an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

DOS contre Skylab

Il était indispensable, en 1970, de poursuivre les missions d’amarrage Soyouz pour tester le système radar de rendez-vous Kontakt prévu pour être utilisé sur le projet d'alunissage. La mission, conçue en 1968, avait été retardée à plusieurs reprises en raison de mauvais résultats lors des essais au sol du système. En mai 1970, la mission d'amarrage a été fixée au mois d'août, en utilisant les véhicules 7K-OK 18 et 19. Le vol a ensuite été reporté au mois d’octobre. Finalement, Ustinov a choisi de retarder le vol Kontakt en faveur du vol de la station spatiale DOS en 1971, reportant le vol d'amarrage à la fin de l’année 1971. Avec le ralentissement du plan L3, Kontakt a perdu de son importance et Mishin a clos définitivement la mission en octobre 1971.

La priorité pour les Russes était de faire voler la station DOS avant le lancement du Skylab américain, plus grand que le modèle russe. Ustinov a indiqué clairement qu'il voulait que la prochaine station spatiale soviétique soit la DOS de Mishin plutôt que l'Almaz de Chelomey. Sur ces bases, Mishin a présenté un planning prévisionnel :

Les variantes 7K-T Soyouz seraient équipées de l'ancien système de rendez-vous lgla, tandis que le 7K-S Soyouz disposerait d’un nouveau système, appelé Lira. Chaque vaisseau spatial DOS avait une durée de vie de quatre mois pour son système de survie et une durée de vie de six mois pour tous les autres systèmes. L'urgence était de lancer le prochain DOS dès que possible. L'une des premières actions de Shatalov, qui venait de remplacer Kamanin parti à la retraite, était de sélectionner les équipages pour le vol de la station spatiale DOS-2. Il a choisi l'équipe de Leonov-Kubasov qui aurait dû voler sur le malheureux Soyouz 11. Pour des raisons qui restent obscures, le lancement de DOS-2 a été considérablement retardé du premier trimestre au début du troisième trimestre de 1972.

Soyouz 12 avec Leonov et Kubasov décollerait au cours de la dernière semaine d'août. Un autre équipage, constitué de Lazarev et Makarov, sur Soyouz 13, se rendrait à la station au cours de la troisième semaine d'octobre 1972. Mais malheureusement, ces plans ne se sont pas réalisés. Le 29 juillet 1972, la station spatiale de vingt tonnes a été lancée au petit matin, à 06 heures 20 minutes 57 secondes, heure de Moscou, au sommet d'un propulseur Proton à trois étages. Pendant la phase de décollage, à T+162 secondes, les systèmes de contrôle du deuxième étage du lanceur sont tombés en panne, empêchant l'insertion orbitale. La mission a été interrompue. La perte de DOS-2 a cruellement marqué le programme spatial soviétique. La commission d’Etat a envisagé brièvement un vol solo en orbite terrestre avec les véhicules Soyouz 7K-T non utilisé, mais le projet a été vite abandonné vu le peu d’intérêt qu’il aurait face au lancement imminent d’Apollo 17 en décembre 1972.

Face aux échecs et aux retards, le programme de la station spatiale avait besoin d’aide. Etonnement, cette aide n’est pas arrivé d’Ustinov, ou d’Afanasyev, mais du concepteur Chelomey et de son programme Almaz. Malgré le choix de prioriser DOS à Almaz en février 1970, Chelomey avait obstinément et tranquillement poursuivi les travaux sur sa station, et sur son vaisseau-ferry pour transporter les équipages, le TKS. A la mi-1972, l'Union soviétique disposait de deux programmes parallèles de station spatiale : un dédié à des objectifs principalement civils, le DOS de Mishin, et un pour la recherche militaire, l’Almaz de Chelomey.

Pour Mishin, le DOS a toujours représenté un point de passage vers des stations spatiales à grande échelle telles que le MOK et le projet d'alunissage. L'objectif principal de Mishin était de recentrer l'attention sur ses deux projets favoris, le MOK et le L3M. Dans le même temps, Chelomey avait toutes les raisons d'en vouloir au programme de station spatiale DOS qui avait bénéficié de l’effort dont aurait dû profiter son projet. La réussite passait par l’entente des deux concepteurs.

