an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Le genèse de Voskhod


[1] Par exemple, en novembre 1965, une usine de Sverdlovsk a été menacée de lourdes amendes pour n'avoir pas livré à temps un lot de lanceurs et de missiles au ministère de la Défense. En arguant que des sous-traitants avaient causé le retard de production, les responsables de l'usine ont obtenu une exemption des sanctions.

[2] Nikolay Kamanin, Skrytiy kosmos: 1960- 1963, p. 182 ; résumé traduit par B. Hendrickx. “The Kamanin Diaries 1960- 1963”, Journal de la British Interplanetary Society, Articles

Les objectifs de Korolev qui prévoyait une première mission automatisée pour Soyouz en mai 1963 étaient beaucoup trop ambitieux. L’OKB-1 avait une charge de travail énorme, participant en plus de l’aménagement du Vostok au développement du satellite de reconnaissance Zenit-2, au satellite de communication Molniya-1, au satellite scientifique Elektron, aux sondes lunaires, vénusiennes et martiennes automatisées, et aux nouveaux lanceurs comme le N1. Le travail prioritaire pour l’OKB-1, en ce début des années 60, restait le développement de missiles balistiques à longue portée pour les Forces de missiles stratégiques. Celles-ci comprenaient l'ICBM R-9 et ses modifications, les missiles balistiques à propergol solide RT-1 et RT-2 et le système de bombardement orbital GR-1. La plus grande partie des ressources était consacrée aux développements de ces missiles.

S’appuyant sur la signature du décret N° 24 par la Commission militaro-industrielle, Korolev a proposé un plan de quatre missions pour Vostok. La première serait un vol de dix à onze jours d'un chien en orbite terrestre à une altitude de 600 à 1 000 kilomètres en février-mars 1964. Les objectifs de la mission seraient doubles : étudier la physiologie du chien dans une période prolongée d'apesanteur et étudier les effets des rayonnements à haute altitude sur un organisme vivant. En fonction des résultats de cette première mission, les trois Vostoks suivants transporteraient des cosmonautes seuls sur des vols en orbite jusqu'à dix jours chacun. Le vaisseau spatial serait modifié à partir de la variante originale 3KA pour accueillir un large éventail d’expériences scientifiques et militaires.

Lors d’un rassemblement des constructeurs en juillet 1963, ces missions ont été discutées sans faire mention de la nécessité d’un nouveau vaisseau spatial malgré l’ancienneté de Vostok qui avait été créé cinq ans auparavant. Il paraissait logique d’abandonner le vieux Vostok pour concentrer les ressources sur le Soyouz. Mais les retards pris dans le développement du Soyouz ne permettaient pas de le faire voler avant 1965, l’Union soviétique ne pouvait se permettre d’être absente de l’espace pendant une si longue période.

L’armée de l’air a validé ce programme en rédigeant un manifeste en décembre 1963 détaillant les quatre futures missions du Vostok :

  • Vostok 7 : un vol d'un animal pendant trente jours sur une orbite de 600 kilomètres

  • Vostok 8 : un vol d'un cosmonaute jusqu'à huit jours

  • Vostok 9/Vostok 10 : un vol de groupe de deux cosmonautes jusqu'à dix jours

Bureau d'études

Pour accompagner ces missions, le Centre de formation des cosmonautes a formé un groupe de huit cosmonautes le 17 septembre 1963, composé de tous les membres du groupe original de Gagarine qui n’avaient pas volé. Vostok 10 achèverait sa mission fin 1964, au moment où Soyouz effectuerait son premier vol.

Les progrès du projet Soyouz 7K-9K-11K étaient remarquablement lent, retardés par des problèmes techniques et financiers. Le calendrier a été repoussé régulièrement. Au début de novembre 1963, Korolev s’est plaint publiquement du manque d’argent pour continuer à travailler sur Soyouz. A la fin de 1963, l’OKB-1 avait l'intention de construire les quatre premiers engins spatiaux Soyouz en 1964, soit un budget de 80 millions de roubles ; à l'époque, la Commission militaro-industrielle ne s’était engagée qu'à hauteur de 30 millions.

Les retards provenaient aussi de rupture dans les chaînes d’approvisionnement. En juillet 1963, pour tenter de mettre de l'ordre dans ce réseau de plus en plus chaotique, le Conseil des ministres a établi

un système de sanctions pécuniaires pour les fournisseurs indisciplinés qui ne rempliraient pas leurs missions à temps. Les raisons des retards, cependant, étaient souvent difficile à prouver, les usines justifiant leur difficulté par les retards des autres, ce qui rendait presque impossible de trouver et de punir le "vrai" coupable[1].

