an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Le triple vol

Valery Kubasov (à gauche) et Georgy Shonin arrivent à la rampe de lancement avant le décollage du vaisseau spatial Soyouz-6 le 11 octobre 1969.

Le premier booster 11A511 avec sa charge utile Soyouz a été déplacé vers la plate-forme du site 31 à Tyura Tam au matin du 8 octobre pour commencer les processus de pré-lancement. L’activité était grande sur le site, où le personnel au sol, en l’espace de trois jours, devaient lancer trois fusées Soyouz différentes en orbite. Chaque vaisseau spatial resterait en orbite pendant cinq jours, dont trois ensembles. Le vaisseau spatial 7K-OK n°14 a décollé à l'heure à 14 h 10, heure de Moscou, le 11 octobre 1969 avec à son bord le lieutenant-colonel Georgiy S. Shonin (le commandant) et le civil Valeriy N. Kubasov (l'ingénieur de vol). Tous deux étaient âgées de trente-quatre ans. L'engin spatial, nommé Soyouz 6, ne disposait d'aucun dispositif d'amarrage. A la place avait été installé un appareil baptisé Vulcain, conçu par l'Institut de soudure électrique Paton de Kiev. Il s'agissait d'un canon à électrons d'un poids de 50 kg, prévu pour opérer des soudures en orbites. Le vaisseau est entré en orbite sans difficulté. Il s’était quasiment écoulé dix mois depuis la dernière mission soviétique pilotée. Parmi les objectifs annoncés par les médias figuraient le perfectionnement des systèmes de contrôle, le test des engins spatiaux et des appareils de navigation, la réalisation de photographies de la Terre, une enquête sur les phénomènes atmosphériques, des recherches biomédicales et une expérimentation de soudure sous vide et en apesanteur.

Le vaisseau spatial Soyouz 7K-OK n°15, nommé Soyouz 7, a décollé du site 1 à Tyura-Tam à 13 h 45 emmenant en orbite trois cosmonautes, le lieutenant-colonel Anatoliy V. Filipchenko (le commandant), le civil Vladislav N. Volkov (l'ingénieur de vol) et le lieutenant-colonel Viktor V. Gorbatko (l'ingénieur de recherche). Filipchenko avait quarante et un ans, Volkov trente-trois ans et Gorbatko trente-quatre. L’agence TASS a annoncé que les objectifs de la mission comprenaient des manœuvres en orbite, des navigations conjointes avec Soyouz 6 en vol de groupé, ainsi que des recherches scientifiques. Il n'a pas été mentionné que le navire était équipé d'un mécanisme d'amarrage passif ni que l'engin spatial devait accoster avec un troisième Soyouz.

Les préparatifs pour le lancement du Soyouz 7K-OK n°16 ont débuté immédiatement après le lancement de Soyouz 6 sur la plateforme du site 31. Le lancement a eu lieu à 13 h 19, heure de Moscou, le 3 octobre 1969. Il s’agissait du troisième lancement en trois jours Le colonel Vladimir A. Shatalov, vétéran des cosmonautes avait quarante et un ans et le civil Aleksey S. Yeliseyev (l'ingénieur de vol), trente-cinq ans. Le véhicule s’est positionné en orbite sans difficulté. L’agence TASS a annoncé que le nouveau vaisseau nommé Soyouz 8, effectuerait des observations scientifiques complexes avec Soyouz 6 et Soyouz 7 et des manœuvres orbitales conjointes.

TASS a également signalé que Shatalov assurerait le commandant général des trois vaisseaux.

Dans un premier temps, les trois vaisseaux ont effectué leur vol indépendamment, réalisant leur propre programme d’expériences, même si certaines manœuvres de correction orbitale semblent avoir été des manœuvres préliminaires à l’arrimage. Le 14 octobre, les trois vaisseaux étaient en place pour l’arrimage entre Soyouz 7 et Soyouz 8, suivi de l’approche de Soyouz 6 à moins de cent mètres. Toutes les corrections d’orbite nécessaires pour le rendez-vous à longue portée se sont déroulées comme prévu, permettant à Soyouz-8 de commencer l’approche de Soyouz-7 à une distance d’environ 250 kilomètres. A la fin du processus de rendez-vous automatisé, les deux navires étaient à moins d’un kilomètre l’un de l’autre, mais le système de rendez-vous Igla à bord de Soyouz-8 n’a pas réussi à capter les canaux optiques de Soyouz-7 pour effectuer l’approche finale et l’amarrage. Les calculs au sol ont montré que les deux véhicules seraient à nouveau à moins d’un kilomètre l’un de l’autre le 15 octobre vers 9 heure.

