an abstract photo of a curved building with a blue sky in the background

Chelomey en difficulté ?

Sur les quatre essais réalisés entre 1965 et 1966, trois ont été des succès, un seul échec. Ces bons résultats ont sans doute convaincu le gouvernement soviétique de ne pas abandonner ce programme. La fusée Proton deviendra l'un des lanceurs les plus fiables et les plus célèbres jamais créés par une nation, lançant des satellites commerciaux dans l'espace et servant jusque dans les années 1990. Curieux destin pour un ICBM super-lourd qui avait été conçu pour lancer des ogives nucléaires.


Soutenu pendant ces quatre dernières années par l’administration Khrouchtchev, Chelomey avait perdu son principal soutien. Khrouchtchev dira des années plus tard : « Je n'ai pas honte de dire que j'ai donné mon soutien à Chelomey à l'époque. Il a réalisé bon nombre des espoirs que nous placions en lui ... »[1] Toujours sous le choc de l’annulation des recherches sur l’UR-200, Chelomey a téléphoné à Kosyguin pour essayer de relancer le débat. Kosyguin s’y est opposé sèchement. Le programme ICBM UR-200 a été officiellement arrêté peu de temps après. Brejnev et Kosyguin souhaitaient abolir le plus rapidement possible les décisions de l’ère Khrouchtchev. Une commission spéciale a été créée en octobre pour enquêter et auditer sur l’OKB-52 de Chelomey. Tout a été audité, des finances du programme de l’UR-200 à la datcha de Chelomey. A la fin de 1964, le bureau d’étude de Chelomey et ses succursales étaient deux fois plus importants que l’OKB-1 de Korolev. Il fallait démanteler cet empire, très rapidement. La succursale n ° 3 située à Khimki, ancien bureau d'études Lavochkin, a été séparé de Chelomey.

Georgiy Babakin

Korolev de son côté a cherché à transférer des tâches à d’autres organisations pour concentrer ses ressources sur les vols spatiaux habités. Il a transféré les satellites de reconnaissance à la succursale n°3 à Kuibyshev en 1964, tandis que les satellites de communication ont été transférés à l’OKB-10 à Krasnoïarsk à la fin de 1965. Il envisageait aussi de transférer le travail sur les vaisseaux spatiaux lunaires et interplanétaires robotiques à un autre bureau. Dès qu’il a appris que le bureau d'études Lavochkin n’était plus sous le contrôle de Chelomey, il a entamé des discussions sur la remise de tous ses travaux sur les vaisseaux spatiaux Luna, Mars et Venera à ce bureau renommé Bureau de conception expérimentale de l'usine de construction de machines de S. A. Lavochkin. Georgiy Babakin, expert en systèmes radiotechniques de cinquante ans, a été nommé concepteur en chef de ce bureau. Fin 1965, Korolev a remis tous les travaux sur l'exploration automatisée de l'espace à Babakin.

Keldysh dirigeait une commission d’enquête sur les projets spatiaux de Chelomey. Deux produits phares de Chelomey étaient menacés d’annulation, le système de missile antibalistique connu sous le nom de Taran et l’ICBM/lanceur spatial UR-500. Le premier a été annulé et le second sérieusement chahuté. A cette époque, le ministère des forces de missiles stratégiques s’est détourné de sa doctrine antérieure pour les ICBM lourds et s’est de nouveau intéressé au ICBM léger. Heureusement, avec l’aide et le soutien de Keldysh, Chelomey a réussi à démontrer que l’UR-500 ferait un excellent lanceur spatial.

Initialement, Chelomey avait prévu de tester l’UR-500 en tant qu’ICBM à deux étages, suivi de lancements orbitaux à trois étages. Devant le changement de situation, Chelomey a décidé d'utiliser la version à deux étages directement pour les lancements orbitaux.

Quatre lancements d’essai étaient prévus, leur réussite était cruciale pour l’avenir de l’UR-500. Grâce au soutien financier qu’il avait reçu de Khrouchtchev, Chelomey disposait des moyens pour tester au sol son lanceur. Il disposait de seize bancs d'essai de grande taille construits pour vérifier les systèmes standard du booster à la fois séparément et assemblés ensemble. Le bureau d'études avait également acheté de puissants ordinateurs pour simuler en détail les conditions de vol, permettant l'élimination de nombreux problèmes possibles avant les vols réels. Entre juin 1963 et janvier 1965, le bureau d'études de Glushko avait mis à feu le moteur RD-253 du premier étage à de nombreuses reprises lors d'essais simulant de près les conditions de vol réelles. Au printemps de 1965, une version prête au vol de l'UR-500 a été transportée à Tyura-Tam. A l'apogée des années Khrouchtchev, Chelomey s'était vu attribuer une vaste zone à environ trente-cinq kilomètres au nord-ouest de la ville d'origine de Leninsk et à trente kilomètres à l'ouest de la plate-forme principale de Korolev sur le site. La construction avait commencé sur les complexes de lancement pour l'UR-200 et l'UR-500 pendant les années 1960-62. La « région de Chelomey » à Tyura-Tam a fait l'objet de construction massives au début des années 1960. Pour soutenir les opérations avec l'UR-500, les ingénieurs avaient commencé la construction de :

l'UR-500 (Proton) sur son aire de lancement en juillet 1965

  • Deux complexes de lancement adjacents (sur les sites 81 et 200), chacun avec deux rampes de lancement distantes de 600 mètres

  • Une station de ravitaillement

  • Un bâtiment de test d'assemblage d'objets spatiaux (sur le site 92A)

  • Un bâtiment d'intégration des étages supérieurs

  • Un bâtiment de test d'assemblage pour le lanceur complet (sur le site 92)

  • Une zone résidentielle (au site 95), conçu pour accueillir 10 000 personnes, était également en cours de construction à l'époque.

L'UR-500 a décollé le 16 juillet 1965 et a réussi à insérer sa charge utile, le satellite N-4, un observatoire scientifique de 12,2 tonnes sur une orbite nominale. La presse a relayé ce succès

et notamment le poids du satellite, bien plus lourd que tout ce qui avait été mis en orbite jusqu’alors. Le satellite a été nommé Proton, le lanceur a reçu le même nom dans la presse. Le lanceur avait parfaitement fonctionné, il n’en était pas de même pour le satellite qui n’a jamais pu entrer en contact avec la terre.

Lancement de l'UR-500 (Proton) le 16 juillet 1965

[1] Nikita S. Khrushchev “Khrushchev Remembers”, The Glasnost Tapes (Boston: Little & Brown. 1990) p. 188.