Triomphe et tragédie
Le 5 février 1971, un peu plus d’un mois avant le lancement prévu de DOS-1, le colonel Georgiy S. Shonin, commandant du premier équipage de la station spatiale, ne s’est pas présenté à l'entraînement au Centre des cosmonautes. Kamanin a pris personnellement en charge l'enquête et a constaté à sa grande surprise que ce n’était pas la première fois qu'il y avait une telle absence. Après investigations, il a découvert que Shonin s’était absenté sans autorisation, admis dans un hôpital pour une maladie qui s’était révélé lors d’un récent voyage sur le site de Tyura-Tam. Leonov a tenté en vain de prendre la défense de Shonin. Mishin, lorsqu’il a appris la nouvelle, a décidé de renvoyer Shonin. Shonin souffrait de problèmes psychologiques. L’un des premiers cosmonautes du groupe de Gagarine de 1960 ne volerait jamais, bien qu’il semble qu’il se soit de nouveau entraîné à la fin des années 1970. A la suite du départ du malheureux Shonin, Kamanin a redéfini les deux premiers équipages : Shatalov, a été nommé commandant du premier équipage avec Yeliseyev et Rukavishnikov et l’équipage numéro deux était composé de Leonov, Kubasov et Kolodine. Les troisièmes et quatrièmes équipages ont été remaniés. Le troisième équipage, équipage de secours des deux équipages principaux, était composé de Dobrovolskiy, Volkov et Patsayev. Aucun d'entre eux ne s'attendait à voler. Dobrovolskiy n'avait commencé à s'entraîner qu'en janvier 1971.
Les deux équipes sont arrivées à Tyura-Tam tard le 28 mai en vue du lancement. Le 4 juin, alors que la Commission avait décidé d’installer Soyouz 11 sur le pad, les cosmonautes ont subi un examen médical de routine. Malheureusement, les médecins de l'Institut des problèmes biomédicaux de Moscou ont détecté une tuméfaction dans le poumon droit de Kubasov. Soupçonnant un début de tuberculose, ils ont immédiatement demandé son retrait de l’équipage. Malheureusement les règles du ministère de la Construction générale des machines et du ministère de la Santé étaient strictes :
... si l'un des membres de l'équipage est retiré avant le départ vers le cosmodrome, il doit être remplacé par le membre correspondant de l'autre équipage. Effectuer le remplacement de l'individu au cosmodrome n'est pas possible. En cas d'une telle nécessité, il n'est possible de procéder qu'au remplacement de l'ensemble de l'équipage[1].
Le verdict était cruel et difficile à accepter pour les équipages : l'équipe Leonov-Kubasov-Kolodine devait être remplacée par l'équipage Dobrovolskiy-Volkov-Patsayev. L’équipage a été remplacé deux jours avant le lancement, jamais un tel changement ne s’était produit si proche du départ, les Russes réalisaient à nouveau une première mondiale[2].
Les préparations ont commencé à un rythme effréné, mais très rapidement des retards et des problèmes techniques sont survenus. Les tests de vibration de la station n’étaient pas bons et de graves dysfonctionnements sont survenus lors des essais au sol du système d'amarrage lgla destiné à être utilisé sur le vaisseau spatial de transport Soyouz.
Il y a eu également des retards importants sur les parachutes de la capsule Soyouz et dans les tests du système de survie de la station. La version de vol du DOS est arrivée au cosmodrome de Baykonur en mars 1971. Mishin s’est rendu sur le site de lancement à la fin du mois de mars, notant que de nombreux instruments avaient été retirés de la station et qu'il y avait eu des erreurs lors de l'assemblage des systèmes au sol. Le lancement a été reporté d'un mois, le 15 avril au plus tôt. L'équipage Shatalov serait lancé du 18 au 20 avril pour la première occupation de la station spatiale.
Initialement, Mishin avait décidé d'appeler la station Zarya, mais il semblerait que les Chinois aient utilisé le même nom pour un de leur satellite. Mishin, à quelques jours du lancement, a proposé que la station soit rebaptisée Salyut (« salut ») en hommage à Youri Gagarine.
