an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Sortie dans l'espace

présenté de telle manière qu’il était devenu une opportunité pour l’homme soviétique de montrer sa capacité à maîtriser la machine.

Dans le même ordre d’idée, Leonov, passionné de peinture, n’a pas été autorisé à reproduire dans ses peintures la réalité qu’il connaissait. La censure l’a obligé à dessiner des satellites improbables. Andrei Sokolov, probablement l'artiste «de l’espace » le plus connu de l'époque, devait peindre à partir de son imagination. Une fois, lorsqu'il a peint une fusée en vol, la peinture a été censurée sans explication. De nombreuses années plus tard, il a découvert que son image se rapprochait d'une véritable fusée spatiale, elle n'avait donc pas été autorisée à une diffusion publique.

Moins de trois mois après le vol, le 3 juin, l'américain Edward White a réalisé la première sortie extravéhiculaire américaine, d'une durée de 20 minutes. Voshkod 2 marque l’apogée de la domination soviétique dans l’espace, et la fin d’une époque.


[1] Nikolay Kamanin, Skrytiy kosmos: 1960- 1963, p. 182 ; résumé traduit par B. Hendrickx. “The Kamanin Diaries 1960- 1963”, Journal de la British Interplanetary Society, Articles

[2] "The Russian Right Stuff." NOVA television show.

Schéma du vaisseau Voskhod 2 avec le sas gonflable, en bas à gauche

Pour Korolev, la deuxième mission Voskhod devait inclure une “sortie dans l'espace” par l'un des membres d'équipage. Une fois encore la motivation était liée à l’annonce publique de la NASA de réaliser l'EVA pendant le programme Gemini. Les retards pris dans la première mission avaient bien évidemment entraîné un report de la deuxième mission initialement prévue en novembre. Korolev a insisté pour que ce deuxième vol ait lieu tout de même avant la fin de l’année.

Dès juillet 1964, alors que le premier vol Voskhod n’avait pas encore eu lieu, les ingénieurs de l'usine 918 construisaient une maquette d’un sas déployable. Celui-ci permettrait de valider les choix technologiques et la manœuvrabilité à l’intérieur. Le sas déployable a été baptisé Volga. Il avait la forme d'un cylindre, comportant à l'une de ses extrémités une écoutille donnant accès au vide spatial, et à l'autre un anneau de fixation au Compartiment de Descente du vaisseau. Les deux extrémités étaient reliées par une structure souple, maintenue rigide par des tubes gonflables. Lors du décollage, les tubes étaient dégonflés et le sas replié sur lui-même. Une fois en orbite, les tubes étaient pressurisés et le sas déployé. En position repliée, le sas mesurait 73cm de long, contre 157cm en position déployée. Son diamètre intérieur était de 97,5cm, et son diamètre extérieur de 119cm.

Combinaison spatiale Berkout

Les cosmonautes étaient équipés dès le décollage de leur scaphandre Berkout. Cette combinaison spatiale, tout comme le SAS étaient conçue par les ingénieurs de l'usine 918 sous la responsabilité de Gay I. Severin, jeune ingénieur de 37 ans.

Elle était composée de quatre couches : la première était en nylon, les deux suivantes étaient en feuilles de caoutchouc, et la dernière à nouveau en nylon. Le tout était recouvert d'un revêtement d'isolation thermique. Au départ, les ingénieurs de l'usine 918 prévoyaient de fixer la pression nominale d'utilisation à 270hPa, ce qui était assez faible, dans le but de garantir une certaine souplesse de la combinaison. Le cosmonaute pourrait augmenter la pression jusqu'à 400hPa s'il ressentait les symptômes de la maladie des caissons. Mais finalement, après plusieurs tests, c'est le fonctionnement contraire qui a été retenu : la pression nominale serait de 400hPa, avec la possibilité de la réduire à 270hPa pendant un temps relativement court. Le casque et le reste du scaphandre étaient ventilés indépendamment de manière à rester le plus fidèle possible au scaphandre SK-1 qui équipait le vaisseau Vostok, et ainsi d'apporter le minimum de modifications au système de support-vie du vaisseau. En effet, les combinaisons étaient reliées à ce système, qui était capable d'assurer la respiration d'un cosmonaute pendant trois heures en cas de dépressurisation de la cabine. Il était composé de deux modules, disposés de part et d'autre de chaque siège. Le Berkout disposait de son propre système de support-vie, embarqué dans le « sac à dos ». Celui-ci, construit par le SKB KDA, devait être endossé par le cosmonaute avant la sortie dans l'Espace. Il était fixé au scaphandre par un système de suspension, et renfermait trois bouteilles d'oxygène (2 litres chacune, à 22MPa). Quand le cosmonaute passait en mode autonome, c'est à dire quand il coupait l'alimentation provenant des réserves du vaisseau, l'oxygène était d'abord ventilé dans le casque, puis dans le reste de la combinaison, et enfin était évacué dans le vide par une valve. Le « sac à dos » était capable d'assurer une respiration normale pendant 45 minutes. Le mode d'urgence était mis automatiquement en marche quand la pression du scaphandre chutait en deçà de 240hPa.

