Conflits organisationnels internes
Le 28 mars 1963, le maréchal Biryuzov, le nouveau chef de l'état-major général du ministère de la Défense de l'URSS a signé un décret (n° 216888) appelant à la formation d'une commission chargée de discuter de l'avenir militaire de la variante 3KA de l'engin spatial Vostok, abordant implicitement la question du contrôle entre les Forces de missiles stratégiques et l'armée de l'air. Les chances de l’armée de l’air étaient assez faibles puisque au sein de ce comité, seul le maréchal Vershinin représentait ce secteur. Après de nombreux débats stériles, le 1er décembre 1963, l'état-major général du ministère de la Défense a présenté une proposition de création d'une « direction » au sein du ministère de la Défense qui unirait les diverses agences militaires engagées dans des activités spatiales, à l'exception de la formation des cosmonautes et des services de recherche et de récupération de capsules spatiales qui resteraient au sein l'armée de l'air. Le 1er octobre 1964, le Ministère de la défense a créé la Direction centrale des actifs spatiaux (TsUKOS) dont le programme était « la modernisation des complexes spatiaux existants et la création de nouveaux complexes spatiaux ». Le TsUKOS a été créé sur la base d'un département existant au sein de la Direction générale des armements réactifs de la Force de missiles stratégiques (GURVO) qui depuis septembre 1960, supervisait les opérations spatiales pour l'armée. La réorganisation de 1964 a eu pour effet de séparer le TsUKOS du GURVO et de le subordonner directement au commandant en chef des Forces de missiles stratégiques. Le premier commandant du TsUKOS a été le major général Kerim A. Kerimov, un officier d'artillerie âgé de 46 ans qui était l'un des nombreux à être allés en Allemagne pour capturer les restes des A-4 après la Seconde Guerre mondiale. Il était membre de la Commission d'État pour Vostok, représentant les intérêts des Forces de missiles stratégiques. Une nouvelle fois, les artilleurs avaient gagné la partie.
Au début des année 60, l’armée soviétique vivait une période difficile, Khrouchtchev voulait limiter les dépenses et se concentrer sur les programmes les plus efficaces. Les Forces des missiles stratégiques était un des seuls secteurs de l’Armée à bénéficier de ressources pour développer de nouveaux ICBM. Les deux commandants en chefs de ces forces, Kirill S. Moskalenko et Sergey S. Biryuzov, étaient totalement indifférents au programme spatial piloté, considérant les projets Vostok, Soyouz et N1 comme un gaspillage d'argent colossal. Leurs opinions étaient largement soutenues par le ministre de la Défense de l'URSS, Rodion Ya. Malinovskiy et son adjoint Andrey A. Grechko qui avaient dénoncé à plusieurs reprises l'inutilité du programme spatial piloté. L’Armée de l’air a tenté de profiter de ce désintéressement pour se positionner, tentant de rétablir ce qu’elle considérait comme sa place légitime. Elle a souhaité utiliser les cosmonautes à des fins militaires. Son commandant en chef, le maréchal Vershinin, soutenait les projets de Kosmoplan-Raketoplan de Chelomey, et pensait qu’une modification du Vostok à des fins militaires serait intéressante. La situation était compliquée pour Korolev car depuis 1940, l’OKB-1 n’avait quasiment aucun contact avec les forces aériennes, des contacts étroits entre les ingénieurs et les forces de missiles stratégiques s’étaient instaurées depuis de nombreuses années. Pourtant début 1960, c’est l’armée de l’air qui s’est intéressé aux vols habités totalement ignorés par les Forces de missiles stratégiques. Korolev a dû manœuvrer délicatement entre les deux camps, promettant à l'Armée de l'Air qu'il convaincrait Malinovskiy et même Khrouchtchev de la nécessité de confier à l'Armée de l'Air le contrôle complet du programme Vostok, et assuré aux Forces de missiles stratégiques qu’il allait leur fournir un nouvel ICBM.


Maréchal Konstantin Vershinin
Après de nombreuses et difficiles négociations, le maréchal en chef d'état-major de l’Armée de l’air Matvey V. Zakharova a publié une proposition sur de nouvelles missions pour le Vostok. Celles-ci incluaient la commande de dix nouveaux vaisseaux spatiaux Vostok, leur équipement pour des missions militaires de reconnaissance, d’interception et d’attaque, la réalisation de deux missions militaires en 1963 avec un homme pendant onze à douze jours et un chien pendant trente jours. Le lobbying des militaires de l’armée de l’air a finalement été récompensé. Le 8 février 1963, la Commission militaro-industrielle a publié un décret (n°24) signé par son président Ustinov, validant les futures missions Vostok pour la recherche biomédicale. Sur les dix vaisseaux souhaités par l’armée de l’air, quatre seraient construits dans un premier temps par l’OKB-1 dans la première moitié de 1963. L'approbation du plan de construction de quatre nouveaux vaisseaux spatiaux Vostok, soutenu par l'OKB-1 et la Force aérienne, a accéléré la planification des missions au cours de la période 1963-64. Les missions Vostok 7, 8 et 9 seraient utilisés pour des vols de cosmonautes sur des durées allant de six à dix jours. Vostok 10 emmènerait un chien pour une mission de trente jours.
Les forces des missiles n’étaient peut-être pas intéressées par les programmes spatiaux habités, mais elles ne souhaitaient pas pour autant perdre le contrôle des opérations du programme spatial héritées par défaut dans les années 1950. La question de savoir qui contrôlerait les opérations du programme spatial, c'est-à-dire les lancements, les commandes, les contrôles, les communications, les forces spatiales militaires et surtout les finances opposeront les deux parties au sein du ministère de la Défense en 1963-64.