et tous les travaux subsidiaires sur la restauration des opérations de V2 seraient désormais sous le commandement de la Direction générale de l'artillerie. Kouznetsov a nommé le jeune lieutenant-colonel Tyulin chef adjoint de l'OTK, stationné à Berlin pour diriger et coordonner les opérations sur le terrain de tous les ingénieurs aéronautiques. Pobedonostsev était le principal coordinateur de l'ingénierie d'OTK. L’organisation en Allemagne était répartie autour de trois sites :
• Le Zentralwerke, une usine d'assemblage située dans un ancien dépôt de réparation des V2 à Klein Bodungen ;
• L’Institut Rabe dirigé par Chertok et Pilyugin, dont les tâches étaient axées autour de la reconstruction des systèmes de guidage du V2 ;
• Les bancs d'essai de propulsion à Lehesten, où Arvid V. Pallo et Isayev référençaient les informations sur les moteurs.
En juillet, les Russes ont réalisé leur principale découverte en Allemagne, un ensemble de plus de cinquante chambres de combustion, toute neuve dans un dépôt souterrain à Lehesten, ainsi que quinze wagons de chemin de fer complètement intacts contenant pléthore d'équipements.
Au début de l’automne 1945, les Soviétiques, conscients que les plus brillants ingénieurs de l’équipe de Peenemünde étaient aux mains des Américains, ont lancé une opération pour enrôler au sein de l’OTK des Allemands disposant de connaissance. Cette opération était dirigée par Chertok. Les conditions pour attirer les ingénieurs allemands étaient très alléchantes et quelque peu jalousées par les militaires soviétiques. Chertok a mentionné dans ses mémoires : « Les Allemands titulaires d'un diplôme d'ingénieur et d'un doctorat recevaient à l'Institut RABE tous les quatorze jours les rations alimentaires suivantes : soixante œufs, cinq livres de beurre, douze livres de viande et une quantité pleinement suffisante de pain, de sucre, d'huile végétale, de pommes de terre, de cigarettes et boissons alcoolisées. Leur salaire mensuel de 1 400 marks était versé sans aucune déduction. Les scientifiques soviétiques de retour chez eux à Moscou pendant ces années n'auraient pas rêvé de telles conditions »[1]. Malgré ces motivations, il était difficile de recruter des ingénieurs. Face à ces difficultés, Pilyugine a élargi le spectre du recrutement en acceptant des spécialistes n’ayant pas forcément travaillé directement sur les fusées à Peenemünde. C'est ainsi que le Dr Kurt Magnus a rejoint l’Institut Rabe. Le Dr Magnus était un théoricien et un ingénieur de premier ordre dans le domaine des gyroscopes et de la mécanique théorique. Il a convaincu son ami, le Dr Hans Hoch, universitaire, brillant théoricien en contrôle technique, de rester à Bleicherode pour apporter ses connaissances.


Bancs d'essai de propulsion à Lehesten


Mais l’Institut RABE avait aussi besoin de vrais spécialistes en missiles qui avaient œuvré à Peenemünde. Pour ce faire, Chertok a mis en place un programme secret, dénommé opération Ost, en vue d’établir un réseau d’agents et si nécessaire, de pénétrer dans la zone américaine et d’intercepter des spécialistes avant leur départ aux États-Unis. Cette opération a été couronnée de succès avec l’arrivée d’Helmut Gröttrup, ancien responsable des laboratoires de télémétrie à Peenemünde. Gröttrup avait quitté le groupe de von Braun en avril 1946 en s’enfuyant du train qui emmenait les ingénieurs vers les Alpes. C’est la femme d’Helmut Gröttrup, Irmgardt qui a pris contact avec les soviétiques pour savoir ce qu’ils avaient à offrir. Elle a rapidement fait savoir à Chertok que c’était elle qui prenait les décisions dans le couple. Elle et son mari détestaient les nazis et elle trouvait les Américains grossiers avec leur chewing-gum et la façon dont ils posaient les pieds sur la table. Les Américains n’emmenaient aux Etats-Unis que les ingénieurs, pas leur famille. Cela ne convenait pas à Irmgardt. Après négociation, Helmut a rejoint sa femme en zone soviétique. Les Russes lui ont offert un poste convenable, une villa à Bleicherode, un bon salaire, une voiture avec un chauffeur et des rations de nourriture de l’Armée Rouge. Mi-septembre 1945, Gröttrup et sa famille a rejoint l’Institut Rabe à
Irmgardt et Hemult Gröttrup et leurs enfants
Bleicherode, apportant un soutien significatif. Bien entendu, la décision de Gröttrup reposait plus sur sa volonté de rester en Allemagne que sa sensibilité politique à se rapprocher des Russes. L’opération Ost a permis aussi de récupérer l’aérodynamicien Dr. Werner Albring, le concepteur Joseph Blass, l’expert en guidage Johannes Hoch, le spécialiste en gyroscope Kurt Magnus, les chimistes en propulsion Franz Mathes et Joachim Umpfenbach, ainsi que l’expert en balistique Waldemar Wolff. Ces personnes avaient toutes joué un rôle très important dans le développement des V2 et allaient apporter un soutien indéniable aux russes.
La recherche de documentions s’avérait difficile et longue pour les Russes. A l’automne 1945, une rumeur est parvenue à l’institut de Berlin selon laquelle un train chargé de croquis de missiles qui devait être envoyés en Autriche par les Allemands en fuite avait été capturé par des insurgés tchécoslovaques près de Prague. Mishin, le plus familiarisé avec le plan du V-2 a quitté immédiatement Berlin pour Prague. Dans la capitale Tchèque, il a localisé le bureau de coordination de la production de A-4 et a trouvé de précieux renseignements indiquant de nombreuses usines de matériaux pour l’A-4 en Autriche, Hongrie et Pologne. Après quelques recherches, il a mis la main sur une documentation importante dans un des wagons du train capturé.


Mais les deux principaux renforts de l’OTK sont arrivés mi-septembre en provenance de Russie. Il s’agissait de Sergey P. Korolev et Valentin P. Glushko. A la fin de l’été 1945, le Major général Gaydukov, représentant du Parti communiste pour OTK et le chef de toutes les opérations de récupération des V2 en Allemagne, conscient du besoin de renforcer l’OTK de spécialistes russes avait rédigé une liste des ingénieurs, qui selon lui, seraient des atouts importants pour les recherches et qui avaient été incarcérés à la fin des années 30 lors des grandes purges. Korolev et Glushko, à cette époque travaillaient à l’OKB-SD depuis juillet 1944, sur des boosters pour aider les avions de combat à décoller. Fin août 1945, ils ont été déchargés de ce travail. Korolev est rentré quelques jours à Moscou pour revoir sa femme et sa fille qu’il n’avait pas vu depuis sept ans. Cette liberté est restée de très courte durée puisqu’il a rejoint Glushko à Berlin le 8 septembre pour se placer sous les ordres du Lieutenant-colonel Tyulin.
Korolev et Glushko étaient considérés comme les plus brillants et les plus expérimentés ingénieurs dans le domaine des fusées en Russie. Ils ont été très bien accueillis à l’OTK où ils étaient connus pour leur travail au sein du GIRD dans les années 30. Korolev a pris en charge à Bleicherode l’étude