Retour à la maison de la sonde Luna 16
L'échec prématuré de Luna 15 au cours de cette semaine historique de juillet 1969 n'avait pas découragé le bureau d'études de Lavochkin à Khimki de poursuivre son objectif principal de ramener sur terre des pierre lunaire grâce à son vaisseau spatial robotique Ye-8-5. Le concepteur en chef Georgiy N. Babakin devait répondre aux besoins de la propagande soviétique en livrant une mission de retour d'échantillon réussie. Les premières tentatives après l’échec de Luna 15 ont eu lieu à l'automne 1969. Le 5 septembre 1969, le général de division Tyulin, président de la Commission d'État a choisi de lancer un véhicule, le troisième de la série Ye-8, le 23 septembre malgré l’incertitude sur les causes de l’échec du mois de juillet.
La sonde Ye-8-5 a été lancé depuis le site 81 à Tyura-Tam à 17 heures, heure de Moscou, le 23 septembre 1969.Le propulseur proton a réussi à insérer la charge utile en orbite terrestre, mais l'étage d'injection translunaire du Bloc D n'a pas réussi à tirer une deuxième fois pour permettre de se mettre en route vers la Lune. La télémétrie a indiqué qu'une vanne d'injection de carburant s'était bloquée lors du premier tir du Bloc D pour insérer la charge utile en orbite terrestre, et que tout l'oxygène liquide avait été consommée avant le deuxième tir. La presse soviétique a discrètement désigné le satellite comme Cosmos-300 et l'a rapidement oublié. Un deuxième essai a eu lieu moins d'un mois plus tard, La sonde Ye-8-5 numéro 404 a été lancée le 22 octobre. Nommée Cosmos-305, la sonde est entrée avec succès en orbite terrestre. Mais une nouvelle fois, le moteur du Bloc D ne s’est pas allumé. Le vaisseau est rentré dans l’atmosphère et est tombé dans l'océan près de l'Australie.
Les ingénieurs de Babakin ont préparé la cinquième sonde Ye-8-5 n°405, pour un lancement début 1970. Le lancement a lieu le 6 février 1970, mais 126 secondes après le début du vol, le premier étage a explosé, anéantissant tout espoir de succès. L’instabilité du lanceur Proton UR-500K était un frein au programme de Babakin. Le bilan de ce lanceur, entre 1967 et 1970, avait été peut-être l'un des plus lamentables de tous les lanceurs développés par une nation spatiale. Sur dix-neuf lancements de la variante à quatre étages du propulseur Proton jusqu'en février 1970, dix n’avaient pas réussi à déposer leurs charges utiles en orbite, trois avaient atteint l'orbite mais n'avaient pas réussi à envoyer leurs vaisseaux vers la Lune, et seuls les six autres avaient complètement réussi :
Travaux sur Luna 16
Babakin, inquiet des performances du lanceur, a rencontré le ministre de la Construction mécanique générale Afanasyev. Ce dernier a demandé à Chelomey de revoir son lanceur et d’apporter les modifications nécessaires. Les premier et troisième étage ont été revu, et TsKBM a lancé avec succès une fusée UR-500K à trois étages dans le cadre d'une mission suborbitale pour vérifier certains systèmes du lanceur le 18 août 1970.
La sixième sonde Ye-8-5 n° 406 a été lancé à 16 h 26, heure de Moscou, le 12 septembre 1970 sur une orbite de stationnement autour de la Terre. Environ soixante-dix minutes après être entré en orbite, l'étage Bloc D a tiré pour envoyer la charge utile vers la Lune. Après une courte correction à mi-parcours, le vaisseau spatial, nommé Luna 16, a atteint l’orbite lunaire le 17 septembre. Il y avait deux allumages prévus pour ajuster l'orbite les 18 et 19 septembre. Le navire Ye-8-5 a déclenché le moteur principal pour annuler la vitesse orbitale, provoquant sa chute vers la surface, puis a effectué une combustion finale pour assurer un atterrissage en douceur. Luna 16 a atterri en toute sécurité dans la partie nord-est de la mer de la fertilité à environ 100 kilomètres à l'est du cratère Webb.
