L'objet K


Konstantin P. Feoktistov
Le 15 février 1958, Korolev avait donné l’ordre à Tikhonravov de commencer à travailler sur un vaisseau spatial orbital piloté. Tikhonravov a nommé un jeune ingénieur talentueux de trente-deux, Konstantin P. Feoktistov, pour diriger les travaux. Feoktistov était né le 7 février 1926, à Voronej. A 16 ans, en 1942, il avait combattu l’envahisseur nazi dans la région de Voronej. Laissé pour mort sur le champ de bataille, il avait réussi de nuit à se mettre en sécurité. A la fin de la guerre, il a rejoint l’école technique supérieure N. E. Bauman où il a été diplômé. Il a trouvé du travail au NII-4 sous la direction de Tikhonravov dont il est devenu un de ses préférés. A l’OKB-1, il a dirigé un groupe de vingt jeunes ingénieurs et travaillé sur la conception d'un véhicule capable de transporter un humain en orbite.
Le groupe de Feoktistov a commencé son travail en mars-avril 1958 en s’attaquant à l’épineux problème du retour sur terre d’une capsule à partir de son orbite. Différentes études ont été réalisées, avec le concours du département de mathématiques appliquées de Keldysh sur le choix de la protection thermique. Ce choix s’est arrêté sur du plastique renforcé par de l’amiante. La capsule serait freinée dans sa descente par un parachute simple. La forme de la capsule pour le retour sur terre a nécessité aussi de nombreuses études, cônes de différentes longueurs et tailles, demi-sphères, sphères pleines. C’est cette dernière forme qui a été retenue pour trois raisons : une sphère était plus simple pour maintenir la stabilité lors de son entrée en orbite, elle offrait un volume interne plus important et elle était soumise à des contraintes thermiques plus faibles.
Les ingénieurs étaient conscients qu'une forme plus complexe réduirait les charges « g » lors de la rentrée et permettrait un certain contrôle à l'atterrissage, mais Korolev a vite compris que ces avantages étaient relativement peu importants face aux contraintes et demanderaient un temps de développement plus long. Le choix de la forme de l'engin de descente, qui était
supposé être la tâche la plus difficile était une avancée importante dans le processus de conception, et c'est à ce stade que Korolev a décidé en privé de proposer et de soutenir l'ensemble du projet au niveau gouvernemental.
Début juin, Tikhonravov et Feoktistov avaient synthétisé et présenté leur rapport à Korolev qui l’avait validé. Les trois mois suivants, de nombreuses discussions ont eu lieu avec les autres divisions de l’OKB-1, et finalement le 18 août 1958, Korolev (Concepteur en chef d'OKB-1), Bushuyev (concepteur en chef adjoint d'OKB-1 pour la technologie spatiale), Tikhonravov (chef du département n° 9 de l'OKB-1) et Feoktistov (chef de groupe pour les appareils spatiaux pilotés) ont signé un rapport officiel intitulé « travaux préliminaires sur les problèmes de création d'un satellite avec des humains à bord (objet OD-2). » ce rapport en neuf parties, comprenait des sections sur :
• Schéma descriptif pour l'objet OD-2
• Forme de l'appareil de descente et problèmes de stabilité
• Composition de l'équipement
• Systèmes d'atterrissage et disposition de l'appareil de descente
• Protection thermique de l'appareil de descente
• Problèmes de cycles thermiques en orbite
• Contrôle et systèmes d'orientation
• Suivi et communications
• Programme des travaux expérimentaux
Deux conceptions du vaisseau spatial Object OD-2, première conception d'un vaisseau spatial piloté. La conception OD-2 a été modifiée au début de 1959 pour devenir le vaisseau Vostok. Ces deux concepts incorporent une capsule de retour sphérique pour le pilote solitaire. Notez le module d'instrument conique à droite de chaque vaisseau spatial, très similaire au satellite Spoutnik 3. (reproduction de B. v. Raushenbakh. ed. Materialy po istorii kosmicheskogo korablya "Vostok " (Moscou : Nauka. f 99 f))
Les différentes variantes avaient toutes une configuration similaire avec deux compartiments : une section d’instrument conique, qui abritait tous les systèmes électroniques et de commande de l'engin, et l’appareil de descente sphérique, d'environ deux mètres et demi de diamètre, qui servait de compartiment à l’unique passager lors de sa rentrée dans l’atmosphère. La masse de l'appareil de descente était d'un peu plus de trois tonnes. Les ingénieurs ont calculé qu’une orbite circulaire à 250 kilomètres permettrait à l’appareil de descente de rentrer dans l’atmosphère après dix jours, durée maximum du système de survie embarqué. Après la rentrée, le passager s'éjecterait de la capsule sphérique à une altitude de huit à dix kilomètres et atterrirait séparément du vaisseau spatial principal. L’appareil était prévu pour atterrir sur terre. Korolev envisageait un premier lancement orbital piloté en décembre 1960 si le gouvernement approuvait le projet.
