Espace militaire
Lors de la catastrophe de Soyouz 11, le programme spatial soviétique avait quasiment quinze ans. Forgé dans les entrailles du complexe militaro-industriel soviétique, l'effort spatial, dans l'ensemble, restait l'otage des caprices des besoins militaires et des opinions des dirigeants chargés de construire et de maintenir la puissance militaire défensive de l'Union soviétique. Ustinov, Smirnov et Afanasyev, étaient le triumvirat qui gérait l’industrie de la défense, pilotaient le programme spatial. Les besoins du ministère de la Défense ont également joué un rôle majeur. En mars 1967, le maréchal Andrey A. Grechko, ancien commandant en chef des forces terrestres soviétiques, est devenu le nouveau ministre de la Défense de l'URSS. Tous les chefs des forces armées étaient subordonnés à Grechko, y compris le maréchal Nikolaï I. Krylov, commandant en chef des forces de missiles stratégiques. Les deux hommes ont été extrêmement influent dans la définition des objectifs à long terme du programme spatial, dans la définition des plans spatiaux quinquennaux. Ils étaient tous les deux assez virulents contre les dépenses engagées pour financer l’effort spatial habité expliquant certainement le manque d’intérêt porté à ce programme. Le colonel de l'armée de l'air, le général Kamanin, l'un des rares hommes de haut rang à avoir soutenu le programme piloté, a déploré en juin 1970 :
Grechko n’est toujours pas allé au Centre d'entraînement des cosmonautes, bien qu'il ait promis de le visiter trois fois. Je ne sais pas s'il tiendra parole cette fois, mais son éventuel déplacement chez nous ne me fait pas très plaisir ; le ministre sous-estime manifestement l'importance du programme spatial pour la science, l’économie et la défense de notre pays. Cependant, nous sommes totalement dépendants du maréchal Grechko et il serait insensé de ne pas tenter d’obtenir son soutien[1].
Maquette du BOR-2
Les efforts développés par Mishin, Glushko, Chelomey et Yangel auprès de Grechko et de Krylov ont tout de même permis de construire les vaisseaux Soyouz et les stations spatiales. Grechko a continué à s’intéresser au projet d’avion spatial piloté Spiral. C'est la NPO Molniya qui s’est vu confier la tâche, et devait répondre à deux problèmes majeurs : l'aérodynamique et la protection thermique. En 1973, le VPK a lancé le programme BOR (Bespilotniye Orbitalniye Raketoplan), issu du projet Spiral, pour étudier les caractéristiques aérodynamiques hypersoniques et le bouclier thermique pour le vaisseau spatial Spiral avec équipage. Trois types de véhicules ont été construits : les BOR-1, puis les BOR-2, et enfin les BOR-3. Il s'agissait de modèles réduits de l'avion spatial du programme Spiral. Les BOR-1 n’était pas destinés à voler mais servaient juste aux essais statiques. Il s'agissait de modèles à l'échelle 1:3 de l'avion spatial, d'une longueur de 3m et d'une masse de 800kg. Un BOR-1 a été lancé le 15 juillet 1969 sur une trajectoire suborbitale par une fusée Cosmos-3 (11K65). Le véhicule est rentré dans l'atmosphère à la vitesse de 13000km/h. Les BOR-2 ont été construits au même format que les BOR-1, mais disposaient d'une protection thermique plus élaborée. Ils ont été lancés à plusieurs reprises sur des trajectoires suborbitales par des fusées Cosmos-3. Le premier vol est intervenu le 6 décembre 1969. Les BOR-3 ne différaient des BOR-2 que par leur échelle (1:2 au lieu de 1:3).
Les essais en vol des BOR-2 et BOR-3 se sont poursuivis jusqu'en 1974 et se sont tous déroulés selon le même schéma : les véhicules prenaient de la vitesse entre Mach 3 et Mach 4 suivant les essais puis rentraient dans l'atmosphère. Leur nez s'échauffait alors à des températures comprises entre 1500°C et 1800°C du fait d’un angle d’attaque à 45°. Ces vols ont été analysés en profondeur par les ingénieurs de la NPO Molniya, et les résultats prometteurs ont ouvert la voie au programme Bourane, vaisseau spatial réutilisable soviétique, qui sera lancé en 1976 en réponse au programme américain de navettes spatiales. En 1976, le programme Spiral a été abandonné en faveur du programme Bourane.
[1] Nikolay Kamanin, “Removing the cosmetic retouching”, N. Kamanin-From His Journal Entries for 1970" Sovetskaya kultura. July 14. 1990. p. 15, cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

