an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

La disparition de Gagarine

En franchissant le mur du son, le pilote aurait provoqué la vrille et le crash de l'avion du cosmonaute. "J'ai vu un document déclassifié qui confirme (cette thèse)", a affirmé Alexeï Leonov, âgé de 83 ans, à l'agence publique Ria Novosti. La commission avait caché la vérité pour protéger le pilote survivant, assure-t-il, en refusant de révéler son identité et en ajoutant seulement qu'il s'agit d'un homme « assez connu », aujourd'hui « vieux et malade ». « Ce n'est plus un secret : il s'agit de négligences et de violations des règles de l'aviation », a-t-il résumé.


[1] Le 26 janvier, lors d'un test du système d'atterrissage L1 au champ de tir de l'armée de l'air à Vladimirovka près de Kapustin Yar, le parachute a été expulsé, et s'est rempli d'air mais s'est brusquement effondré, et la capsule s'est écrasée au sol et a explosé

[2] Nikolay Kamanin, “For Him. Living Meant Flying.” cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

[3] Nikolay Kamanin, “For Him. Living Meant Flying.” cité par Asif A. Siddiqi dans Challenge to Apollo: The Soviet Union and The Space Race, 1945-1974.

Préparation du lanceur sur le pas de tir le 21novembre

Mi-novembre, le président de la commission d'État du L1, Tyulin, est arrivé à Tyura-Tam pour superviser les essais préalables au dernier lancement automatisé du 7K-L1. Le véhicule a décollé le 22 novembre dans une nuit particulièrement froide avec la Lune magnifiquement suspendue au-dessus de la rampe de lancement du Proton. Glushko, Chelomey et Kamanin ont observé le lancement. Le décollage a eu lieu à 22 heures 7 minutes 59 secondes heure de Moscou du site 81 à Tyura-Tam. Le premier étage a tiré pendant deux minutes emmenant le véhicule a une altitude de 41 kilomètres, mais le deuxième étage a échoué quatre secondes après son allumage. Kamanin a mentionné que les observateurs avaient pu voir le système d’évacuation d’urgence éloigné le module L1 de la fusée en dérive. L’enquête a montré que le moteur n°4 du deuxième étage n’avait pas réussi à développer une poussée complète et que les trois autres moteurs n’avaient pu maintenir le véhicule que 3.9 secondes pour compenser la défaillance du moteur n°4. A ce moment, le système de sécurité du véhicule avait constaté la dérive et ordonné la coupure des moteurs et le déclenchement du système d’évacuation d’urgence. La balise radio de la capsule a été détectée et le vaisseau spatial a été retrouvé à 80 km au sud-ouest de Dzhezkazgan, à 285 km en aval. Les défaillances du lanceur Proton devenaient exaspérantes. Sur les dix des derniers lancements sous la direction de Mishin (6 Soyouz et 4 L1), seuls deux s’étaient bien déroulés, soit un taux d'échec de 80% !

A la fin de 1967, la pression était légèrement retombée des épaules de Mishin. Ne poursuivant plus un objectif impossible, son espoir immédiat était de battre les Américains dans un vol circumlunaire. Étant donné que les opérations Apollo pilotées ne devaient pas reprendre avant fin 1968, à la suite de la catastrophe d’Apollo 1, les Soviétiques avaient encore leur chance. Pendant cette période, les ingénieurs soviétiques ont continué à améliorer l’engin spatial 7K-L1 en remplaçant l’ordinateur de bord et en continuant à réduire le poids de l’engin. L’amélioration du système des parachutes a également été intégrée dans le L1, même si les tests réalisés début 1968 n’étaient pas très encourageants.[1]

Trois lancements étaient prévus en mars et avril : L1 n°6 et 7K-OK n°7 et n°8. Au mois de janvier, les cosmonautes du L1 ont finalement commencé à s'entraîner dans un simulateur spécialement construit fourni par le Bureau de conception expérimentale spéciale de l'Institut de recherche en vol M. M. Gromov à Joukovski, près de Moscou. Le simulateur, connu sous le nom de Volchok (« Top »), a été installé à l'Institut de médecine aéronautique et spatiale de l'armée de l'air pour permettre aux cosmonautes de s'entraîner pour le retour sur Terre aux vitesses lunaires.

Gagarine pendant sa formation

La formation consistait à étudier les systèmes de bord du navire 7K-L1, la dynamique de son mouvement, le support mathématique, la programmation, la balistique et l'astronavigation. Début février 1968, Mishin et Kamanin s'étaient mis d'accord sur le choix de quatre chefs d'équipage pour s'entraîner pour les premières missions : les cosmonautes Bykovskiy, Leonov, Popovich et Voloshin. Ils ont été engagés, avec huit autres, dans un programme intensif tout au long de 1967-68, mais il semble que leur confiance dans le vaisseau spatial restait assez limitée.