Korolev a remis le document officiel à de hauts fonctionnaires du gouvernement le 15 septembre 1958. Mais il était confronté à un cruel dilemme, se concentrer sur le satellite espion de reconnaissance commandé par l’Armée ou sur le vaisseau spatial piloté ? Mené les deux projets simultanément n’était pas envisageable car monopolisant beaucoup trop d’efforts et de ressources. La décision finale a été une nouvelle fois provoquée par des évènements externes, à des milliers de kilomètres de Kaliningrad.


Au centre, le Président Dwight D. Eisenhower avec T. Keith Glennan (à droite) premier administrateur et Hugh L. Dryden (à gauche) administrateur adjoint, Crédit photo : NASA
Effectivement, lorsque l’URSS a lancé son premier satellite, les États-Unis n’avaient pas d’autres choix que de mettre en place une agence qui pourrait faire face à cet affront, étant donné qu’à cette époque, les Américains étaient censés être à l’avant-garde des technologies spatiales. La NASA a été ainsi créée en grande partie en réaction au lancement soviétique de Spoutnik en 1957. Lors de sa création, la NASA a été désignée comme étant le successeur de la NACA (National Advisory Committee for Aeronautics), mais avec une orientation plus civile et avec une application plus pacifique des différentes formes de technologies spatiales. Si c’était le Congrès américain et la NACA qui avaient initié le projet d’établissement de la NASA, c’est finalement le président Dwight D. Eisenhower qui a officialisé la création de l’agence en signant le National Aeronautics and Space Act (la loi sur l’aéronautique et l’espace) le 29 juillet 1958. En août, le président Eisenhower a chargé la NASA de mettre au point et de mener à bien une mission de vol spatial habité. Le 7 octobre, l'administrateur de la NASA, T. Keith Glennan, a approuvé le projet « humain dans l’espace » qui est devenu le 26 novembre le programme « Mercury ».
Cette décision a eu certainement son importance lors de la réunion des concepteurs en chef de novembre. Le conseil a décidé de prioriser le vol spatial orbital, les travaux sur le satellite de reconnaissance sont passés au second plan. S’appuyant sur le risque de concurrence de la NASA, Korolev a plaidé devant les membres du Parti. Le 5 janvier 1959, le Comité central du Parti communiste et le Conseil des ministres de l'URSS a publié un décret (n° 22-10ss) ratifiant officiellement la préparation d'un projet de vol spatial habité[1] . Les travaux sur l’objet OD-2 ont rapidement été accélérés à la suite de ce décret. La conception de l’objet OD-1 était purement abandonné. Korolev a décidé d’adopter la configuration de l’objet OD-2 aussi pour le satellite de reconnaissance. Ainsi, l’objet OD-2 est devenu un vaisseau spatial à double rôle, tant pour le vol spatial habité que pour le satellite espion. A la suite de ces changements, les ingénieurs d’OKB-1 ont renommé le l’objet OD-2 en vaisseau spatial « Objet K », le K venant de Korabl, qui signifiait vaisseau en russe.