Les cosmonautes du DOS, assis : Leonov(gauche), Yeliseyev, Shatalov, Rukavishnikov et Kubasov, debout : Kolodine (gauche), Dobrovolskiy, Volkov et Patsayev
Les corps des trois cosmonautes ont été ramenés par avion à Moscou quelques heures seulement après l'atterrissage. Des milliers de citoyens soviétiques ont afflué pour leurs rendre un dernier hommage. Contrairement aux funérailles de Komarov, où aucun représentant de la NASA n'était présent, l'astronaute vétéran Thomas P. Stafford était sur place, représentant le bureau des astronautes de la NASA. Andrey Kirilenko, membre du Politburo et chef de la commission funéraire d’état, formée le jour de la tragédie a déclaré : « Avec tout le peuple soviétique et nos amis à l’étranger, le Comité central du Parti, le Présidium de l’URSS et le gouvernement soviétique pleurent profondément la perte qui a frappé notre pays… Jusqu’à la dernière seconde, Georgiy Dobrovolskiy, Vladislav Volkov et Viktor Patsayev sont restés aux commandes de leur navire. Ils sont morts à leur poste comme meurent les héros. Ils étaient pleins de vigueur, pleinement confiant de remplir la mission du Peuple et du Parti. Et ils ont remplis cette mission. Les résultats de leurs observations sont inestimables pour la science, pour l’avenir de l’astronautique, pour l’humanité… Ce n’est pas une vaine curiosité qui les a attirés dans l’espace, mais le besoin de percer les mystères de l’univers pour le bien des hommes. Nous poursuivrons ce travail difficile mais nécessaire. »[4]
L’été 1971 s’est terminé par la décision de saborder la première station orbitale de longue durée Salyut-1. Après avoir été dans l'espace pendant plus de six mois, la station s’était avérée complètement fonctionnelle. L’espoir de reprendre les expéditions pilotées vers la première station orbitale s'était évanoui. Il n’y avait plus de véhicule de transport. En cas de consommation excessive de carburant ou de panne du système de contrôle ou d'alimentation électrique, la station deviendrait incontrôlable. Perdant progressivement de l'altitude, elle entrerait dans les couches denses de l'atmosphère, et tout ce qui ne brûlerait pas finirait on ne sait où, pouvant provoquer des tensions internationales. Georgiy Degtyarenko, responsable d'un groupe de départements d'analyse et de calcul, a approché Mishin et lui a proposé d’organiser la descente en toute sécurité de la station dans l'océan Pacifique pendant qu’elle était encore contrôlable et qu'il y avait suffisamment de carburant pour émettre une commande de rétro-combustion. Le 11 octobre 1971, Salyut-1, lancée dans l'espace le 19 avril, est entrée dans les couches denses de l'atmosphère et a plongé dans l'océan Pacifique sous la forme d'une météorite étincelante.
[1] Marinin, "Quarter Century for 'Salyut': Part II." p. 50. Author's emphasis, cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.
[2] En avril 1970, trois jours seulement avant le lancement d’Apollo 13, le pilote du module de commande (CMP) Thomas K. Mattingly a été retiré de l'équipage parce qu'il ne semblait pas immunisé contre la rougeole. Au lieu de remplacer l'ensemble de l'équipage, la direction de la NASA a remplacé Mattingly par John L. "Jack" Swigert, le CMP de sauvegarde d'origine.
[3] Grujica S. Ivanovich, Salyut, the first space station: triumph and tragedy, Editions Berlin: Springer, cop., 2008
[4] Grujica S. Ivanovich, Salyut, the first space station: triumph and tragedy, Editions Berlin: Springer, cop., 2008


Le nom original de Zarya est resté inscrit sur la station et sur le carénage de la charge utile de la fusée Proton car il était trop tard pour le changer. Le 16 mars, les cosmonautes ont passé avec succès leurs examens finaux. Lors d'une réunion le 19 mars, la Commission d'État a adopté le lancement de la station entre le 15 et le 18 avril. Les cosmonautes se sont rendus à Baykonur le 20 mars pour se préparer aux préparatifs de lancement à l'hôtel Kosmonavt. Ils ont été témoins d'un nouvel échec lors de tests du système de rendez-vous lgla. Après une brève période de formation, ils sont retournés à Moscou. Shatalov et Yeliseyev ont assisté au 24e Congrès du Parti communiste, qui s'est ouvert le 30 mars. Cinq jours plus tôt, la Commission militaro-industrielle avait formellement approuvé les plans de la mission.