En réalité, le 15 octobre, les navires étaient à environ 40 kilomètres l’un de l’autre. Les deux orbites suivantes ont dû être consacrées à des mesures de trajectoire et à des corrections d’orbite supplé-

Nos scientifiques conçoivent la création de stations orbitales et de laboratoires de longue durée comme un moyen décisif pour conquérir l'Espace. La Science soviétique voit la création de stations orbitales avec des équipages successifs comme le véritable chemin de l'Homme dans l'Espace.[3]

Par ce discours, Brejnev expliquait au monde que, pendant que les Etats-Unis se promenait inutilement sur la Lune, les Soviétiques se préparaient à mener à bien de véritables programmes scientifiques qui allaient bénéficier à toute l'humanité. Pour la plupart des participants au programme spatial soviétique, il était clair que l’ère de la station spatiale avait commencé, une ère qui conduirait à la station spatiale Mir.


[1] Evgeny Riabchikov, Russians in Space, Editions Littlehampton Book Services Ltd, 1972, pp. 274-75.

[2] Soviet Space Programs. 1966-70, p. 378, National Intelligence Estimates (NIEs).

[3] James F. Clarity. "Brezhnev Says Soviet is following the 'Main Road' in Space" New York Times. October 23. 1969, p. 20.

Les membres de l'équipage de Soyouz-7 font leurs adieux sur la plateforme le 12 octobre 1969.

mentaires pour relancer le rendez-vous. A 12h40, heure de Moscou, Soyouz-8 et Soyouz-7 étaient à moins de 1 700 mètres et les équipages ont commencé les manœuvres de rendez-vous manuelles. Shatalov a activé le système de propulsion à quatre reprises, mais sans l’aide du système Igla défaillant, il n’a pas réussi à mettre le vaisseau en position. La situation en orbite était tendue, un rapport de l’équipe médicale au contrôle de mission a confirmé que la fréquence cardiaque des cosmonautes dépassait 100 battements par minute. A la fin de la journée de travail du 15 octobre, Soyouz-6 piloté par Shonin était à près de 800 mètres de Soyouz-7, mais, contrairement au Soyouz-8 de Shatalov, il n’avait pas de port d’amarrage pour accoster.

Le 16 octobre 1969, parallèlement aux préparatifs de l’atterrissage, l’équipage du vaisseau soyouz-6 a réalisé les premières tentatives de soudage au monde dans l’espace. Le soudage était automatisé, et le seul rôle majeur de l’équipage était d’allumer le système et de récupérer les échantillons. L’Académicien Paton a par la suite rapporté avec enthousiasme que :

L’expérience du soudage en orbite avait ouvert une nouvelle page dans l’exploration de l’espace. Une procédure d’ingénierie impliquant le chauffage et la fusion du métal a été réalisée dans l’espace pour la première chaux. L’ère de la métallurgie de l’espace a commencé.[1]

En réalité, l’expérience de soudure Vulkan a été un échec total. L’unité Vulkan avait ciblé une poutre et a fait fondre la paroi interne de l’espace où elle était implantée. Les cosmonautes n’étaient apparemment pas conscients du danger pendant l’expérience, et ils n’ont découvert les dommages qu’au moment de la récupération des échantillons. Les autorités soviétiques ont révélé vingt et un ans plus tard que l’expérience de soudage qui devait être réalisée sur l’un des vaisseaux s’était terminé sans succès.

Soyouz 6 est revenu sur Terre dès la fin de l’exercice Vulkan. Les deux cosmonautes ont atterri à 12 heures 52 heure de Moscou le 16 octobre 1969, dans les steppes gelées du Kazakhstan, 180 kilomètres au nord-ouest de la ville de Karaganda. Leur mission avait duré quatre jours, vingt-deux heures, quarante-deux minutes et quarante-sept secondes. Il faisait froid avec un vent puissant sur le site d’atterrissage, et malgré l’atterrissage à vingt kilomètres du point d’atterrissage prévu, les services de sauvetage ont pu atteindre les cosmonautes relativement rapidement.