Pour bénéficier d’une installation de production entièrement dédié à cette réalisation, la Commission militaro-industrielle a transféré institutionnellement une ancienne usine de Kaliningrad à l’OKB-1. Pendant la guerre, cette usine avait produit quasiment la moitié des canons de campagne soviétiques, mais à l’ère des missiles, elle était devenue obsolète. Le 3 juillet 1959, l’usine TsNII-58 a donc été rattaché à l'OKB-1 en tant que deuxième usine de production. Les ingénieurs de Korolev sont arrivés rapidement avec leurs projets et croquis de l'Objet K, donnant un nouveau destin à cette usine. Le concepteur en chef adjoint Bushuyev, chef des systèmes spatiaux d'OKB-1 a été nommé pour gérer l'usine, superviser la construction des engins spatiaux. Les premiers modèles d’enveloppe de l’appareil sont sortis des usines le mois suivant.
Variante pilotée du vaisseau spatial Object K qui fut plus tard appelé Vostok. Le navire Vostok était composé de deux modules de base : un module de rentrée sphérique (« appareil de descente ») pour le lancement et la récupération du pilote et un module d'instruments ("section instrument") pour transporter les systèmes nécessaires au vol. (droit d'auteur David R. Woods)
Le vaisseau spatial Objet K tel qu'il est apparu en 1959, était un vaisseau spatial à deux sections d'une masse d'environ 4,73 tonnes. L'appareil de descente pesait 2,46 tonnes, tandis que la section des instruments pesait 2,27 tonnes. La longueur totale de l'engin spatial sans antenne était de 4,4 mètres, son diamètre maximal de 2,43 mètres. L’appareil de descente sphérique était une capsule monoplace, entièrement recouverte d'un revêtement résistant à la chaleur pour la protéger lors de la rentrée dans l’atmosphère. L'épaisseur du revêtement thermique variait entre trois et onze centimètres. La capsule disposait d’un siège éjectable de 800 kilogrammes qui contenait un système de ventilation de la combinaison spatiale, un système de catapulte, des dispositifs pyrotechniques et des systèmes de parachute. Le panneau de commande assez succinct disposait d'instruments pour indiquer la pression, la température, l'humidité et la composition de l'air, ainsi que la pression dans les réservoirs de propulseur de contrôle d'attitude. Les commandes sur le panneau permettraient également au pilote d'effectuer le fonctionnement manuel du moteur de rétrofusée. La section des instruments pressurisés était composée de deux compartiments, portant les principaux instruments pour réaliser le vol. L’élément principal était le moteur permettant le rétro freinage, sa durée de combustion maximum était de 45 secondes. Les compartiments regroupaient aussi les instruments de guidage, de commande et d’orientation, un système d'alimentation électrique, des appareils de radiocommunications, de télémétrie et une horloge programmée. La section entière n'était pas conçue pour la récupération et devait brûler dans l'atmosphère après la séparation de l'appareil de descente.
Les ingénieurs d’OKB-1 ont conçu l’Objet K dans le but que la totalité de la mission puisse être effectué sans aucune intervention du pilote, a aucun moment il n’avait à actionner une commande, c’était un simple passager. Avant son retour, la capsule s’orienterait automatiquement au moyen d'un capteur solaire pour atteindre le meilleur axe, pour permettre l’éjection du pilote. Après la rentrée, à une altitude d'environ sept kilomètres, les boulons fixant l'écoutille du pilote exploseraient. Juste deux secondes plus tard, le pilote et son siège seraient expulsé grâce à deux puissantes fusées à propergol solide, descendant ensemble pendant environ quatre kilomètres. A ce moment, le pilote se séparerait et atterrirait en parachute à une vitesse d'impact calculée de cinq mètres par seconde. Les ingénieurs d’OKB-1 souhaitaient tout contrôler, laissant une confiance relative au pilote. L'automatisation excessive des véhicules spatiaux soviétiques avec équipage aura un impact négatif sur le cours des événements dans les années 1960.
L'activité du programme Objet K s'est intensifié progressivement jusqu'en 1959. A la fin de 1959, le premier vaisseau spatial « standard » a été livré. Korolev a désigné deux de ses anciens associés, Petr V Flerov et Arvid V Pallo, pour diriger une série d'essais d'atterrissage pour tester le système de parachute. Les tests ont été réalisés sur un aérodrome militaire à Saryshagan, la cabine a été larguée entre 8 000 et 10 500 mètres d’altitude. Sur cinq essais, un seul échec a été recensé, la trappe ne s’étant pas ouverte et ayant empêché la sortie du parachute. Le dernier test a eu lieu avec deux chiens dans la capsule que l’on a retrouvé sains et saufs. Le 10 avril 1960, Flerov et Pallo ont confirmé à Korolev que le système de parachute était prêt pour le vol. C'était une étape cruciale.
