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Les purges staliniennes

A la fin de 1937, le NKVD avait entre les mains une déclaration signée de Kleïmenov et Langemak, accusant Korolev et Glushko de saboter le programme de développement des fusées. Le 18 et le 20 février, deux réunions se sont tenues entre les membres du Conseil scientifique et technique de l’institut. Des preuves ont été présentées montrant que Glushko était en relation avec « les ennemis du Peuple », qu’il avait divulgué des secrets militaires à d’autres puissances. A l’unanimité de ses collègues, sauf un, une résolution a été adoptée stipulant que Glushko n’était plus fiable. Korolev n’était pas présent à ce Comité. Glushko a été arrêté le 23 mars 1938 comme ennemi du peuple, et a avoué ses actes de sabotage fictifs sous la torture. Il a été condamné le 15 août 1939 à 8 ans d'emprisonnement. Glushko a été interné dans la sharashka TsKB-4, une prison pour ingénieurs dans laquelle ceux-ci participaient dans leur domaine respectif, à l'effort de guerre soviétique en préparation du conflit avec l'Allemagne.


A l’automne 1937, Staline cherchait à renforcer son pouvoir et a lancé une grande vague de répression, manifestation de sa paranoïa, qui allait décimer toute une génération des meilleurs écrivains, politiciens, officiers militaires et ingénieurs soviétiques. Staline était persuadé de l'imminence d'un conflit international auquel l'URSS ne pourrait se soustraire. Cette perspective lui rappelait l'une des grandes leçons politiques léguées par Lénine : la nécessité d'éliminer à l'avance, par une « frappe prophylactique », tous les « ennemis intérieurs » perçus comme autant de recrues potentielles d'une mythique « cinquième colonne de saboteurs et d'espions »[1].

Le 2 janvier 1937, le RNII a été transféré au Commissariat du peuple à l'industrie de la défense et rebaptisé Institut de recherche scientifique 3 (NII-3). Courant 1937, il était devenu évident pour les ingénieurs qu’ils n’étaient absolument plus en sécurité, la suspicion et la méfiance s’étaient installées. Le 22 mai 1937, le NKVD, Commissariat du peuple aux Affaires intérieures, a soudainement arrêté le maréchal Toukhatchevski, responsable du NII-3 et l’un des plus brillants stratèges de l'armée

soviétique. Toukhatchevski et sept autres commandants de l'armée rouge ont été accusés d’avoir fomenté un complot trotskyste visant à prendre le pouvoir et d’espionner au profit de l’Allemagne. Interrogé et battu, Toukhatchevski a été condamné à l’issu d’un simulacre de procès et exécuté le 12 juin. Sa mère, sa sœur et ses deux frères ont été exécutés avec lui. Son nom est devenu synonyme de trahison et a fait redouter le pire à toutes les personnes qui l’avaient côtoyé. Andrey G. Kostikov a profité de cette période trouble pour accéder au pouvoir, informant la police secrète des faits et gestes de ses collègues. Né en 1899, Kostikov avait terminé l’académie de l’air Joukovsky en 1933 et était entré au RNII en tant qu’ingénieur dans le secteur des moteurs liquides. Rapidement, dès 1936, il avait remplacé A.I. Stenaiev à la tête de ce secteur dans lequel travaillait Glushko. Kleïmenov était en conflit avec Kostikov, il a été étonnamment muté comme chef adjoint au TsAGI en août 1937. Langemak, le directeur adjoint a été exclu du Parti pour s’être marié à l’église en 1922, perdant son poste. Le 2 novembre 1937, Kleïmenov et Langemak ont été arrêtés comme terroristes, accusés de déviationnisme trotskyste. Mi-novembre, Kostikov a été nommé directeur adjoint du NII-3, aux dépends de Tikhonravov ou de Pobedonostsev qui disposaient pourtant de bien meilleures compétences. L’ascension a été fulgurante pour celui qui sera accusé d’avoir rédigé de fausses déclarations au NKVD pour promouvoir son ascension. Malgré une torture intense, Kleïmenov a refusé d’accepter ces accusations ; Langemak, en revanche, a avoué ses « crimes » sous la torture et sans doute aussi dans l'espoir d'éviter une condamnation à mort, reconnaissant les faits reprochés et dénonçant Glushko comme membre d’une organisation secrète Trotskyste. Kleïmenov a été exécuté le 10 janvier 1938 et Langemak le lendemain.

Andrey G. Kostikov, directeur adjoint du NII-3

Arrestation de Valentin Glushko, le 23 mars 1938

[1] Oleg Khlevniuk, Nicolas Werth, Staline, BELIN, Illustrated edition, 2017.