an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Le R-3

[1] La portée projetée du Navaho de l’US Air Force (version XSM-64) était d’environ 5600 kilomètres. Une version ultérieure, le XSM-64A, a été conçue pour parcourir environ 10.000 kilomètres.

Le blocus de Berlin du du 24 juin 1948 au 12 mai 1949

En 1949, les Américains présentaient une supériorité décisive dans les bombardiers à longue portée et se s’étaient déjà préparés à la production en série de bombes atomiques. Cela avait permis aux dirigeants américains de mettre en œuvre une politique axée sur le pouvoir. Selon les données du renseignement américain, l'Union soviétique n'était pas prête pour un conflit nucléaire. Mais selon les conclusions des analystes militaires américains, l'infanterie américaine était incapable de contrer son homologue soviétique et l'armée Rouge était capable de traverser victorieusement l'Europe en deux semaines et de s'emparer de toutes les bases américaines. Les Américains seraient ainsi contraints de fuir et de laisser leurs alliés européens à la merci de l'armée soviétique. Les villes soviétiques pourraient être détruites, mais les villes européennes seraient occupées par l'armée soviétique. Dans le même temps, les Américains avaient compris qu'une tentative de détruire le communisme sur le territoire soviétique par recours à la bombe atomique n’était pas recevable et risquait à contrario d'instaurer le communisme dans toute l'Europe et le Moyen-Orient.

Dans ce contexte de guerre froide, fin 1949, après avoir écouté le ministre de l'Armement, Dmitriy Ustinov et le commandant en chef des forces d'artillerie, Nikolay Voronov rendre compte des résultats des essais de tirs du missile R-1, des travaux sur le missile R-2, et des recherches scientifiques en cours sur le missile R-3, Staline a compris que l’URSS était encore loin d'être capables de menacer l'Amérique en larguant une bombe atomique sur son territoire. A l’époque, une attaque nucléaire

américaine contre Moscou n'aurait été possible qu'avec des avions. Si les Américains détruisaient les villes soviétiques, les armées russes entreraient en Europe et en Turquie pour détruire les bases aériennes américaines, mais en même temps, Moscou devrait être complètement inaccessible aux avions ennemis. La capitale de l'URSS devait être préservée par un bouclier antimissile la protégeant des avions. Il fallait sécuriser Moscou. Un décret spécial du Conseil des ministres a été publié en août 1950 pour résoudre ce problème. La troisième direction principale (TGU) a été créée sous le Conseil des ministres de l'URSS pour faciliter tous les projets de défense antimissile de Moscou sous l'égide de Lavrenti Bérya.

Boris Vannikov, Directeur du domaine de recherche atomique

Ainsi, au cours des cinq premières années de la guerre froide, trois agences gouvernementales avaient été créées en URSS qui devaient résoudre les trois principaux problèmes de défense du pays. Des ministres, des instituts de recherche scientifique (NII), des bureaux d'études (KB) et des usines avaient été affectés à chacune de ces directions. Chaque objectif fixé nécessitait de résoudre des problèmes scientifiques et technologiques extrêmement difficiles. Le problème de l'organisation et de la gestion de projets d'une telle envergure exigeait non seulement des directeurs scientifiques compétents et des concepteurs en chef talentueux, mais aussi des dirigeants de grande qualité. A l'aube de la guerre froide, ces « maréchaux » étaient Boris Vannikov pour le domaine atomique, Dmitriy Ustinov pour les missiles et Vassili Ryabikov pour la défense aérienne.

Dès 1947, lors d’une réunion au Kremlin, Staline avait réclamé un missile capable de livrer une bombe atomique de 3 tonnes n'importe où en Europe à partir du territoire soviétique, c’est-à-dire d’une portée minimale de 3000 km. Staline avait convoqué à cette réunion Kurchatov, responsable du projet de la bombe atomique, Korolev, Voronov et Nedelin, ainsi que le maréchal d’artillerie Yakovlev, chef de la Direction générale de l’artillerie du ministère de la défense. La présence de Kurchatov indique que le sujet du transport de la bombe via un missile a été abordé lors de cette réunion.

Le 1er avril 1948, le conseil des ministres a publié un décret validant les travails préparatoires d’un tel missile, désigné le R-3 ou « produit 8A67 ».