A la fin de 1964, Korolev et ses ingénieurs ont élaboré un programme d'essai détaillé menant à la mission EVA proprement dite. Le programme en cinq étapes comprenait des tests du 3KD dans des usines, une formation et des tests dans des conditions proches de la microgravité dans un avion Tu-104, des tests sous vide dans la chambre barométrique TDK-60, le lancement d'une version automatisée du 3KD en orbite et enfin le vol piloté. Le premier simulateur du vaisseau spatial Vykhod, le TDK-3TD, est arrivé au centre de formation des cosmonautes en novembre 1964. Quatre des cosmonautes de 1960 qui n'avaient pas encore effectué de mission - Belyayev, Khrunov, Leonov et Gorbatko - ont commencé en juillet 1964 à s'entraîner pour cette mission. Belyayev et Gorbatko s’entraînaient pour le poste de commandant, tandis que Khrunov et Leonov se préparaient pour la sortie EVA. Le programme était très intensif, ainsi en moins d’un an, Leonov, le candidat favori, a parcouru un millier de kilomètres, réalisé plus de 150 séances d'entraînement EVA et sauté en parachute 117 fois.

La Commission d'Etat pour le vol, alors rebaptisée Voskhod 2, s’est réunie pour la première fois le 13 janvier 1965, sous la présidence du Maj. Général Tyulin. Les ingénieurs ont signalé que deux véhicules Voskhod étaient prêts pour le lancement et que les essais finaux seraient terminés le 1er février. Le lancement de la variante robotisée était prévu pour la fin janvier ou le début février, tandis que la mission avec équipage était programmée pour mars. A cette date, les candidats favoris étaient Belyayev et Leonov. Pavel Belyayev, trente-neuf ans, était le plus âgé des candidats sélectionnés parmi le "groupe Gagarine" de 1960. Il avait été diplômé de la Haute école de l’Armée de l’Air Yeisk en 1945 et avait effectué des missions de combat contre les Japonais pendant les derniers jours de la deuxième guerre mondiale. Belyayev aurait pu voler plus tôt dans l'espace s'il n'avait pas eu une grave blessure à la cheville en août 1961 lors d'un saut en parachute, qui l'avait laissé hors-jeu pendant une année entière. Son copilote sur le vol, Aleksey Leonov, était âgé de trente ans. Né en Sibérie, il avait été diplômé de l'école supérieure de l'armée de l'air Chuguyev en Ukraine en 1957 avant de devenir pilote de jet en Allemagne de l'Est. Certainement l'un des candidats les mieux formés de l'équipe, il était aussi passionné de peinture.

Embarquement du mannequin à bord de Cosmos-57

Le 19 février, la Commission d'État a arrêté un calendrier précis pour les deux missions : l'automatisée serait lancée le 21 ou le 22 février tandis que le vol piloté serait fixé au 4 ou 5 mars. Dans un climat de course et de concurrence avec la NASA, le premier vaisseau spatial 3KD a été lancé avec succès en orbite à 10 h 30, heure de Moscou, le 22 février 1965. Comme d'habitude, la presse soviétique n'a attribué aucune mission particulière au satellite, le nommant simplement Cosmos-57. Le vaisseau spatial entièrement équipé devait simuler toutes les opérations nécessaires au sas : le vérifier, le gonfler, transférer l'air de l'appareil vers le sas, vérifier la dépressurisation du sas, activer l'alimentation en air des bouteilles d'oxygène vers une combinaison spatiale, ouvrir et fermer la trappe extérieure, re pressuriser le sas et enfin éjecter l'ensemble du sas lors de la seizième orbite. Toutes les opérations, sauf, l'éjection, ont été effectuées sans problème. Satisfait du bon déroulement de la mission, Kamanin a quitté le centre rassuré. Cinq heures plus tard, de retour au centre de commandement, il a salué Korolev d’un « Bonsoir ! ». Korolev lui a répondu sèchement : « Non, Nikolay Petrovitch. La soirée, semble-t-il, n'est pas bonne. On dirait que l'engin a explosé »[1].

Effectivement, après enquête, la destruction de Cosmos-57 a été imputée à de mauvaises instructions

données au sol. Deux stations de contrôle au sol ont envoyé simultanément des commandes à l'engin spatial. Les signaux combinés ont déclenché accidentellement la séquence de mise à feu, qui a déclenché quelque temps plus tard le mécanisme d'autodestruction (conçu pour empêcher le vaisseau spatial de tomber entre les mains de l'ennemi). Le vaisseau spatial n’était pas en cause. Après cet échec, le général Kamanin a proposé de reporter la première sortie dans l'Espace à une date ultérieure et de réaliser un vol d'essai du 3KD avec un seul homme à bord. Cette idée a été immédiatement rejetée par Korolev, car elle ne constituait pas une « grande première spatiale ».