Les missions Luna 16 et 17 étaient des réalisations techniques et scientifiques de grande qualité, qui donnaient du poids aux affirmations soviétiques sur l’intérêt des missions automatisés. Le programme L1 et le vol habité circumlunaire perdaient de l’intérêt politique. Pourtant, il restait encore du matériel, en particulier trois véhicules 7K-L1 prêts à voler. Mi-1970, Mishin était prêt à faire voler pour une mission circumlunaire le vaisseau 7K-L1, le Bloc D et le propulseur Proton. Mais la pression interne pour abandonner le projet était forte, et il a finalement abandonné l’idée. En guise de compromis, il a été autorisé à poursuivre les vols technologiques automatisés. Ainsi, à l'automne 1970, TsKBEM a préparé un dernier navire L1, le vaisseau spatial no. 1 4, pour voler autour de la Lune.
Le vaisseau a été lancé à 22 h 55 minutes 39 secondes, heure de Moscou, le 20 octobre 1970, un mois après la récupération des échantillons lunaires. Après la mise en orbite terrestre, le vaisseau, appelé Zond 8, s'est dirigé vers la Lune. Ses objectifs étaient l'exploration de la Lune et de l'espace circumlunaire et le test des systèmes et matériels embarqués. La sonde a pris des photos de la Terre le 21 octobre à une distance de 64 480 km et transmit ensuite des images de la Terre durant trois jours. Zond 8 est passé à proximité de la Lune le 24 octobre 1970, à une distance minimale de 1110 km et a pris des photos en noir et blanc et en couleur de la surface lunaire. Des mesures scientifiques furent également acquises durant le vol. Zond 8 est rentré dans l'atmosphère terrestre et a amerri dans l'océan Indien le 27 octobre 1970.
Le programme L1 était terminé. Lancé par Korolev en 1965, il devait à l'origine être un symbole du pouvoir soviétique lors des célébrations du cinquantième anniversaire de la Grande Révolution d'Octobre en 1967. Mais après onze lancements et des milliards de roubles, le programme est passé au second plan. Les résultats n’étaient pas mauvais, TsKBEM avait effectué deux missions circumlunaires automatisées pleinement réussies (Zond 7 et Zond 8) et deux partiellement réussies (Zond 5 et Zond 6). Le programme L1 avait permis de nombreuses réalisations techniques remarquables, mais son plus grand échec était de ne jamais avoir été piloté. Si les Soviétiques avaient voulu faire voler un cosmonaute autour de la Lune en 1970, ils auraient pu. TsKBEM avait encore deux véhicules en état de voler.
Mais comme Mishin l'a noté vingt ans plus tard :
… à la suite d’une décision des autorités supérieures, le vol circumlunaire de deux cosmonautes du programme UR-500K-L1 n'a pas eu lieu, alors que le matériel et les cosmonautes pour le vol étaient prêts. Cette décision résultait du fait que les Etats-Unis avaient déjà réalisé cette mission. J'estime que la décision était erronée et qu'elle n'a pas pris en considération l'opinion du peuple et des spécialistes qui avaient travaillé héroïquement pour exécuter le programme…[1]
[1] Vassily Mishin, Pourquoi nous ne sommes pas allés sur la Lune, Cépaduès éditions, CNES, 1993


Luna 16 a atterri durant la nuit lunaire et contrairement aux premiers exemplaires du modèle, ne disposait pas de projecteurs pour éclairer la zone dans laquelle l'échantillon devait être prélevé. La foreuse a été déployée une heure après l'atterrissage. Au bout de 7 minutes, le foret s'est enfoncé de 35 cm et a buté sur un obstacle. Le bras a relevé la foreuse et l'échantillon de sol a été déversé dans la capsule située au sommet de l'étage de retour par une ouverture latérale qui a ensuite été refermée. Une partie du matériau prélevé a été perdu durant cette phase. Après un séjour de 26 heures à la surface de la Lune, le moteur du véhicule de retour a été allumé pour le décollage et ayant atteint une vitesse de 2,7 km/s, s’est échappé à l'attraction lunaire et s’est dirigé vers la Terre. L'étage de descente a continué pendant ce temps à effectuer des relevés réguliers de la température et des rayonnements. Le 24 septembre, alors que l'étage de retour se trouvait à 48 000 km de la Terre, la capsule contenant l'échantillon a été larguée et a entamé peu après sa rentrée atmosphérique. A une altitude de 14,5 km, le parachute pilote s’est déployé puis à 11 km le parachute principal tandis que les antennes du transpondeur, destiné à faciliter la récupération, se sont déployées. La capsule s’est posée à environ 80 km de la ville de Djezkazgan au Kazakhstan, à 400 km du cosmodrome de Baykonur, point de départ de la sonde.
