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La sous-traitance dans l'économie soviétique

L’OKB-1, pour gérer ses différents projets, devait faire face à plus de 200 sous-traitants. Le moindre retard d’une de ces entreprises avait des compétences importantes pour la suite. Georgi Pashkov, vice-président de la Commission militaro-industrielle, a rappelé que « tout dépassement de délai pourrait conduire à la désorganisation totale de l'ensemble du projet ». Le programme spatial soviétique s’est développé sur les bases de décisions de membre du Parti ou du gouvernement, sans vrai stratégie à long terme, donc sans être intégré dans la planification économique qui régissait l’économie soviétique. La mise en œuvre a nécessité de multiples ajustements des plans de production pour des centaines d'entreprises à travers l'Union soviétique. Le système lourd de la planification centrale avait beaucoup de mal à gérer des projets technologiques à grande échelle décidés aussi rapidement.

J’ai mentionné à plusieurs reprises la volonté de Korolev de ne plus dépendre des sous-traitants. Il me semble important de s’arrêter quelques lignes sur ces difficultés qui ont fortement entravé le développement du programme spatial. Rudnev, membre du Comité d’Etat sur la science et la technologie, a d’ailleurs mentionné ce sujet dans le rapport qu’il a remis à Kossyguin : « Les problèmes majeurs du progrès technologique soviétique sont les organisations de construction et la sous-traitance. Ces lacunes organisationnelles expliquent pourquoi l’Union Soviétique est restée derrière de nombreux pays occidentaux dans le développement de nouvelles technologies, même si ces technologies ont été développés dans ce pays ». Depuis les années 1920, le développement soviétique a été fondé sur une industrialisation rapide qui avait privilégié de façon disproportionnée l’investissement par rapport à la consommation, l’industrie par rapport à l’agriculture et aux services, l’industrie lourde par rapport aux biens de consommation, les impératifs militaires par rapport aux autres besoins d’équipement. Dans le système soviétique, seule la réalisation du plan comptait, les primes étaient versées en fonction du respect des échéan-

ces trimestrielles du plan. La monnaie était en théorie sans importance, c’était juste un instrument passif d’une économie où seule la coordination bureaucratique et la production comptaient.

Les plans à moyen et long terme, dont les plans quinquennaux, définissaient la stratégie économique et les secteurs prioritaires, et une planification annuelle et trimestrielle, détaillée, assuraient la gestion administrative courante. La « balance des matières », élément simple de construction du plan, reprenait les matériaux nécessaires pour produire le bien attendu. La problématique résidait dans la quantification du bien à produire. Le Gosplan planifiait la production, et les différents ministères et commissions d’Etat fixaient les prix. La demande étant inconnue, son calibrage était extrêmement délicat. Ces objectifs de production en volume incitaient notamment les entreprises à produire des biens de qualité très moyenne.

Dans tous les secteurs qui n’étaient pas prioritaires, la tension du plan et la fixation des prix de détail à des niveaux ne reflétant pas l'équilibre de l'offre et de la demande provoquaient des pénuries récurrentes, qui donnaient au vendeur une position de force. Les entreprises pouvaient fournir à leurs clients des biens de mauvaise qualité, du fait de l'absence de concurrence.

L’entreprise était prête à tout pour réaliser ses objectifs de production, elle pouvait exécuter le plan sans satisfaire le client, en lui livrant des produits défectueux. Le client n'avait guère de recours, en dehors de la saisine de tribunaux spécialisés dont les amendes n’étaient pas dissuasives.

L'administration soviétique

Les difficultés de l'industrie soviétique

La rareté ou la mauvaise qualité des approvisionnements provoquaient chez les gestionnaires des tendances à surestimer les besoins planifiés, à surstocker, à effectuer du troc de biens déficitaires avec d'autres entreprises, à accumuler une main-d'œuvre pléthorique. Les entreprises soviétiques étaient ainsi peu spécialisées : elles comprenaient des ateliers de réparation des intrants défectueux, des équipements sociaux destinés à fidéliser la main-d'œuvre. Ces stratégies renforçaient l'économie de pénurie, donc l'inefficacité. Les ministères tentaient de réagir à la surestimation des besoins par les entreprises en ne leur accordant qu'une partie de leurs demandes. Malgré différente tentative de réforme, la coordination de la chaine d’approvisionnement est restée le problème majeur de l’économie soviétique.

Le secteur militaire a été certainement le secteur qui a le moins souffert de cette organisation. Il bénéficiait d’une priorité d’approvisionnement et de recrutement de main d’œuvre grâce à des salaires plus élevés. L’acheteur militaire était certainement le seul qui soit en position de force face au fournis-

seur, c’était aussi certainement le seul qui connaissait une véritable concurrence avec son ennemi américain. Malheureusement pour Korolev, tous ses sous-traitants ne relevaient pas de ministères attachés au secteur militaire, d’où ses nombreux griefs et sa volonté de dépendre d’un faible nombre d’entreprise.