Aleksei Mikhailovich Isayev
La combinaison spatiale et le système d’éjection ont été conçus et développés à l’usine n°918 par le concepteur en chef Alekseyev, qui avait travaillé sur le vol des chiens. Les ingénieurs d'Alekseyev ont conçu un costume, le SK-1 Sakai (« faucon »), qui était complètement autonome du système de régénération de l'air de l'engin spatial. En cas de dépressurisation, la combinaison pourrait fournir environ quatre heures de secours pour un pilote. Sur un poids total de onze kilogrammes, le casque pesait à lui seul 3,5 kilogrammes. Les tests de la combinaison et du siège éjectable ont été réalisés grâce à huit largages par avion entre juillet et septembre 1960.
Pour le puissant moteur des rétrofusées (TDU), Korolev avait d’abord imaginé du propergol solide pour la combustion. La conception a été confié à Yuriy A. Pobedonostsev au NII-125 avec une date de livraison prévue au premier trimestre de 1960. Mishin, Bushuyev et Melnikov se sont opposés au propergol solide et ont soutenu qu'il était beaucoup plus facile de contrôler l'intensité de combustion d'un moteur à propergol liquide. Les experts en balistique ont calculé qu'un TDU à propergol solide entraînerait une déviation de 400 à 500 kilomètres du site d'atterrissage désigné. Pour un moteur à propergol liquide, les erreurs possibles seraient réduites par 10. Finalement, ils ont convaincu Korolev de réaliser une étude en parallèle avec du propergol liquide. Il était évident que le choix du concepteur s’orienterait vers Glushko, mais celui-ci n’était pas intéressé par le projet. Korolev a confié le sujet à son plus fidèle associé, Alexeï Isayev de l'OKB-2. Isayev a refusé dans un premier temps, mais avec l’aide de Chertok, Korolev a réussi après d’âpres négociations et grâce à son charisme à le convaincre de rejoindre le projet. Isayev était aussi talentueux et ingénieux que Glushko, mais il était moins ambitieux. Son travail pour le développement d'un moteur pour le missile de défense aérienne, le V-300, lui avait valu en 1956 la décoration du héros du travail socialiste, la plus haute distinction civile de l'URSS.
Isayev aurait déclaré calmement à ses équipes de l’OKB-2 : « Korolev m’a proposé que nous réalisions rapidement un petit mais très important travail : ramener sur terre un humain en provenance de l’espace »[2] . Dans les sept mois qui ont suivi la commande, l’OKB-2 de Isayev a commencé les essais au sol du moteur TDU-1. Les premiers essais ont débuté le soir du 27 septembre 1959 sous la direction de Vladimir G. Yefremov, se terminant par un échec lors du cinquième essai en raison d'une erreur de conception d’une vanne. Après corrections du problème, une série de test s’est déroulé sans incident. Le 25 avril 1960, Isayev a informé Korolev que le moteur du premier vaisseau spatial orbital piloté était prêt. Côté NII-125, le moteur à propergol solide n'a jamais été construit.


Après le refus du NII-885 de Pilyugin de prendre en charge le développement du système de contrôle d’altitude, Korolev a confié le travail à une équipe de l’OKB-1 dirigée par Boris V. Raushenbakh, âgé de 43 ans, qui s’était fait remarquer en 1959, en créant le premier système de contrôle d'altitude soviétique pour la sonde lunaire Ye-2A, dont l'un des modèles, Luna 3, était devenu le premier vaisseau spatial à prendre des photos de la face cachée de la Lune. Raushenbakh avait connu Korolev au NII-3 dans les années 30 avant d’être envoyé au Goulag, arrêté sous le simple reproche de porter un nom allemand. Le contrôle d'altitude était l'un des éléments les plus importants du vaisseau spatial Objet K.