Le 9 avril, la Commission d'État, dirigée par le représentant du ministère de la Construction mécanique générale, le major-général Kerimov, a approuvé le lancement du navire DOS, le vaisseau spatial n°121, le 19 avril. Il n'y a pas eu de retards majeurs ou d'événements inattendus au cours des derniers jours précédant le lancement. A 4 h 40, heure de Moscou, le 19 avril 1971, le propulseur Proton à trois étages a décollé avec succès du site 81 avec sa précieuse charge utile, le DOS-1. La station a tout de suite été appelée Salyut dans la Presse. Les panneaux solaires et tous les éléments structurels, ont été déployés sans difficulté. Ce lancement venait d’ouvrir l'ère des stations spatiales orbitales. Dès la fin de la première orbite, les contrôleurs au sol ont découvert que la protection du télescope OST-1 n'avait pas été largué, compromettant les expériences scientifiques à venir.
Le lendemain du lancement de Salyut, l'équipage de la première mission a été présenté à la presse soviétique, avec l'annonce de leur lancement le 22 avril à 03 heures 20 heures (heure de Moscou). Shatalov, Yeliseyev et Rukavishnikov ont pris place dans leur vaisseau Soyouz, malgré quelques inquiétudes liées aux fortes averses de la nuit ; la Commission d'État a accepté tout de même de procéder au lancement. Le lanceur Soyouz a été rempli de propergol et toutes les procédures de pré-lancement se sont déroulé comme prévu jusqu'à T moins une minute. A ce stade, une anomalie a été détectée sur l’un des mâts du système de Soyouz. Mishin a choisi de reporter à contrecœur le lancement. La commission a décidé rapidement de garder le booster sur le pad entièrement alimenté et de réaliser une nouvelle tentative le lendemain. Lors de la deuxième tentative de lancement, le même problème s’est reproduit. Mishin a pris le contrôle de la situation. Assumant l'entière responsabilité des éventuelles conséquences, il a demandé que le lancement se poursuive. Le premier vaisseau spatial 7K-T Soyouz, véhicule n°31, renommé Soyouz-10 a décollé à 02h54 le 23 avril 1971, avec à son bord le colonel Vladimir A. Shatalov (commandant) âgé de 43 ans, Aleksey S. Yeliseyev, 36 ans (ingénieur de vol) et Nikolay N. Rukavishnikov, 38 ans (ingénieur d'essai). Shatalov et Yeliseyev étaient les premiers cosmonautes soviétiques à effectuer un troisième vol spatial.
Le lendemain matin, Shatalov a réussi à amener le Soyouz à moins de 180-200 mètres de Salyut. La liaison semblait se réaliser avec succès à 04 heures 47 le 24 avril. Mais la télémétrie au sol a confirmé que l'amarrage complet n'avait pas eu lieu et qu'il y avait un écart de neuf centimètres entre les deux véhicules. Shatalov a tenté de resserrer les deux navires en tirant les moteurs Soyouz, mais sans succès. A la quatrième orbite ensemble, les ingénieurs au sol ont donné l’ordre de désamarrer le vaisseau spatial Soyouz 10 et de tenter un ré amarrage. Shatalov a rencontré d’immense difficulté à de désarrimer. La tension est montée car il ne restait qu'une quantité limitée d'oxygène dans le vaisseau Soyouz, environ quarante heures. Heureusement pour tout le monde, sur la cinquième orbite, à 10 heures 17, Shatalov a réussi à séparer les deux vaisseaux qui étaient restés amarrés plus de cinq heures et demie. Après avoir évalué l'état des gyroscopes embarqués, les niveaux de propulseur et l'air intérieur, le chef des opérations et du groupe de contrôle à Yevpatoriva a décidé d'abandonner la mission et de se préparer à un retour d'urgence sur Terre.