Le chef du département Raushenbakh a été rétrogradé au poste de « consultant » et il a quitté le TsKBEM peu de temps après. C'était la première fois que de tels licenciements avaient lieu dans le programme spatial piloté.

La NASA a lancé Skylab 1, la première station spatiale américaine, en orbite le 14 mai 1973. La NASA a eu ses propres problèmes avec Skylab. Lors du lancement, le bouclier météoroïde s'est arraché, provoquant l'arrachement d'un des panneaux solaires et le coincement de l'autre en position inerte. Mais l'ingéniosité remarquable des ingénieurs et des astronautes de la NASA a été mise en valeur lorsque trois astronautes se sont amarrés à la station et l’ont réparé. Le 22 juin 1973, ils sont revenus sur Terre après un vol de vingt-huit jours, récupérant une fois de plus le record absolu d'endurance dans l'espace pour les États-Unis. L’Union Soviétique avait perdu la course à la Lune et venait de perdre la bataille pour la station spatiale.

Dans cet esprit, le 14 avril 1972, Mishin et Chelomey ont signé un accord proposant au ministre de la Construction mécanique générale Afanasyev que les travaux sur la station spatiale DOS se termineraient après les quatre premières stations spatiales DOS, et que la recherche continuerait sur les stations spatiales d'Almaz. La station spatiale Almaz serait desservie par le 7K-T Soyouz, puis par le 7K-S Soyouz avancé, et enfin le TKS. En acceptant de transférer la suite des travaux à Chelomey, Mishin s’est mis à dos quelques ingénieurs de TsKBEM qui s’étaient fortement investis dans le projets, tels que Bushuyev et Feoktistov.

Travaux sur le nouveau DOS

L'accord Mishin-Chelomey d’avril 1972 signifiait qu'Almaz n’était plus un concurrent, mais un complément au DOS. Les nouveaux modèles des deux stations seraient prêts à voler pour le début de 1973. Le nouveau véhicule DOS de Mishin différerait à bien des égards de ses deux prédécesseurs. Le nouveau modèle adopterait trois panneaux solaires auto-rotatifs en remplacement des deux panneaux difficilement orientables par rapport au soleil. Ce nouveau DOS intègrerait aussi un nouveau système d'orientation, un nouveau système de thermorégulation et une première version d'un système d'approvisionnement en eau à cycle fermé.

Pendant que ces changements étaient apportés au DOS, Chelomey avançait sur le lancement d’Almaz. L'usine Khrunichev terminait l'assemblage du premier module de vol de la station Almaz et l’a livré pour des essais préliminaires le 30 juin, pour aboutir à la livraison au cosmodrome de Baykonur en novembre 1972. La NASA terminait alors les derniers préparatifs du lancement de sa première station spatiale, Skylab, prévu en avril 1973. Ayant pris les devants en matière de stations spatiales avec Salyut, les responsables de l'espace soviétique, surtout Ustinov, étaient particulièrement sensibles à la possibilité que Skylab éclipse complètement les réalisations de Salyut. Il était absolument impératif que l'Union soviétique ait une station spatiale en orbite avant Skylab. Heureusement pour Ustinov, Mishin et Chelomey étaient prêts avec leurs stations spatiales respectives à temps. Finalement, c’est Brejnev lui-même qui allait prendre la décision de faire voler Almaz en premier.

La première station Almaz est arrivé au cosmodrome de Baykonur en janvier 1973. Les essais au sol se sont achevés en trois mois. Le lancement de la station Almaz a été fixé au 3 avril 1973, un peu plus d'un mois avant le lancement du Skylab. Malgré une alarme déclenchée à T-18 secondes, la fusée Proton a décollé à 12 heures précise heure de Moscou.

La station Almaz est entrée en orbite sans difficulté. Chelomey aura dû attendre treize ans depuis son premier projet pour envoyer un premier vaisseau spatial en orbite. Chelomey aurait souhaité que la station soit dénommée Almaz par la Presse, mais Ustinov s’y est opposé, certainement pour cacher le fait que c’était une station purement militaire. La presse a nommé la station spatiale Salyut 2. Le lancement du premier équipage, sur Soyouz 12, était prévu pour le 13 avril, mais a été reporté au 8 mai en raison de problèmes persistants avec le système de parachute Soyouz. Dans leurs premiers communiqués de presse sur la mission de la station, les Soviétiques se sont abstenus de faire tout lien avec des vols pilotés.