Les cosmonautes de Soyouz 7 et Soyouz 8 ont poursuivi leurs missions sur orbite terrestre. La fin de la mission s’est déroulée sans incident majeure. Les trois cosmonautes de Soyouz 7 sont retournés sur Terre sans problème et ont atterri en toute sécurité au nord-ouest de Karaganda à 12 heures 26, heure de Moscou le 17 octobre, quasiment un jour après Soyouz 6. Leur mission avait duré quatre jours, vingt-deux heures, quarante minutes et vingt-trois secondes. Les conditions météorologiques étaient pires cette fois-ci, avec des vents froids, de la neige et une faible visibilité. L’équipage de Soyouz 8, Shatalov et Yeliseyev, se sont posés une journée plus tard à 12 heures 10 minutes heure de Moscou le 18 octobre, 145 kilomètres au nord de Karaganda dans un blizzard intense.

Vladimir Shatalov (à gauche) et Aleksey Yeliseyev montent à bord du Soyouz-8.

Valery Kubasov (à gauche) et Georgy Shonin à l'intérieur du module de descente du Soyouz

Le dernier équipage avait accompli une mission de quatre jours, vingt-deux heures, cinquante minutes et quarante-neuf secondes. Le triple vol Soyouz était terminé. Malgré l’échec de la mission d’amarrage, les porte-parole soviétiques ont lancé une offensive médiatique et la mission a été célébrée en grandes pompes. Lors de la réception officielle au Palais des Congrès du Kremlin, tous les cosmonautes ont été récompensés, comme leurs prédécesseurs, du titre suprême de « Héros de l’Union soviétique ». Les rapports de presse soviétique ont mis en avant que l’amarrage n’était pas prévu dans les plans de vol. L’enquête a montré que la défaillance du système Igla était due à des erreurs dans les tests au sol.

La presse soviétique était unanime, l’avenir du programme spatial soviétique se trouvait dans les stations orbitales. Lors de la conférence de presse traditionnelle, Keldysh a mentionné dans son discours d'ouverture « qu'en janvier de cette année, un amarrage d'un vaisseau spatial avait été effectué et que la première station spatiale orbitale expérimentale au monde avait été créée ». Il a annoncé que « le vol de groupe de plusieurs jours de trois engins spatiaux Soyouz avait résolu avec succès les problèmes de pointe relatifs à la création de systèmes spatiaux orbitaux pilotés et aux tests des véhicules ». Les cosmonautes Shatalov, Kubasov, Shonin, Filipchenko, Gorbatko, Volkov et Yeliseyev ont pris la parole lors de la conférence de presse décrivant leur travail dans l'espace. Ils ont partagé leurs observations, très intéressantes pour les spécialistes, mais aucun d'entre eux n'a osé laisser entendre que la mission principale du programme n'avait pas été accomplie.

La confusion sur la politique spatiale qui avait régné au début de l’année semblait terminée. L’académicien Sedov, l’homme qui avait annoncé le lancement d’un satellite soviétique pendant l’Année géophysique internationale en 1955, a déclaré aux journalistes au Pérou fin octobre 1969 que l’Union soviétique n’avait jamais annoncé qu’elle enverrait des hommes sur la Lune[2].

Heureusement pour Sedov, personne n’a pris la peine de lui rappeler ses déclarations passées sur le sujet. Lors d’une conférence de presse post-vol de la mission Soyouz 6/7/8 le 4 novembre, le président de l’Académie des sciences Keldysh a souligné que les efforts soviétiques dans l’espace se concentreraient sur la création de la première station spatiale orbitale permanente. Le 24 octobre, Keldysh a déclaré à la presse suédoise : « Nous n’avons plus de plans pour des vols lunaires habités. »

Dans un discours prononcé le 22 octobre au Palais des Congrès du Kremlin, qui s’est révélé rétrospectivement aussi important pour le programme spatial soviétique que le discours de Kennedy en 1961 pour les États-Unis, le Premier Secrétaire du Comité Central du Parti Communiste Leonid Brejnev a déclaré :

Notre pays a un vaste programme spatial [...] élaboré depuis de nombreuses années [...] Nous suivons notre propre voie : nous avançons de façon cohérente et ciblée. La cosmonautique soviétique résout des problèmes de complexité croissante [...] Notre route vers la conquête de l'Espace est celle qui résout les questions vitales et fondamentales, les problèmes de base de la Science et de la technologie [...]

Aleksey Yeliseyev (assis) et Vladimir Shatalov lors d'une conférence de presse à Karaganda, RSS du Kazakhstan.