Avant de s’éloigner de Salyut, l'équipage de Soyouz 10 a survolé la station spatiale et a photographié le nœud d'amarrage pour aider les ingénieurs au sol à déterminer la cause du dysfonctionnement. L'équipage a réussi à atterrir sans incident à 02 heures 40 le 25 avril à 120 kilomètres au nord-ouest de la ville de Karaganda au Kazakhstan. C'était le premier atterrissage de nuit du programme spatial habité soviétique. La mission n'avait duré qu'une journée, vingt-trois heures, quarante-six minutes et cinquante-quatre secondes. La commission d’enquête sur la défaillance de Soyouz-10 a conclu que le système d’amarrage du Soyouz avait été endommagé lors de la manœuvre.
L’échec de l’équipage de Soyouz-10 signifiait que le troisième équipage, qui n’aurait dû être qu’un équipage de secours, devenait l’équipage numéro deux. Les deux équipes désignées pour les missions futures étaient donc Leonov, Kubasov et Kolodine pour la première et Dobrovolskiy, Volkov et Patsayev pour la seconde. Cette dernière servait aussi d’équipage de secours à la première.
Lors d’une réunion du Politburo le 3 juin, Brejnev et Kosyguin ont interrogé Kerimov sur la réussite de la future mission d’accostage et sur l’impérative nécessité de faire entrer l’équipage dans la station spatiale. Afanasyev, Keldysh, Bushuyev et Smirnov ont confirmé la qualité de l’équipage et de la mission qui serait piloté par Leonov.


Quelques minutes avant le lancement de Soyouz 10
Le nouvel équipage, composé du lieutenant-colonel Georgiy T. Dobrovolskiy (commandant) âgé de 43 ans, de Vladislav N. Volkov, civil de trente-cinq ans (ingénieur de vol) et du civil Viktor I. Patsayev (ingénieur d'essai), âgé de trente-sept ans, ont été lancés avec succès à 7 heures 55 le 6 juin 1971 dans leur vaisseau spatial 7K-T, véhicule n° 32, renommé par la presse Soyouz-11. Dobrovolskiy et Patsayev effectuaient leurs premiers vols alors que Volkov réalisait son second vol ayant volé dans le cadre de la mission « troïka » Soyouz à la fin de 1969. Le lancement de Soyouz 11 s’est déroulé sans difficulté. La première correction orbitale de l'ensemble des manœuvres de rendez-vous pour se diriger vers Salyut 1 a été effectuée lors de la quatrième orbite.
Une réunion conjointe de la Commission d'État Soyouz 11 et du Soviet des concepteurs en chef a eu lieu à Evpaptoriya à 07h00 le 17 juin. A bord de Soyouz 11, le système de rendez-vous et d'amarrage automatique Igla a été activé lorsque le vaisseau spatial était à 7 km de Salyut 1. Il n'y a eu aucune intervention manuelle dans le processus. L'amarrage a eu lieu hors de la plage de suivi au sol. Il y a eu un suspense considérable au sol pendant 90 minutes jusqu'à la ré acquisition du suivi. Avant de quitter le contact radio, la télémétrie avait signalé que le mécanisme d'amarrage s'était dépressurisé, ce qui aurait empêché les cosmonautes d'ouvrir la trappe et d'entrer dans la station spatiale.
Mais lorsque la station a repris contact, il s'est avéré que tout s'était déroulé normalement et que l'équipage était déjà entré dans la station. Patsayev était entré en premier, avait allumé le régénérateur d'air et avait remplacé deux ventilateurs défaillants. L'équipage avait signalé que l'atmosphère de la station était désagréable, avec une forte odeur de brûlé. Il faudra 20 heures pour que tout l'air de la station traverse les épurateurs ECS, raison pour laquelle l'équipage a été invité à passer la première nuit à bord de son Soyouz.