La conception de l’Objet K était donc quasiment réalisé dans sa totalité par les équipes de l’OKB-1. D’autres organisations ont apporté leur contribution au lanceur : l'OKB-456 de Glushko a fourni les moteurs, le NII-885 de Ryazanskiy et Pilyugin a conçu les systèmes de contrôle, le GSKB SpetsMash de Barmin a modifié le complexe de lancement et les gyroscopes ont été développés par NII-944 de Kuznetsov.
La création du lanceur s’est avérée longue et compliquée pour le Conseil des Concepteurs en chef. Au début de 1958, le R-7 à deux étages, dans sa variante « spatiale », le 8K71PS et le 8A9I, pouvait
soulever une charge utile de 1.400 kilogrammes en orbite terrestre basse. Pour soulever l’Objet K, il fallait un lanceur capable de soulever une charge utile trois fois supérieure. Des propositions pour la construction d'un nouveau troisième étage pour le booster de base R-7 ont été présentées à l'été 1957, et les concepteurs ont commencé à travailler sur deux moteurs d'étage supérieur indépendants, l'un à l'OKB-1 de Korolev et l'autre à l'OKB-456 de Glushko. Le 20 mars 1958, le gouvernement soviétique a ratifié les plans du 8k72 et du 8k73, augmentant le R-7 de base d’étages supérieurs pour le lancement de sondes lunaires et de satellites de reconnaissance.


Semyon A. Kosberg
Cette décision de développer deux moteurs a créé une première tension entre Korolev et Glushko, prémices des futures altercations. Dans ses plans, Korolev avait imaginé que le moteur serait alimenté par un mélange d’oxygène liquide (LOX) et kérosène. Glushko, de son côté, avait été impressionné par un nouveau propulseur synthétique appelé diméthylhydrazine asymétrique (UDMH) développé pour la première fois en Union soviétique par l'institut d'État de chimie appliquée. Selon les données de l'institut, le nouveau composant promettait des caractéristiques énergétiques plus élevées que la combinaison traditionnelle LOX-kérosène. Fort de ces données, Glushko a commencé, dès 1958, le développement de quatre nouveaux moteurs utilisant l'UDMH, trois en combinaison avec des oxydants dérivés d'azote et le quatrième en combinaison avec le LOX. C'était ce dernier moteur, le RD-109 avec une poussée sous vide d'un peu moins de dix tonnes et demie, qu'il avait l'intention de proposer pour une utilisation sur la fusée 8K73. Korolev, pressé par le temps, était persuadé que Glushko ne parviendrait pas à construire ce nouveau moteur avant la date butoir de fin 1958. Malgré les demandes de Korolev de poursuivre l’étude sur les combinaisons LOX-kérosène, Glushko a continué ses travaux sur le RD-109. Korolev avait vu juste, les essais du RD-109 n’étaient pas terminés en 1958, ni en 1959.
Heureusement pour Korolev, un petit moteur d’une poussée d’un peu plus de cinq tonnes, le RD-0105, avait été développé par son propre bureau d’étude de l’OKB-1, par Mikhail V. Melnikov qui avait déjà développé des propulseurs de direction pour les moteurs du premier étage du R-7. Les caractéristiques de performance pouvaient être mises à l’échelle pour le niveau supérieur, en intégrant une turbopompe. En 1957, Korolev avait été impressionné par les travaux de Semyon A. Kosberg à l’OKB-154, qui avait réalisé un moteur de fusée LOX-kérosène à redémarrage dans le vide pour le domaine de l’aéronautique. Korolev et Kosberg ont signé un protocole d'accord à Kaliningrad le 10 février 1958, prévoyant la livraison du nouveau moteur RD-0105 à temps pour les premières tentatives de lancement de sonde lunaire. Bien entendu, cet accord de partenariat avec l’OKB-154 a été perçu comme un affront par Glushko. Combinant une turbopompe de l'organisation de Kosberg avec des propulseurs du groupe de Melnikov, les deux bureaux de conception ont produit le moteur RD-0105 en seulement neuf mois, prêt à voler en août 1958. C'était le premier moteur de fusée à propergol liquide soviétique conçu pour une utilisation dans le vide.