La commission d’Etat, réunie le 9 mars à Tyura-Tam, a validé à l’unanimité la composition de l’équipage, Belyayev et Leonov. Korolev a rencontré les cosmonautes le 13 mars et leur a dit : « Je tiens à vous avertir une fois de plus que la chose la plus importante dans votre vol est de revenir sur Terre en bonne santé. Nous n'avons pas besoin d'actes d’héroïsme irréfléchis. » Le lancement était prévu pour le 18 ou le 19 mars, moins d'une semaine avant la première mission piloté Gemini. Korolev était en mauvaise santé au cours des dernières semaines précédant le lancement. Il avait dû passer du temps sous surveillance médicale à cause d'une nouvelle inflammation pulmonaire.

Le vaisseau spatial Voskhod 2 a été lancé avec succès à 10 heures, heure de Moscou, le 18 mars 1965. Malgré quelques déclenchements d’alarme et une tension à son comble, le vaisseau spatial a atteint sa vitesse orbitale à T + 530 secondes. Les deux cosmonautes ont commencé les préparatifs de l'EVA dès qu'ils ont atteint l'orbite. Belyayev a déployé le sas Volga sur toute sa longueur. Puis Leonov, aidé de Belyayev, a attaché son sac à dos de survie dans la capsule, très à l'étroit et s’est

lancement de Voskhod 2 le 18 mars 1965

assuré que tous les systèmes étaient opérationnels. Une fois la pression entre le sas et le vaisseau égalisée, Belyayev a actionné l’interrupteur pour ouvrir la trappe intérieure. Leonov a rampé, tête la première dans le sas, et s'est accroché à l'attache de 5,35 mètres de long. Puis après une dernière vérification, Belyayev a commandé la fermeture de la première trappe et a dépressurisé le sas.

Belyayev a ouvert la trappe externe une heure et demie seulement après le décollage à 11 heures 32, heure de Moscou. Leonov était manifestement impatient de quitter le sas, Belyayev a dû ordonner à son pilote de s'en tenir au programme prédéfini. A 11 heures 34, Leonov est sorti du sas, devenant ainsi le premier humain à marcher dans l'espace. Ses premiers mots ont été : « Je peux voir le Caucase. », Voskhod 2 survolait la mer Noire. Cette première balade dans l’espace a duré douze minutes, mais elle a été télévisée dans le monde entier et les images ont fait sensation. Au moment de rentré dans le sas, Leonov s’est retrouvé en difficulté :

Leonov dans l'espace

« Vers la fin de ma promenade, j'ai réalisé que mes pieds s'étaient détachés de mes chaussures et que mes mains s'étaient éloignées de mes gants. Tout mon costume s'est tellement gonflé que mes mains et mes pieds ont semblé rétrécir. J'étais incapable de les contrôler, c'était comme si je n'avais jamais essayé la combinaison, même une seule fois. Je n'ai pas pu rentrer tout de suite. Ma combinaison spatiale avait gonflé et la pression était assez considérable. J'étais fatigué et je ne pouvais pas marcher comme on m'avait appris à le faire.... J'ai réduit la pression à un peu moins de 0,27 atmosphère. Ensuite je me suis senti plus libre et j'ai pu me déplacer plus facilement. Puis je suis entré, tête la première dans le sas avec mes bras tenant les rails. J'ai dû me retourner la tête en bas dans le sas pour entrer les pieds en premier dans le navire et c'était très difficile.[2] »

Leonov épuisé a finalement fermé la trappe extérieure, pressurisé le sas et ouvert son casque en violation des instructions. Après un court repos, il a ouvert la trappe intérieure et s’est glissé dans l'appareil de descente. Belyayev a déclenché la mise à feu des boulons pyrotechniques permettant de lâcher le sas. La mission a rencontré par la suite de nombreux problèmes. La trappe de sortie de l'EVA

s’était mal refermée et l’air de la cabine s’est mis à fuir lentement. Pour compenser cette fuite, le système de survie a rempli l'intérieur du navire d'oxygène, qui a atteint près de 45 pour cent. A ce taux, une simple étincelle suffisait à déclencher un incendie. Les deux cosmonautes aux prix de nombreux efforts ont réussi à ramener ce taux à des niveaux gérables avant la rentrée prévue. Lors de la 13ème orbite, Belyayev a signalé que la pression dans les réservoirs d'air était tombée de manière anormale de 75 à 25 atmosphères, risquant d’entraîner une dépressurisation complète de l’engin. Voronin, responsable du système de survie, a confirmé à l’équipage qu’il disposait de suffisamment d’air jusqu’au 17ème orbite prévue pour la rentrée atmosphérique.