Assemblage du futur Salyut

Préparation du lanceur en mars/avril 1973

Les tests au sol réalisés lors des premiers jours n’ont détecté aucune anomalie. Les ennuis sont apparus le treizième jour de vol, lors de la 188ème orbite, le 1er avril. Les contrôleurs ont signalé que le système de télémétrie principal avait échoué. La station commençait à perdre de la pression et le contrôleur de vol est tombé en panne. Il n’était pas possible d’envoyer un vol habité. Le 2 avril, les membres de la Commission d'Etat, dont le colonel général Grigoryev et le commandant des ressources spatiales, le lieutenant général Karas, se sont réunis dans le bureau de Chelomey pour évoquer la situation. Une commission d'enquête sous la responsabilité de Karas a été nommée. Le 28 avril, l'agence de presse soviétique TASS a annoncé que Salyut 2 « après avoir vérifié la conception de systèmes embarqués améliorés et réalisé des expériences dans l'espace, avait achevé son programme de vol », en omettant notamment la mention « avec succès », utilisée normalement dans de tels communiqués de presse.

La Commission Karas a conclu à un défaut de fabrication dans le moteur principal de la station d'Almaz, qui, une fois tiré, aurait causé des perforations dans la coque principale. Certains des concepteurs de la station ont démenti le verdict d'un moteur défectueux, et il n'y a pas eu d'unanimité

sur le sujet. Ainsi, une enquête interne du bureau d'études de Chelomey a conclu que la station aurait pu être touché par des débris résiduels du propulseur Proton le 15 avril. Salyut-2 s’est désintégré finalement de l'orbite le 28 mai 1973.

La situation russe était désespérée. Le lancement du Skylab était imminent. Le 14 février, le Conseil de gestion des vols spatiaux habités de la NASA s’est réuni et a fixé au 14 mai la date de lancement de l'immense station spatiale. Conscients du calendrier américain, les ingénieurs de TsKBEM ont accéléré les préparatifs du prochain DOS, sous la forte pression de Brejnev et Ustinov. La station est arrivé à Tyura-Tam pour les derniers essais en décembre 1972, et fin avril 1973, le président de la Commission d'État Kerimov a fixé le 8 mai comme date de lancement. C’était juste six jours avant le lancement de Skylab. Mais, des problèmes au cours des opérations de pré-lancement ont menacé de contrecarrer les plans soviétiques. Les ingénieurs ont détecté une dépressurisation dans l'une des valves de propulsion du lanceur Proton, entraînant une fuite de carburant importante. Alors que le personnel de l'usine Khrunichev commençait les réparations, le concepteur en chef Mishin, stressé, a refusé que sa station soit lancée par cette fusée Proton même si les réparations avaient réussi. Mishin, s’est obstiné, mais a cédé sous la pression. Les retards liés à la fuite de propergol ont repoussé le lancement au 11 mai. Le premier équipage, les cosmonautes Leonov et Kubasov, décolleraient trois jours plus tard. Le même jour, Skylab devait atteindre l'orbite.

Le DOS-3 a été lancé avec succès le 11 mai 1973 à 3 heures 20 minutes, heure de Moscou. Malheureusement une erreur dans la programmation du système de contrôle d'orientation du vaisseau a entraîné la mise à feu automatique des moteurs utilisés pour les changements d'orbite. Cette manœuvre a été lancée alors que la station était hors de portée d'une station terrestre. Tous les ergols ont été brûlés sans que les ingénieurs à Terre aient pu reprendre le contrôle de la station spatiale et celle-ci ayant épuisé son carburant était devenue incontrôlable. Une semaine plus tard la station a été détruite en rentrant dans l'atmosphère. Les autorités soviétiques, n'ayant pu dissimuler le lancement de l'engin spatial des radars occidentaux, a tenté de camoufler sa nature en le baptisant Cosmos-557, et non pas Salyut.

La commission d’enquête a constaté que l'échec aurait pu être évité si l'équipe de contrôle de vol avait réagi plus rapidement. Les conséquences ont été importantes au niveau du TsKBEM, Tregub, le concepteur en chef adjoint de TsKBEM a été démis de ses fonctions de directeur de vol et licencié du bureau d’étude.

Préparation de Salyut 3