Le vol conjoint
Les vols d'Andrian Nikolayev et de Pavel Popovich dans les Vostoks 3 et 4 marquent une nouvelle étape notable sur cette route qui nous amène droit à la réalisation de vols interplanétaires. Le vol de groupe des vaisseaux spatiaux est d'une grande importance pour le développement de stations interplanétaires, pour la création de vaisseaux spatiaux et pour la conquête de routes interplanétaires.
[1] Nikolay Kamanin, Skrytiy kosmos, 1960-1963. p. 62 résumé traduit par B. Hendrickx. “The Kamanin Diaries 1960- 1963”, Journal de la British Interplanetary Society, Articles
[2] Nikolay Kamanin, Skrytiy kosmos, 1960-1963. p. 94; résumé traduit par B. Hendrickx. “The Kamanin Diaries 1960- 1963”, Journal de la British Interplanetary Society, Articles
En septembre 1961, un mois après le vol de Titov, Korolev a proposé un vol conjoint à trois vaisseaux Vostok, chacun avec un seul cosmonaute, qui seraient lancé trois jours de suite. Le premier pilote effectuerait une mission de trois jours, tandis que les deux autres seraient dans l'espace pendant deux à trois jours. Il y aurait un jour pendant la mission conjointe où les trois engins spatiaux seraient simultanément dans l'espace. Les représentants de l'armée de l'air et les médecins se sont opposés fermement à ce plan, trouvant la durée de vol trop longue après les résultats mitigés de Titov. A la fin du mois d'octobre, Korolev a revu ses plans à deux lancements simultanés de vaisseau. Le calendrier a été remis en question fin octobre lorsque les dirigeants du Parti soviétique ont décidé de concentrer toutes les ressources sur le programme de reconnaissance du satellite espion Zenit-2, montrant une nouvelle fois que le programme d’exploration spatial n’était pas prioritaire. La mission Vostok avec équipage a été reportée à janvier 1962 au plus tôt.
Malgré ce report, les cosmonautes soviétiques restaient sous pression, continuant à s’entrainer. En octobre, six cosmonautes Bykovskiy, Komarov, Nelyubov, Nikolayev, Popovich et Shonin ont été affectés à la formation pour la double mission. Au cours de l’été 1960, le lieutenant-général Nikolay Kamanin, représentant de l'état-major général de l'armée de l'air chargé de superviser le groupe de cosmonautes, a suggéré l'idée d'envoyer une femme dans l'espace pour l'une des prochaines missions Vostok. Korolev et Keldysh se sont opposés à l’idée. Pourtant, Kamanin a insisté, il a écrit dans son journal :
Les femmes vont certainement voler dans l'espace - il est donc préférable de commencer à les former pour ce type de mission dès que possible.
En aucun cas une Américaine ne devrait devenir la première femme dans l'espace - ce serait faire offense aux sentiments patriotiques des femmes soviétiques.
La première cosmonaute soviétique sera une défenseuse du communisme aussi active que Gagarine et Titov se sont avérés l'être.[1]