Au cours de l'année suivante, un groupe d'ingénieurs de Korolev a publié une documentation technique de vingt volumes sur le R-3. Ce rapport était clairement concentré sur les concepts de missiles de croisière, missile à longue distance qui servirait de référence à la création du premier ICBM soviétique. Au début des années 1950, la guerre froide battait son plein, stimulant le développement et la production de nombreuses armes prometteuses. Les Russes possédaient la bombe atomique, et les Etats-Unis restait le principal adversaire dans une possible troisième guerre mondiale. Un océan plus loin, ils restaient hors de portée. Certes, les nouveaux bombardiers soviétiques parviendraient à traverser l’océan avec leur charge nucléaire, mais il y avait très peu de chances qu’ils lâchent leur bombe ou atteignent leurs cibles. Les équipages qui participeraient à ce type d’attaque seraient quasiment condamnés à l’échec. Le fait de perdre quelques centaines d’aviateurs n’a certainement pas perturbé Staline, mais ce qui le dérangeait, c’était que fondamentalement la technologie militaire soviétique ne pouvait infliger de dommage au territoire américain, alors que tous les centres vitaux soviétiques étaient à la portée des superforteresses américaines B-29, et aux nouveaux bombardiers à réaction lourd longues portées développés par les Américains. A l’époque, les renseignements soviétiques avaient annoncé que les Etats-Unis avaient commencé à développer un drone sans pilote à longue portée dénommé Navaho. Les rares informations sur le programme confirmaient que le Navaho était un missile de croisière d’une portée d’environ 4000 à 5000 kilomètres[1] . Les Américains, grâce à ses missiles étaient donc capable de frapper la quasi-totalité du territoire soviétique avec des bombes atomiques depuis leurs bases européennes et asiatiques, sans risquer la vie d’un seul de leurs aviateurs. Le sujet était donc très important pour Staline et l’Etat-major soviétique.

Projet de missile R-3

Après avoir évaluer le niveau de technologie de l’époque, Korolev a retenu la conception conventionnelle à un seul étage pour cet ICBM, mais n’a pas exclu l’étude en parallèle d’une fusée avec une autonomie de 8.000 kilomètres utilisant un système de paquets de moteurs, et deux étages. Le 7 décembre 1949, il a présenté son projet de fusée R-3 de 3 000 kilomètres de portée. C’était une fusée de vingt-sept mètres de hauteur pour un diamètre de 2.8 mètres. Elle pesait 27 tonnes au décollage et emportait une charge utile de trois tonnes. Elle était propulsée par un moteur de 120 tonnes de poussée. Le programme R-3 était le plus important et le plus coûteux développé en Union Soviétique. Compte tenu de sa portée, le R-3 serait le premier missile balistique soviétique capable d'atteindre la Grande-Bretagne et le Japon, donnant aux Soviétiques leur premier véritable missile stratégique. Ce missile ne pourrait toujours pas atteindre les Etats-Unis depuis le territoire soviétique, mais toutes les bases américaines qui abritaient les Boeing B-29 Superforteresses en Europe et en Asie seraient à portée de main.

Pour créer un moteur de 120 tonnes de poussée, il était nécessaire de passer de la combinaison éprouvée oxygène-alcool liquide au couple oxygène-kérosène liquide, permettant une progression d’impulsion d’environ 20%. Pour réduire les risque d’échec dans cette nouvelle conception, deux équipes ont été embauché par le NII-88 : l 'OKB-456 de Glushko basé à Khimki et un département du NII-1 sous la direction du designer en chef Aleksandr P. Polyarniy, un ancien associé d'avant-guerre de Korolev au GIRD. Le moteur de Glushko, désigné le RD-110, était le tout premier moteur à oxygène liquide à haute poussée à être conçu sous sa direction. Traditionnellement, Glushko était réticent à utiliser de l'oxygène liquide en raison d'obstacles techniques liés à la vibration et préférait les oxydants à base d'azote.

Moteur RD-110 développé par Glushko

Dans sa conception du nouveau moteur, il avait choisi de ne pas adopter une approche entièrement nouvelle. Il utilisait l'ancienne chambre de combustion du moteur A-4 et l'avait agrandie pour qu'elle corresponde aux caractéristiques de performance requises pour le R-3. Comme pour les moteurs, Korolev a confié le développement du système de guidage du R-3 à deux groupes concurrents. Un système autonome traditionnel serait développé par NII-885 sous la direction des concepteurs en chef Ryazanskiy et Pilyugin, et une deuxième équipe, sous la direction d'un spécialiste de l'orientation Boris M. Konoplev au NII-20 (pour les systèmes radio) et A. I. Charin au NII-49 (pour les unités gyroscopiques).

Le R-3 nécessitait de tels développements technologiques que le Conseil scientifique et technique du NII-88 a recommandé que certaines des nouvelles technologies adoptées pour le R-3 soient testées sur une fusée expérimentale plus petite connue sous le nom de le R-3A. Basée sur le R-2, le R-3A testerait de nouvelles méthodes de construction, des systèmes de guidage et des propulseurs à haute énergie. Le R-3A a été présenté en 1949 pour avoir une autonomie de 900 à 1000 km avec une charge utile de 1530 kg, et une poussée de décollage de 40 tonnes. Le R-3A pouvait également servir de prototype pour un IRBM plus modeste. Les essais en vol du R-3A étaient prévus pour octobre 1951, les lancements du R-3 débutant en 1952 ou 1953 au plus tôt.

Au moment où le travail sur le R-3 prenait toute son importance, l'équipe de l'académicien Keldysh a mis fin à ses travaux sur le bombardier antipodal Sanger-Bredt. Depuis 1946, début des recherches, de nombreux obstacles techniques étaient venus ralentir puis mettre fin au projet.