Après ouverture de la capsule, les Soviétiques ont constaté que le système de prélèvement avait bien fonctionné et qu'ils disposaient désormais de 100 grammes de sol lunaire. Pour l'astronautique et les dirigeants soviétiques, le succès de Luna 16 constituait un succès inespéré qui compensait en partie la défaite essuyée lorsque la NASA en juillet 1969 avait fait atterrir pour la première fois des astronautes sur le sol lunaire sans que les Soviétiques puissent afficher une quelconque réussite. Bien que les deux programmes soient difficiles, voire impossibles, à comparer, il est un fait que les deux missions Apollo jusque-là avaient rapporté un montant beaucoup plus important (soixante kilogrammes) de roches lunaires et de sol que Luna 16 (0,105 kilogrammes). Sur la base du coût par habitant d'un kilogramme de sol lunaire de la mission Luna par rapport aux missions Apollo, il ne fait aucun doute que ces dernières étaient de loin supérieures. Luna 16 était certainement une réalisation technologique remarquable, mais ce n'était probablement pas, comme le prétendaient les responsables soviétiques de l'époque, une alternative « moins chère et meilleure » à Apollo.
Luna 16 a été suivie, également en 1970, par une autre réalisation tout aussi impressionnante dans le programme d'exploration lunaire soviétique : le vol du rover lunaire Ye-8, nommé Luna 17.


Retour de Luna 16 sur Terre le 24 septembre 1970
La première tentative de lancement du robot d'exploration mobile Lunokhod avait échoué en février 1969. Le 10 novembre 1970, à 17 h 44, heure de Moscou, un Proton à quatre étages a décollé et a injecté le vaisseau spatial vers la Lune. Après deux corrections à mi-parcours les 12 et 14 novembre, Luna 17 est entrée en orbite autour de la Lune le 15 novembre. Le lendemain, le vaisseau spatial a désorbité et a atterri en toute sécurité à 06 heures 46, heure de Moscou le 17 novembre dans un ancien cratère de la Mer des Pluies. Le profil d'atterrissage était identique à celui utilisé sur Luna 16. Deux séries de rampes ont été abaissées, et l'équipe de direction de cinq personnes à Yevpatoriva en Crimée a commandé l'étrange robot à huit roues jusqu'à la surface pendant environ une heure et demie après l'atterrissage. Lunokhod 1 était un véhicule lunaire de forme tubulaire propulsé par huit roues motrices. Il était équipé d'une antenne conique, d'une antenne directionnelle, de quatre caméras et de divers appendices articulés destinés à effectuer des tests concernant le sol lunaire. Il comportait aussi un spectromètre à rayons X, un télescope à rayons X, des détecteurs de rayons cosmiques et un réflecteur laser. Fonctionnant à l'énergie solaire, Lunokhod devait à l'origine fonctionner pendant trois journées lunaires mais en réalité il resta en fonction pendant onze jours lunaires. Il fut déclaré officiellement inactif le 4 octobre 1971, date d'anniversaire de Spoutnik 1. Lunokhod a voyagé sur une distance de 10 540 mètres et a transmis plus de 20 000 images, et plus de 200 panoramas. Il a aussi effectué plus de 500 tests sur le sol lunaire.
Lunokhod 1