Depuis le 1er septembre 1961, juste après le vol de Gagarine, quinze cosmonautes de la promotion Gagarine avaient été inscrit par Korolev à l’Académie Joukovski, célèbre école supérieure d’ingénieurs aéronautiques. « Je vous confie mes aiglons, avait-il dit au corps des professeurs. Ils savent voler. Apprenez-leur maintenant à construire. L’un ne va pas sans l’autre ». Seul Komarov disposait de l’équivalent du baccalauréat. Le régime d’enseignement et les cours étaient adaptés à l’emploi du temps très chargé des cosmonautes. Souvent interrompues pour raisons de service, les études s’étalaient sur six années.

De fin janvier à fin février 1968, Gagarine, Titov, Nikolayev, Popovich, Bykovskiy et Leonov, ont défendu leurs projets de fin d’études à la Cité des étoiles. Gagarine a réalisé sa soutenance avec succès le 17 février 1968.

Mais Kamanin ne souhaitait toujours pas l’autoriser à voler de nouveau. L’accident de Komarov avait durci les critères de sélection. Gagarine, cloué au sol par Kamanin, a continué à servir d’ambassadeur international pour le programme spatial soviétique. Ses obligations l’avaient profondément changé. Kamanin a écrit dans son journal en 1968 :

Il y a eu de nombreuses situations où Gagarine aurait pu avoir de gros ennuis. Ces situations se produisaient souvent lorsqu'il assistait à des fêtes, conduisait en voiture ou en bateau, ou lors de la chasse avec des grands patrons. J'étais particulièrement préoccupé par ses voitures à grande vitesse. J'ai beaucoup échangé avec Youri sur cette question. Le style de vie très actif, les réunions interminables et les séances de beuveries changeaient visiblement l'image de Youri et effaçaient lentement mais régulièrement son charmant sourire de son visage[2].

Gagarine lors de sa dernière visite médicale le 1er mars 1968

Après avoir passé ses examens médicaux le 1er mars, il a été autorisé à voler de nouveau. Il a enchaîné les vols d'entraînement, à un rythme que Kamanin jugeait trop élevé, car Gagarine voulait de nouveau voler en solo. Le 27 mars 1968, il a décollé peu après 10 heures du matin à bord d'un MiG-15 UTI depuis l'aéroport militaire Chkalovsky près de Moscou. Il était accompagné d'un instructeur, le colonel Vladimir Seregin, pilote de 45 ans aux références impeccables, qui depuis 1963 était affecté à l'entraînement des cosmonautes. Quelques minutes après le décollage, Gagarine a demandé aux contrôleurs la permission de modifier son plan de vol et de rentrer à la base ; ce sera sa dernière communication. En l'absence de nouvelles, l'alerte a été rapidement déclenchée. Quelques heures après ce dernier contact, des hélicoptères ont décollé pour se mettre à la recherche de l'avion, qui avait été repéré à environ 64 km de la base aérienne, dans une zone densément boisée et recouverte d'un mètre de neige. L'avion avait creusé un cratère de 6 à 7 mètres en s'écrasant, ce qui laissait supposer qu'il avait heurté le sol à une vitesse comprise entre 700 et 800 km/h. L'équipe de recherche a découvert rapidement une mâchoire qui a été identifiée comme étant celle de Seregin. Les recherches ont été interrompues par la nuit. Lorsqu'elles ont repris le lendemain, l'équipe de sauvetage a découvert d'abord la combinaison de vol de Gagarine accrochée dans un arbre à une dizaine de mètres de hauteur puis, peu après, les corps des deux pilotes. Une commission a été mise en place dès le soir du 27 mars pour découvrir ce qui s'était passé. Gagarine avait 34 ans. Pendant deux jours, le secret a été gardé sur sa disparition. L'enquête, tenue secrète, n'a pas établi les circonstances exactes de sa mort et, avec les années, les rumeurs les plus folles, de l’assassinat par le KGB jusqu'à un enlèvement par les extraterrestres, ont circulé.

Les funérailles de Gagarine

Le 30 mars, les urnes contenant les cendres de Gagarine et de Seregin ont été escortées par les dirigeants soviétiques Brejnev, Kosyguin, Podgorny jusqu'au mur du Kremlin pour y être enterrées. Des centaines de milliers de Moscovites étaient sur place pour assister à la marche funèbre d'un homme qu'ils considéraient comme un héros national. La commission d'enquête sur la catastrophe a publié un rapport officiel en décembre 1968, faisant allusion à une erreur du pilote :

La cause la plus probable de la mort de Gagarine et de Seregin était due à un brusque virage de l'aéronef pour éviter une collision avec un ballon météorologique. À la suite du brusque virage, l'avion est devenu difficilement contrôlable. La situation météorologique défavorable a compliqué le contrôle de l'avion, et l'équipage est décédé [3].

Alexeï Leonov, membre de la commission d'enquête en 1968, dans un entretien en juin 2013 avec la télévision russe RT, a évoqué un avion Sukhoy qui n'aurait pas dû se trouver là et qui aurait croisé la trajectoire du Mig de Gagarine, passant à moins de 20 mètres de son appareil.