Tatyana D. Kuznetsova


Valentina L. Ponomareva


Irina B. Solovyeva


Valentina V. Terechkova


Malgré l’opposition qu’il a rencontrée, Kamanin a porté le sujet devant Khrouchtchev qui a approuvé son idée. Le 30 décembre 1961, le Comité central a validé un plan de sélection de soixante nouveaux cosmonautes pour le programme spatial soviétique, dont cinq femmes. Le colonel Ovenko de l'Armée de l'Air a été chargé de la première sélection. Il a utilisé les listes des membres des aéroclubs pour identifier 58 personnes répondant aux critères fixés (une parachutiste de moins de 30 ans, mesurant moins de 170 cm et pesant moins de 70 kg) sur les 400 personnes dont le profil a été examiné. Le 3 mars 1962, après une batterie de tests médicaux et physiques, une commission spéciale, dont Gagarine faisait partie, a réduit la liste. Les cinq femmes retenues étaient :
Tatyana D. Kuznetsova, née à Gorki et âgée de 20 ans, détenant plusieurs records mondiaux de parachutisme et travaillant au département de mathématiques appliquées de l'Académie des sciences
Valentina L. Ponomareva, née à Moscou ,âgée de 29 ans, la seule à avoir piloté un avion, travaillant à l'Institut des hautes études de mathématiques.
Irina B. Solovyeva, née à Kireïevsk âgée de 25 ans, membre de l'équipe nationale de parachutisme de l'Union soviétique et détentrice plusieurs records
Valentina V. Terechkova , née à Maslennikovo, une petite ville de la région de Yaroslavl, âgée de 24 ans, ayant réalisé plus de 78 sauts en parachutes
Zhanna D. Yerkina, née à Riazan ,âgée de 23 ans, professeur d'anglais et parachutiste confirmée.
Même si elles n’étaient pas pilotes de l’Armée de l’Air, elles disposaient toutes les cinq d’atouts importants. Solovyeva, une ancienne de l'Université de l'Oural, avait 900 sauts en parachute à son actif, suivie de Terechkova avec soixante-dix-huit et Ponomareva avec dix. Ponomareva était clairement la pilote la plus accomplie avec 320 heures à son actif. Elle était également diplômée du prestigieux Institut de l'aviation de Moscou et avait été scientifique au Département de mathématiques appliquées de l'Académie des sciences de l'URSS. Mais malgré ses atouts, Gagarine s’est opposé à son inclusion dans l’équipe car elle était mère de famille. La stigmatisation sociale en Union soviétique à l'égard des mères risquant leur vie dans des entreprises dangereuses était suffisamment importante pour susciter une certaine hésitation sur la question. Finalement, Keldysh, qui avait encouragé sa candidature en premier lieu, a insisté pour qu’elle soit retenue dans la sélection finale. Terechkova n'avait pas le même curriculum vitae que les autres. Heureusement pour elle, le critère idéologique - la candidate devait être membre des jeunesses communistes ou du parti - et son origine prolétarienne la plaçait en bonne position. Début de 1962, les cinq femmes devaient concourir pour un siège unique dans une mission Vostok programmée pour la fin de l'année.
Korolev a accueilli les six femmes au centre de formation avec des mots très froids : « Je vous préviens, c’est l’un ou l’autre ; ou bien on se marie et on fait des enfants, ou bien on s’entraîne ». Il ne faisait que traduire l’opinion générale des hommes de l’époque. Lorsqu’elles ont intégré le centre de formation des cosmonautes à Zelenyy près de Moscou, l’incertitude sur la prochaine mission
Vostok était à son comble. Le programme était passé au second rang derrière le projet militaire Zenit-2. Ce programme avait été lancé le 11 décembre 1961, mais le satellite n’avait pas réussi à atteindre l'orbite en raison d'un échec du troisième étage du booster 8K72K, le même lanceur utilisé pour les missions Vostok. Aux problèmes des boosters s’ajoutaient des difficultés avec les parachutes et le système de survie.
Une nouvelle fois, c’est une annonce en provenance des Etats-Unis qui allait brusquer les choses. Depuis le 23 janvier, la NASA tentait de lancer le major John H. Glenn sur le premier vol spatial orbital piloté par les États-Unis. Bien que le lancement ait été retardé à plusieurs reprises au cours des semaines suivantes, tous les préparatifs étaient très médiatisés, contrastant fortement avec l'extrême secret du programme soviétique. Le 17 février, Ustinov, a ordonné à Korolev le lancement de Vostok à la mi-mars, certainement pour effacer au plus vite l’impact du vol de Glenn qui avait eu lieu finalement le 20 février. Kamanin a présélectionné un groupe de sept cosmonautes pour commencer un entraînement intensif pour le vol double Vostok, avec deux pilotes et deux doublures. Il a écrit dans son journal :
J'ai été informée officieusement (par Ustinov) que le prochain vol devait avoir lieu entre le 10 mars et le 20 mars. Après le vol de Glenn, Khrouchtchev a demandé que notre prochain vol piloté soit avancé. Nous devons nous rendre au site de lancement du 2 au 3 mars. C’est à l’image de nos Dirigeants. Ils ne font rien depuis presque une demi-année et maintenant ils nous demandent de préparer une mission extrêmement complexe en seulement dix jours.[2]