En décembre 1963, le Parti communiste et le Conseil des ministres de l'URSS ont publié un décret s’engageant dans le projet 7K-9K-11K Soyouz avec comme objectif ultime le vol circumlunaire piloté. Le décret spécifiait que le premier modèle devrait être disponible en août 1964, les deuxième et troisième en septembre. L’OKB-1 allait donc devoir travailler simultanément sur la fabrication de deux engins spatiaux pilotés complètement différents, le Vostok et le Soyouz. La pression était d’autant plus forte qu’outre Atlantique la NASA poursuivait ses programmes.

La NASA avait achevé en mai 1963 la dernière mission du programme Mercury, validant ainsi toute la technologie nécessaire pour maintenir un humain dans l’espace sur une courte durée. Le 7 décembre 1961, Robert C. Seamans, avait présenté un nouveau vaisseau spatial capable de mener de vastes opérations de rendez-vous et d'amarrage en orbite terrestre et permettant aux astronautes d'acquérir l'expérience nécessaire aux futures opérations d'atterrissage du programme lunaire Apollo. En mars 1963, la NASA a établi les lignes directrices de ce nouveau programme Gemini. C’était une véritable avancée technologique par rapport au programme Mercury et Vostok, il permettrait de changer d'orbite, d’emporter deux astronautes et il ouvrirait la possibilité de vols pouvant durer jusqu'à deux semaines. Seul Soyouz pouvait répondre à ce défi, mais il ne serait pas prêt avant fin 1964 au mieux, à ce moment Gemini volerait déjà…

Aucune des quatre missions Vostok projetées en 1964 ne serait comparable à un vol Gemini. Les vols soviétiques étaient tous des vols avec un seul cosmonaute, aucun d'entre eux n'incluait d’activité extravéhiculaire (EVA), et aucun d'entre eux n'aurait la capacité de changer d'orbite. L’Union soviétique devait conserver la tête dans cette course à l’espace. Khrouchtchev aurait appelé personnellement Korolev pour lui ordonner le lancement de trois cosmonautes. Mishin, en 1990, a confirmé cet appel du dirigeant soviétique à Korolev, mais rien ne montre officiellement que cette décision fut prise par le seul Khrouchtchev. Kamanin dans son journal confirme que l'idée n’est pas venue de Korolev, mais il ne mentionne pas spécifiquement Khrouchtchev. Le 5 février 1964, Kamanin écrit :

Korolev

Hier encore, Korolev a reçu une commande : ne plus travailler sur les « Vostok », et utiliser les 4 « Vostok » disponibles pour préparer et accomplir un vol d'un équipage de trois personnes en 1964. Cette décision de haut niveau semble avoir lieu pour deux raisons :

Le Soyouz ne pourra pas voler en 1964.

Les Américains se préparant à lancer les navires "Gemini" et "Apollo" dans l'espace, ils pourraient nous dépasser en 1964.[2]

Cette décision, qu’elle vienne de Khrouchtchev, où comme d’autres sources l’indiquent de Leonid I. Brejnev, secrétaire du Comité central des industries de défense et de l'espace, aura une importance cruciale dans la course à l’espace. Cette diversion dans les plans stratégiques va retarder le programme Soyouz, et s’inscrit uniquement dans une vision à court terme et la recherche d’un gain politique immédiat. Korolev a mal accepté cette décision dans un premier temps, mais il ne

souhaitait pas non plus passer au second rang derrière les Américains. Korolev a donc abandonné les plans antérieurs des quatre Vostok, et a transformé les modèles existants, le programme Soyouz a été mis en sommeil. Pour montrer que l’Union Soviétique s’engageait dans une nouvelle étape de l’exploration spatiale, les responsables soviétiques ont nommé le nouveau projet Voskhod, personne ne devinera que le vaisseau spatial Voskhod était simplement un Vostok modifié pour emmener trois cosmonautes. Le 13 mars 1964, lors d’une réunion de la Commission militaro-industrielle, le président Smirnov a signé le décret n°59 qui mentionnait la création de quatre vaisseaux à trois places basés sur le Vostok et fixait le premier lancement piloté pour la première moitié du mois d’août 1964, soit cinq mois plus tard. Pour répondre au projet Gemini de réaliser une sortie extravéhiculaire, Korolev a présenté une variante du Voskhod, appelé le Vykhod, permettant la sortie d’un homme dans l’espace. Le 13 avril 1964, le Comité central du Parti communiste et le Conseil des ministres de l'URSS a publié un décret approuvant pleinement les missions Voskhod et Vykhod. Le décret a donné le feu vert pour construire deux nouveaux engins spatiaux à l'appui du programme Voskhod, les deux dérivés de l'ancien vaisseau spatial Vostok 3KA qui avait transporté en orbite six cosmonautes soviétiques de 1961 à 1963. Les « nouveaux » navires étaient : le vaisseau spatial 3KV pour un équipage de trois cosmonautes (Voskhod) et le vaisseau spatial 3KD pour un équipage de deux cosmonautes (Vykhod), permettant une sortie en orbite terrestre. Ce décret a marqué officiellement la fin du programme Vostok et le début de Voskhod.