La mise à feu des rétrofusées, pour freiner le vaisseau et initier la séquence de retour sur Terre, s’est déclenchée de manière automatique, comme prévu. Toutefois, rien ne s’est passé : apparemment, le système d'orientation piloté par un senseur solaire n'était pas parvenu à orienter correctement le vaisseau et un mécanisme de sécurité bloquait la mise à feu des rétrofusées.

Récupération des cosmonautes

Après une brève conférence, Korolev a proposé que Belyayev utilise le système manuel d'orientation pour la rentrée. Les ingénieurs au sol ont rapidement calculé les coordonnées qui devaient être utilisées par l'équipage pour orienter le vaisseau dans la bonne direction. Dans la cabine exiguë, Belyayev a dû se placer en travers des sièges pour exécuter la mission tandis que Leonov positionné sous son propre siège le maintenait fermement. Une fois le vaisseau réorienté correctement, la mise à feu des rétrofusées ne s’est déclenché que 46 secondes plus tard pour permettre aux deux cosmonautes de réintégrer leurs sièges. Ce délai supplémentaire a provoqué un écart dans la trajectoire et le vaisseau ne se dirigeait pas vers l'endroit d’atterrissage prévu. Par ailleurs, comme cela avait été le cas au cours de plusieurs missions précédentes, le module de service et le module de descente ne se sont pas séparé immédiatement. Le vaisseau a suivi une trajectoire différente de celle prévue et les cosmonautes ont subi durant plusieurs secondes une décélération de 10g.

Le vaisseau a finalement touché le sol sans encombre mais il n'a été repéré que quatre heures plus tard par l'équipage d'un hélicoptère qui a aperçu son parachute de couleur rouge. Du fait des difficultés rencontrées pendant la descente, il s'était posé à 387 km du site d'atterrissage prévu, entre les villages de Sorokovaya et Shchuchino, à environ 30 kilomètres au sud-ouest de la ville de Berezniki et à 180 km au nord-ouest de la ville de Perm dans les monts Oural.

Il était éloigné de toute zone habitée, au milieu d'une zone de forêt si dense qu'elle rendait impossible dans l'immédiat la récupération de l'équipage. Il gelait et la couche de neige atteignait 2 mètres d'épaisseur par endroits. Deux équipes de sauveteurs ont entamé un périple pour joindre le Voskhod mais ils n'y sont pas parvenus avant la tombée de la nuit. Plus tôt dans la journée, des vêtements chauds avaient été parachutés aux cosmonautes pour leur permettre d'attendre les secours. Après une nuit très inconfortable, ils ont été rejoints par une équipe de sauveteurs partis à ski et qui avait mis trois heures pour couvrir 1,5 km. Les dirigeants soviétiques ne voulant prendre aucun risque, ont interdit une évacuation par hélitreuillage, si bien que l'équipage a dû passer une deuxième nuit dans la taïga pour permettre la préparation d'une zone d'atterrissage.

Compte-rendu de l'équipage par téléphone à Perm

Les cosmonautes sont finalement arrivés à Tyura-Tam à 17h30 dans la bonne humeur. Le matin du 22 mars, Belyayev et Leonov ont informé la Commission d'État de leur mission. Ils ont ensuite été transportés par avion à Moscou pour une réception gouvernementale. A leur retour à Moscou, les deux hommes ont été nommés Héros de l'Union soviétique, ils ont reçu 15 000 roubles, une voiture de la marque Volga et ont bénéficié d'un congé de 45 jours. Mais, à la demande des autorités, ils ont dû taire les péripéties survenues lors de la sortie de Leonov puis celles du retour sur Terre. Elles ne seront dévoilées que bien plus tard, lors de la libéralisation du régime. La réunion avec les journalistes a été entièrement préparée, les deux cosmonautes ayant été entraînés à répondre à soixante questions. Lors de la conférence de presse, les cosmonautes ont dû recourir à des banalités et des demi-vérités, oubliant tous les problèmes de la mission. A un moment, le cosmonaute Pavel Belyayev a été obligé de dire que l'équipage avait été "ravi" que le système d'orientation automatique ait échoué, car cela leur a offert l'opportunité d'utiliser le système manuel. La faillibilité des machines n’était pas au centre des débats, de sorte que l'échec est devenu périphérique, marginalisé et n'avait plus d'importance. Pour le public, les révélations sur les problèmes de matériel sont passés au second plan, ce qu’il fallait retenir, c’est que le cosmonaute soviétique avait dompter la machine. Dans la communication soviétique, l’échec, s’il devait être « légèrement » avoué, était toujours