Au réveil, l'air de la station était sain et les huit ventilateurs et filtres fonctionnaient. Soyouz 11 avait été éteint et mis en stockage. L'équipage a commencé le programme de travail. Ils prenaient le contrôle de la station pour la première fois, et ont effectué une manœuvre de correction orbitale, puis orienté la station et ses panneaux solaires entièrement vers le soleil. La presse mondiale a relaté cette nouvelle victoire soviétique.
Les premiers jours dans la station ont été réservés à la reconfiguration des systèmes, à la vérification des équipements, au démarrage des recherches scientifiques et à l’acclimatation de l’équipage. Salyut était un vaisseau plus complexe que tous les vaisseaux spatiaux habités précédent, disposant de plus de 1 300 instruments individuels et plus de 1 200 kg d’appareils scientifiques.
La vie quotidienne à bord était rythmée par six activités principales : la maintenance de la station, la toilette des équipages, les exercices physiques, quatre repas, un temps de repos individuels et une période de sommeil de 8 heures.[3]


Après que Kubasov ait été cloué au sol par les médecins, Kamanin et Mishin (au premier plan) et Kuznetsov (debout) discutent pour savoir qui devrait piloter la mission.


L'équipage de Soyouz 11 : Georgi T. Dobrovolskiy, Viktor I. Patsayev, and Vladislav N. Volkov
Tout a continué normalement à bord de la station. Des séances de télévision ont été organisées avec l'équipage. Il y avait suffisamment de consommables ECS, de carburant, d'eau et de nourriture à bord pour que la station puisse continuer à fonctionner jusqu'au 20 août. Le retour de l'équipage de Soyouz 11 était prévu le 30 juin, avec le lancement de Soyouz 12 le 20 juillet.
Le 16 juin à 13h00, alors que tout se passait correctement depuis le début, les cosmonautes ont signalé une forte odeur de brûlé, et de la fumée dans la station. L'équipage a évacué la station et s’est replié dans le Soyouz. Quarante minutes plus tard, Shatalov, au sol, a rapporté que la mission se poursuivrait, mais que la situation à bord de la station n'était pas confortable. L'équipage a éteint le régénérateur d'oxygène primaire et échangé les filtres du régénérateur d'alimentation en oxygène et de réserve. Dobrovolskiy a rapporté que tout était de nouveau normal. Il a demandé l'autorisation de poursuivre le vol. Il n'y avait plus de fumée ni d'odeur de brûlé, mais l'équipage était fatigué et tendu nerveusement. La situation était si mauvaise dans le vaisseau que des préparatifs avaient été faits à terre pour désamarrer le Soyouz pour un retour d'urgence sur terre.
Le lendemain, à la session de communication de 08h00, Volkov était de service, tandis que Dobrovolskiy et Patsayev dormaient. Kamanin a noté que Volkov était tendu. L'équipe de suivi médical le considérait trop indépendant et émotif. La Commission d'Etat s’est réuni à 11h00 et a décidé qu’aucun élément n'empêchait la poursuite de la mission. Cependant, il a été décidé de fermer tous les équipements scientifiques. Ils seraient analysés un à un pour tenter de trouver l'origine de l’incendie.
Le 18 juin, l'équipage a réalisé une transmission télévisée de cinq minutes. Mishin était à Tyura-Tam, où le N1 était en cours de préparation pour le lancement. Il y avait eu des retards, et le lancement devait être repoussé de deux jours au 22 juin. Kamanin a prévenu l’équipage qu’ils ne pourraient observés le lancement du N1 comme prévu. Pendant ce temps, les spécialistes en électricité et Chertok à Moscou ne sont pas parvenus à localiser l’origine du problème électrique. Tous les équipements à bord ont été éteints et allumés, et le problème ne s’est pas reproduit au grand soulagement de l’équipage. La mission était toujours prévue pour les 30 jours complets, mais le programme d'entraînement physique n'avait pas été suivi en raison des problèmes et pannes à bord de la station, obligeant les cosmonautes à passer beaucoup de temps dans des activités de réparation imprévues. Les médecins n’étaient pas favorables à une prolongation du vol.