Lancement du 1er juin 1962
Les sept cosmonautes, Bykovskiy, Komarov, Nelyubov, Nikolayev, Popovich, Shonin et Volynov ont commencé une formation spécifique à la mission, mais il était totalement impossible de monter une telle opération en trente jours. Le lancement a été retardé mois après mois, deux lancements du satellite de reconnaissance du programme Zenith-2 étaient prévus avant que Korolev ne puisse se concentrer sur la mission Vostok. Le premier d'entre eux a finalement eu lieu le 26 avril avec l'insertion orbitale réussie du premier satellite de reconnaissance soviétique. Le second, utilisant un modèle légèrement différent de lanceur, a été retardé de plusieurs semaines et n'a eu lieu que le 1er juin 1962, à partir de la rampe de lancement du site 1, la même plate-forme prévue pour les vols Vostok. Malheureusement, le lancement a été un échec, la fusée est retombée à 300 mètres du site de lancement en laissant un des moteurs auxiliaires sur la plate-forme de lancement, endommageant gravement la structure à la suite d'un incendie. La réponse au vol de Glenn était de nouveau retardée, les ingénieurs estimant à un mois de travaux pour remettre la plate-forme en état de fonctionnement. Comme lors du vol de Titov, la question de la durée du vol a fait débat.
Korolev insistait pour que la première mission dure trois jours et la seconde deux jours, s’opposant aux médecins de l'armée de l'air, aux cosmonautes, à Kamanin et Keldysh. Korolev a réussi à convaincre tous ces opposants et fin juin, le principal spécialiste de la biomédecine Vladimir I. Yazdovskiy a signé un document officiel déclarant : « A l'heure actuelle, il n'y a aucune base pour planifier le prochain vol spatial pendant plus d'une journée. Si, pendant un vol d'une journée, le cosmonaute est en bonne santé physique, alors le vol pourra être prolongé, mais pas plus de deux jours ». Kamanin, mis en minorité, a fini par céder.


La Commission d’Etat du 16 juillet prévoyait le double lancement entre le 5 et 10 août 1962. Le deuxième vaisseau serait mis en orbite le lendemain du premier. L’un des objectifs était que les deux vaisseaux se croisent à proximité. Un rendez-vous était impossible avec le modeste vaisseau Vostok, mais il s’agissait tout de même de tester la première partie du projet Soyouz avec la phase de rapprochement, et une approche à moins de vingt kilomètres. Cette approche serait réalisée uniquement par la trajectoire donnée au vaisseau lors du lancement, cela signifiait que le deuxième vaisseau devrait être lancé à un moment précis et selon une inclinaison spécifique. Tous ces calculs étaient compliqués par la vitesse de la rotation de la terre.
Le 3 août, Kamanin a désigné Nikolayev et Popovich comme les deux candidats probables aux deux missions. Nikolayev était âgé de trente-deux ans et un des rares célibataires de l’équipe. Il avait commencé sa carrière comme bûcheron avant de rejoindre plus tard l'armée de l'air soviétique et de recevoir ses ailes de pilote en 1954. Sa capacité de résistance, son sang-froid même dans les situations les plus critiques, l’avait rapidement positionné comme un des prétendants au vol. Popovich avait aussi trente-deux ans, mais son tempérament bouillant était à l’inverse de Nikolayev. Il avait fait une carrière remarquée dans l'armée de l'air soviétique avant de recevoir l'Ordre de l'étoile rouge pour une affectation dans l'Arctique. Son épouse Marina était l'une des femmes pilotes d'essai les plus accomplies d’URSS.
L’entrainement des cosmonautes s’est poursuivi quasiment jusqu’au 10 et 11 août, date de lancement officiellement prévue. Gagarine et Smirnov sont arrivés le 6 août à Tyura-Tam, et la commission a donné son feu vert de lancement dans la nuit du 7 août, validant définitivement les deux cosmonautes sélectionnés. Les cosmonautes Bykovskiy et Komarov étaient nommés remplaçants, et Volynov réserviste.
Le 11 août à 11h30, heure de Moscou, le booster 8K72K a décollé avec à son bord Andrian G. Nikolayev. Après 687 secondes, au grand soulagement de Korolev, très inquiet vu les dernières performances du lanceur, le vaisseau spatial, renommé Vostok 3 a été mis en orbite. Tous les paramètres étaient normaux. Nikolayev n’a pas rencontré les mêmes troubles que Titov. Pour la première fois dans une mission Vostok, le cosmonaute a été autorisé à se détacher de son siège pour flotter dans l’espace. Khrouchtchev s'est entretenu avec Nikolayev depuis le poste de contrôle au sol de Simferopol environ quatre heures après le début de la mission, alors que Nikolayev a souri à la télévision depuis l'espace, mais de son propre aveu, il n’a entendu que la moitié de la conversation, en raison de la mauvaise qualité du système radio. L'ambassade des États-Unis avait reçu un document au début de la mission déclarant : "Les États-Unis doivent s'abstenir de prendre des mesures qui pourraient à quelque degré que ce soit entraver l'exploration de l'espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques ou mettre en danger la vie du cosmonaute » ; Ce communiqué faisait référence au lancement un mois plus tôt d’une ogive nucléaire dans l'espace à l'aide d'un missile Thor au-dessus de l'atoll de Johnston dans l'océan Pacifique. Ce lancement avait généré de grandes quantités de rayonnement pouvant mettre en danger les cosmonautes. Les Américains ont assuré au gouvernement soviétique qu'il n'y avait pas d’explosions prévue dans la haute atmosphère dans un proche avenir, et ont souhaité à Nikolayev « un bon vol et un bon atterrissage ».