La vie à bord de Saliout. Sur les deux photos du haut, Dobrovolskiy et Volkov sont dans le compartiment de travail, vêtus de leurs combinaisons . Dobrovolskiy se détend (au milieu à gauche) après l'incendie à bord de la station. Dobrovolskiy (à droite) et Volkov discutent du programme de vol (au milieu à droite). Ils étaient parfois en conflit sur la meilleure façon de procéder. On peut voir Patsayev travailler avec le télescope Orion (en bas à gauche) et avec Volkov prélever des échantillons de sang .
Lancement de la fusée N1-6L le 27 juin 1972
Le 20 juin, l'équipage du Soyouz 11 a achevé sa 1000ème révolution autour de la terre. L’équipage était fatigué. Kamanin souhaitait abréger la mission, mais la Commission d'Etat a décidé que le vol de Soyouz 11 pouvait se poursuivre du 27 au 30 juin. Kamanin avait 63 ans, il était épuisé et déprimé, et n’était plus suivi par ses supérieurs. Au sol, le lancement de la fusée N1 avait de nouveau été retardé. Le 25 juin, l’équipage a établi un nouveau record du monde d'endurance dans l'espace. L’atterrissage a été confirmé pour le 30 juin. Toutes les expériences scientifiques et techniques à bord de la station étaient terminées, l’équipage allait se concentrer ces derniers jours à l'entraînement physique, aux observations médicales et à la préparation de l'atterrissage.
A Baykonur, après un premier report de lancement, la fusée N1-6L a été lancé dans la nuit du 26 au 27 juin à 02:11:52 heure de Moscou. Il s'agissait d'un véhicule considérablement amélioré, intégrant des filtres dans les conduites de propulsion pour empêcher tout corps étranger de pénétrer dans les pompes. La forme de la queue du booster avait été modifiée et des systèmes de ventilation et de réfrigération avaient été ajoutés pour éviter une surchauffe du compartiment des moteurs. Il avait été peint en blanc dans l'ensemble pour réduire les températures. Les trente moteurs se sont tous allumés avec succès et les 5 premières secondes de vol étaient nominales. Mais dès le décollage, le propulseur a commencé une lente rotation axiale.




Le contrôle a été perdu 50,2 secondes après le début du vol et il a été détruit par le système de sécurité une seconde plus tard. Aucune charge utile fonctionnelle n'avait été transportée. Le booster s'est écrasé à 30 km en aval du site de lancement, sans endommager le complexe de tir. Au total, 13 N1 avaient été construits et les trois lancés jusqu'à présent avaient explosé. Le même jour, le centre de contrôle d’Yevpatoriva a appris le décès prématuré du concepteur de moteurs-fusées Isayev, victime d’une crise cardiaque. C’est dans ce triste contexte que l’équipage de Soyouz s’est préparé à son retour sur Terre.
Le 29 juin, à 19h30, la Commission d'Etat au poste de commandement a autorisé l'équipage de Soyouz 11 à se désamarrer de la station spatiale Salyut. L’équipage s’est déplacé vers l’appareil de descente et a fermé l’écoutille non sans quelques difficultés. A 21 heures 25 minutes 15 secondes, le vaisseau spatial Soyouz 11 s’est détaché de Salyut et a survolé la station. Patsayev a pris un certain nombre de photographies. Au moment de la séparation entre le module orbital et le module de descente, les boulons pyrotechniques se sont tous déclenchés en même temps au lieu d'exploser les uns à la suite des autres. La violence de la déflagration a descellé deux valves utilisées pour égaliser la pression avec l'extérieur à faible altitude. L’équipage a été tué par asphyxie, alors que l’atmosphère de la cabine s’échappait dans l’espace.
Prévue pour l’équilibrage des pressions atmosphériques quelques instants avant l’atterrissage, cette valve ne mesurait qu’un millimètre de diamètre et était située sous les sièges des cosmonautes. Il a été calculé que l’air de la cabine a dû s’échapper en une trentaine de secondes, à une altitude de 168 km. Les cosmonautes portaient une combinaison qui les protégeaient du froid mais pas de la dépressurisation. Pendant ces moments cruciaux, Patsayev s’est rendu compte du problème et s’est détaché de son siège pour essayer de refermer la valve ou de l’obstruer , mais sans succès : il lui au-
rait fallu disposer d’une minute pour refermer manuellement la valve, que l’on a retrouvé à demi fermée. Dobrovolskiy et Volkov, sanglés dans l’étroit espace de la capsule, n’avaient aucune chance d'aider leur compagnon. Privés d’air pendant les 15 minutes de la descente, celle-ci leur a été fatale : Un avion a aperçu la capsule de rentrée SA, descendant sous son parachute à 10 km du point de visée. Un hélicoptère a atterri à côté de la capsule dans les deux minutes qui ont suivi son atterrissage. Il n'y a eu aucune réponse de l'intérieur de la capsule. Lorsque la capsule a été ouverte, les trois cosmonautes ont été retrouvés morts. Le cadavre de Dobrovolskiy était encore chaud. Les corps ont été retirés de la capsule et des tentatives ont été faites pour réanimer l'équipage, en vain. L'enregistreur de cabine a montré que la pression était passée de 915 à 100 mm en 130 secondes.
Drame sur le site d'atterrissage. En haut à gauche : Des médecins tentent de réanimer Dobrovolskiy. En haut à droite : Des médecins s'occupent de Patsayev (au premier plan) et de Volkov (au milieu). En bas à gauche : Après avoir reconnu la mort des cosmonautes, leurs corps ont été enveloppés dans des couvertures blanches. En bas à droite : Des spécialistes commencent l'inspection du module de descente.


Dobrovolskiy vers la fin de la mission, rentrant dans la station après avoir vérifié le vaisseau spatial Soyouz 11


Dans son journal, Kamanin furieux, a mentionné :
Ces décès sont dus à la gestion incompétente d'Ustinov, Serbin, Smirnov, Mishin, Afanasyev, Bushuyev et Serbin. Certaines personnes essaient de blâmer Kamanin ou les cosmonautes, affirmant que l'évent aurait pu être bouché avec un doigt si l'équipage avait été correctement formé. D'autres blâment l'équipage d'autres manières. Mais le problème principal a déjà été soulevé à maintes reprises par le VVS et Kutakhov - l'équipage n'aurait jamais dû voler sans combinaisons spatiales ! Cela dure depuis sept ans. Khrouchtchev, Brejnev, Ustinov, Smirnov, ont tous écrit sur leur peur d'autoriser des vols spatiaux dangereux. Mais ce sont les mêmes dirigeants qui ont soutenu le rejet catégorique de la nécessité pour l'équipage de voler en combinaison spatiale. La nécessité des combinaisons a été rejetée d'abord par Korolev, puis par Mishin. Ils n'arrêtaient pas de dire que des centaines d'engins spatiaux habités et non habités avaient volé sans qu’il n’y ait jamais eu de dépressurisation.
Le choc en Union soviétique a été dévastateur. Le nom des trois hommes était devenu familier dans toute l’Union Soviétique depuis le mois de juin. Une vague de deuil sans précédent a balayé le pays, semblable au deuil collectif des États-Unis après l'assassinat du président Kennedy en 1963. La télévision et la radio soviétiques officielles ont diffusé des émissions spéciales pour relater la tragédie, tandis que d'innombrables messages de condoléances affluaient de la part des dirigeants du monde entier. Au-delà de la perte humaine, la tragédie de Soyouz 11 portait un coup sévère au programme spatial soviétique, à un moment où il était si près de récupérer la gloire perdue des années Korolev. Par un cruel coup du sort, le programme spatial soviétique n'avait obtenu aucune consolation dans la course à l'espace.