Andrian G. Nikolayev avant le lancement
le vol de Pavel R. Popovich

qu'aucun cosmonaute n'ait jamais repéré le vaisseau spatial de l'autre. Peu à peu, la distance entre les deux navires a augmenté au cours de la journée pour atteindre environ 850 kilomètres.
Hormis quelques petits problèmes de connections avec le sol, la première journée de Nikolayev s’est terminé sans incident, il s'est endormi à 22 heures. A Tyura-Tam, l’activité s’est poursuivie de manière intense. La plate-forme sur le site a été nettoyée, et un nouveau booster 8K72K avec un vaisseau spatial Vostok a été mis en place pour le lancement. Le major Pavel R. Popovich a été lancé avec succès à 11h 02, heure de Moscou, le 12 août. Son vaisseau spatial a été nommé Vostok 4 lors de l'insertion orbitale. C'était la première fois dans l'histoire des vols spatiaux que deux vaisseaux pilotés étaient en orbite. En Occident, la surprise du deuxième lancement a été totale, provoquant l’admiration générale et ouvrant les rêves les plus fous. L'astronome britannique, Sir Bernard Lovell, a déclaré que les vols de Vostok 3 et Vostok 4 étaient « le développement le plus remarquable que l'homme ait jamais vu ».
Les deux engins spatiaux étaient sur des orbites très similaires et se sont croisés à cinq kilomètres sur la première orbite de Vostok 4. Lors d'une conférence d'après-vol. Popovich a affirmé qu'il avait réussi à voir l'autre navire en orbite « quelque chose comme une très petite lune ». Cependant, il semble

Moscou accueille ses deux héros
Non seulement les services au sol avaient montré leur capacité à lancer rapidement des vaisseaux spatiaux pilotés à partir d’une même rampe de lancement, mais l'ensemble du réseau de suivi au sol avait montré toute l’étendue de ses capacités. Nikolayev, avec sa mission de quatre jours, a battu le précédent record du monde d’endurance établi par Titov un an auparavant. Comparativement, la plus longue mission spatiale pilotée par les États-Unis à l'époque n’avait duré que cinq heures. Les cosmonautes ont été récupérés en bonne santé, le bon état physique des deux hommes étaient un facteur rassurant après la performance de Titov qui avait jeté le doute sur la possibilité de missions longue durée.
Nikolayev et Popovich, après leur rapport officiel à la Commission d'État le soir du 16 août, se sont envolé pour Moscou pour une réception tumultueuse sur la Place Rouge organisée par Khrouchtchev, Lors d'une conférence de presse à Moscou le 21 août à laquelle étaient présents Nikolayev et Popovich, le président de l'Académie des sciences Keldysh a annoncé :